On dit souvent que les vainqueurs écrivent l’Histoire. C’est vrai la plupart du temps. Il y a pourtant un cas archi connu où les vaincus l’ont réécrite à leur sauce, il s’agit de la Wehrmacht, dont beaucoup d’anciens pontes ont écrit leurs mémoires (Heinz Guderian, Erich von Mannstein, Franz Halder) et collaboré avec les historiens… qu’ils ont embobinés bien comme il faut avec le mythe d’une armée aux mains propres, exemptes de crimes de guerre qui n’auraient été commis que par les SS. L’historien allemand Bernd Wegner parle d’une “historiographie des vaincus”, c’est dire si la supercherie a fonctionné.
Le rapport avec les bouquins dont on va parler ? Aucun. C’était juste manière de rebondir sur le jeu de mot du titre de l’article.
Or donc, de la BD érotique, sans vainqueurs ni vaincus, mais avec de l’Histoire dedans, celle avec un grand H (et un petit Q), parce qu’on en chercherait une en vain, d’histoire, vu que la plupart du temps y a pas de scénario qui tienne la route.
Vikings
Hugdebert
Vikings est d’abord paru en presse en deux tomes. Le premier a été réédité chez Sybaris au format BD traditionnel sous le titre Vikings, De sexe et de sang. Et l’histoire s’arrête là, le deuxième volume n’est jamais sorti en librairie.
C’est avec des parutions de ce genre qu’on comprend pourquoi la plupart des BD affichent deux noms et deux postes – dessin et scénario – sur la couverture : écrire une histoire et la mettre en images sont deux choses très différentes et rares sont les artistes doués dans les deux domaines. Il aura manqué un scénariste à Vikings pour atteindre le top.
L’histoire est celle de Corinna, une jeune Franque enlevée au IXe siècle par ces guerriers venus du nord sur leurs drakkars (des Vikings, donc, pas des Ch’tis). Voilà pour les sept premières pages. Dans les quarante suivantes, Corinna se fait dépouiller par tout le monde et par tous les orifices dans le village viking. Une suite ininterrompue de scènes de sexe, sans pause narrative, à filer le tournis. C’est trop.
Et rebelote dans le tome 2.
C’est trop de trop.
À défaut d’histoire qui tienne debout, le titre est quand même bien meilleur que Norse dans la niche des Vikings. La lecture du doublé hugdebertien vaut le coup pour le dessin exceptionnel. Hugdebert propose ici un graphisme de très haut niveau, réaliste, riche, détaillé, précis, une pure merveille. Avec en prime un travail documentaire conséquent sur le plan historique. On n’a pas affaire à des Vikings de carton-pâte : objets de la vie quotidienne, armes, vêtements, bijoux, bâtiments, drakkars, tout est conforme à la réalité historique et archéologique. De l’excellent boulot sur ce plan.
Irina
Hugdebert
La comtesse Irina fuit la Russie suite à la révolution bolchevique de 1917. Elle ne part pas les mains vides mais emporte avec elle un paquet de blé qui lui permet de refaire sa vie ailleurs.
Six pages de mise en contexte puis quarante de bacchanales bien dessinées.
Histoire d’E, Service de la reine
W. G. Colber
Parée du titre de Jouy de la Chagatte, Ella, marquise au tempérament volcanique, engage un historiographe, Manuel Heybezeur, pour écrire à quatre mains les aventures érotiques de son ancêtre Estelle.
Le récit de Colber alterne deux trames chronologiques : une contemporaine autour des frasques d’Ella et Manuel, l’autre centrée sur Estelle sous le règne de François II (1559-1560), à la cour de Catherine de Médicis (qui a air de Bernadette Chirac). Alors “récit”, c’est beaucoup dire faute de développement de l’histoire comme des personnages. Ils forniquent et c’est tout. Mais ça fonctionne grâce à l’ambiance décomplexée. Colber s’amuse – les noms des personnages sont éloquents – et assure le taf niveau dessin.
