Avec un nom comme le sien, Giovanna Casotto aurait pu se lancer dans la compression de véhicules automobiles, mais non elle a choisi la BD, ce qui lui a été on ne peut plus profitable. Elle a en effet été au début des années 90 la première autrice à percer en Italie dans la BD érotique, un milieu exclusivement masculin ou à peu près. Une femme qui dessine et qui réussit dans ce qu’elle entreprend, un événement si impensable que certains ont laissé entendre que son travail n’était pas d’elle mais de son compagnon de l’époque, Franco Saudelli, lui-même auteur de BD. C’est marrant – enfin, façon de parler – mais un mec, jamais on aurait remis en question la paternité de son œuvre. ‘Fin bref, elle a rabattu le caquet de ses détracteurs en poursuivant avec succès son bonhomme de chemin et sa carrière.
Giovanna Casotto est une dessinatrice dont j’adore le travail. Des histoires courtes, souvent teintées d’humour, dont le personnage récurrent est un alter-ego de Giovanna qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau (beaucoup de ses dessins sont réalisés d’après des photos d’elle-même), tout en esthétique pin-up des années 50, dans un univers très marqué par le fantasme, la lingerie, le fétichisme du pied et les jeux de domination (où ce sont surtout les femmes qui jouent et les hommes les dindons de la farce).
Elle parvient à mélanger érotisme (suggestion, séduction, fantasme) et pornographie explicite, rendant caduque la distinction entre ces deux notions que personne n’est de toute façon capable de définir.
Aux éditions Vents d’Ouest
Autrice-phare du magazine italien Selen au début des années 90, Giovanna Casotto occupe en France près du quart de la collection Selen présente… éditée par Vents d’Ouest avec 7 albums à son nom sur les 30 parus entre 1996 et 2003 !
Chambre 179 (n°2)
Ma première incursion dans l’univers de Giovanna Casotto, sans savoir à l’époque que l’autrice elle-même se mettait en scène en la personne de la grande brune coquine au centre de ses histoires.
Style réaliste, ambiance fantasmatique à la fois crue et éthérée, une pointe d’humour souvent, de drame parfois, très économe de dialogues dans certaines histoires parce qu’une image vaut mieux qu’un long discours. Comme elle dit : “il disegno si racconta da sé”, le dessin parle de lui-même.
Expériences intimes (n°5)
Ces Expériences intimes auraient tout aussi bien s’intituler Expériences interdites – notez que l’un n’empêche pas l’autre, les deux vont même souvent de pair. L’ambiance, imaginative et décalée, classieuse même dans la crudité, lorgne ici vers le fantastique entre vampire, zombie et grimoire ensorcelé, et n’est pas sans rappeler l’univers fantasque d’Elvira.
Les désirs de Vénus (n°8)
Casotto nous régale avec un album de saynètes en noir et blanc, riches en triolisme et fétichisme du pied pour un mariage réussi entre réalisme, fantasme et élégance, avec en prime la petite pointe d’humour qui va bien.
Mauvaises habitudes (n°13)
Mauvaises habitudes est le titre de la première histoire d’Expériences intimes (Selen présente tome 5). Tel le naturel, elles reviennent au triple galop dans cet opus qui contient une saynète intitulée Les mauvaises habitudes 2 le retour.
Ce qu’il y a de chouette avec Casotto, c’est que même au bout de la je-ne-sais-combientième histoire, avec toujours le même personnage de brune volcanique, on ne se lasse pas. Outre la variété des situations qu’elle met en scène et du travail sur la chute de ses historiettes, il y a dans ses récits une fraîcheur et une impertinence qui font toujours mouche, un état d’esprit à la fois goguenard et bon enfant perpétuellement rafraîchissant.
Pin up libertines (n°21)
Particularité de cet album, la première histoire est en couleur, alors que tous les travaux de l’autrice présentés jusqu’ici étaient en noir et blanc. Choix graphique intéressant qui rappelle dans son rendu la colorisation des vieux films au cinéma.
On assiste à un remake de la fameuse scène de l’orgasme du film Quand Harry rencontre Sally, on fête le retour de la soubrette lubrique et de ses “mauvaises habitudes” et, outre l’arrivée de la couleur, on découvre des changements dans la gamme de Casotto avec l’introduction d’autres personnages récurrents que son avatar.