Dans le tome 2, Amélie la soubrette se joint aux ébats d’Ella et Manuel, pendant qu’au XVIe siècle la situation part dans tous les sens entre figures royales (François II, Marie Stuart), suivantes (Estelle, Yolande), cochers, palefreniers et servantes. Les scènes s’enchaînent sans rimer à rien, mais on se laisse emporter par cette frénésie copulatoire.
Les malheurs de Janice
Erich von Götha
Internationale Presse Magazine
En 1776, Janice Mc Cormick croupit dans une geôle pour s’être fait avorter. Elle a le choix entre la prison à perpétuité ou une réhabilitation comme esclave sexuelle. La seconde option est retenue sinon l’histoire s’arrêterait au bout de trois planches et on s’embarque avec Janice pour 250 pages réparties sur quatre tomes de “malheurs” qui consistent pour l’essentiel à voir la donzelle se faire partouzer par tous les trous. C’est un peu long…
Plus ou moins toujours la même scène de cul, ça devient vite répétitif (et ça le sera encore plus dans la série suivante de von Götha, Twenty, sorte de Janice bis). L’auteur sort de son chapeau des péripéties et coups de théâtre censés servir de moteur à l’histoire, sauf qu’ils sont à la fois WTF et éculés à un point que même à Hollywood ils n’oseraient pas les utiliser.
Alors y a de tout : du fouet, des soubrettes, des pirates, des carrosses, des perruques poudrées, des bas de soie, un mariage, un méchant borgne, des tricornes, comme dans un remake d’Angélique marquise des anges avec des gens tout nus. Il manque juste un scénar solide pour lier l’ensemble et surtout un sacré sens de la concision pour éviter de répéter toutes les cinq pages le même gangbang de nobliaux qui se prennent pour le marquis de Sade.
Tout ça pouvait tenir en un seul tome de 64 planches plein de bruit, de fion et de fureur au lieu de cette interminable et barbante épopée.
(À noter que j’ai lu la version antique en quatre tomes ; Dynamite a réédité la saga en deux volumes contenant chacun deux tomes, ainsi qu’en une intégrale assortie de bonus comme un dossier thématique et quelques dessins supplémentaires.)
Les carnets secrets de Janice
Erich von Götha
La Musardine
Un artbook très joli, plein de croquis tirés de la série Les malheurs de Janice. C’est beau, mais comme tous les artbooks, une fois qu’on l’a feuilleté en admirant tous les dessins, on a fait le tour. Donc dispensable sauf à être un fan absolu d’Erich von Götha, ce qui n’est pas du tout mon cas.
Diane de Grand Lieu
Hanz Kovacq
Rebecca Rills
On poursuit dans le même esprit “fouet et fessée à la fin du XVIIIe siècle” avec les aventures sexuelles de Diane de Grand Lieu, une noble vendéenne qui passe un sale quart d’heure en pleine période révolutionnaire.
Sauf qu’à la différence d’un Erich von Götha qui pompe et recrache Sade sans recul, avec beaucoup de sérieux, donc un côté malsain, Kovacq s’amuse et ça se sent. Encore plus fou qu’Hilda, un déluge ininterrompu de scènes de cul plus barrées les unes que les autres, chacune surenchérissant sur la précédente, dans une ambiance d’outrance et de démesure qui touche à la folie et par conséquent au comique. C’est tellement too much qu’on lâche tout du long des “oh quand même…” avec un sourire en coin, plutôt que des “oh putain…” avec une moue de dégoût.
Ton et ambiance décomplexés au possible, joli style de dessin qui allie ligne claire et surcharge de détails, et en prime un arrière-plan historique qui, s’il n’a aucune utilité (y a pas vraiment de scénar derrière cette bacchanale ininterrompue…), a le bon goût d’être juste dans les personnages réels évoqués, les dates, les événements, le vocabulaire et les costumes.
Bonne pioche si on aime les fantaisies délirantes qui ne se prennent pas au sérieux.
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