In bed with Sonia X (n°25)
Beaucoup de fantasmes BDSM lesbiens dans le plumard de Sonia X. L’avatar de Casotto se soumet tantôt aux caprices d’une autre brune, introduite dans Pin up libertines et identifiable à son carré court, tantôt à sa blonde patronne quand elle revêt ses atours de soubrette. Le tout dans un style noir et blanc agrémenté d’une touche de couleur pour faire ressortir certains détails.
Pornostars (n°26)
Parce qu’on est jamais si bien servi que par soi-même, Pornostars offre plusieurs séances de masturbation (de l’héroïne du bouquin, j’entends) en variant les plaisirs entre saynètes en noir et blanc et historiettes colorisées, des rêves, du voyeurisme, du triolisme, des tribades, une touche BDSM, et même une photo de Casotto à oilpé glissée dans l’un des récits.
Chez Eros Comix
À noter pour les fétichistes de la langue anglaise qu’entre 1997 et 2002 Eros Comix a publié aux States les histoires de Casotto en 14 volumes intitulés Bitch in Heat (poétique, délicat, raffiné…). On y trouve le même contenu que dans la collection Selen présente…, seul l’agencement diffère.
Aux éditions Dynamite
À partir de 2006, Dynamite entreprend la réédition des travaux de Casotto, augmentés de nouvelles histoires ! Youpi ! Bravo ! Hourra youkaïdi pouet pouet pimpon !
Dans l’ordre de parution : Oh ! Giovanna ! (2006), Giovanna ! Si ! (2008), Giovanna ! Ah ! (2012), Giovanissima 1 à 4 (2013-2017). Soit un total de 7 albums (comme chez Selen présente…) pour plus de 600 pages de BD (quasi le double de Selen présente…).
Le seul reproche qu’on puisse adresser à la fresque version Dynamite, c’est un ordre de publication complètement fumé dont le choix reste un mystère. Quitte à publier tous les travaux de Casotto ou à peu près, l’ordre chronologique de réalisation aurait été le choix le plus indiqué pour suivre l’évolution de son style.
Sinon, mis à part ce classement WTF, rien à redire : c’est du tout bon !
Oh ! Giovanna !
Oh ! Giovanna ! condense l’univers de Giovanna Casotto : histoires courtes sur un ton léger (le quiproquo est à l’honneur) et dans une ambiance porno chic autour de la notion de fantasme (jeux de rôles, mise en scène, déguisement) et de certains fétichismes (les pieds, surtout). Dans le lot, deux histoires sans une ligne de texte, qui prouvent bien que le dessin parle de lui-même quand on sait s’y prendre.
Giovanna ! Si !
Faux-semblants à tous les étages, entre un mari dont l’épouse n’est pas vraiment l’épouse, des voisins coincés mais pas tant que ça, une improbable publicité pour de la literie, et d’autres historiettes avec fantôme, cambrioleur ou encore macchabée rêveur. L’ambiance est très marquée par le vaudeville : hommes, femmes, tout le monde se fait baiser au propre comme au figuré et, dans cet univers fantasmatique parfait, y trouve son compte à l’arrivée.
Giovanna ! Ah !
Légèreté et humour dans la première moitié de l’album avec une Casotto en grande forme, allant jusqu’à s’autoriser une incursion dans le domaine de la SF.
Dans la seconde moitié, ambiance plus sombre, puisque la miss retrouve son personnage de servante-tueuse-à-gages, déjà mis en scène dans pas mal d’histoires de la période Selen.
Une dernière historiette vient clore ce tome, très chouette à lire, même s’il manque d’unité de thème et de ton.
Giovannissima !
Reprend les premières histoires de Casotto, pour l’essentiel en compilant Chambre 179 et Expériences intimes de feue la collection Selen présente…
Giovannissima ! Tome 2
Reprise des histoires de la période Selen, principalement les albums Pin up libertines et Mauvaises habitudes, avec toute la série éponyme (Mauvaises habitudes, donc) autour de son personnage de soubrette dominée par sa maîtresse.
Giovannissima ! Tome 3
Album tout en couleurs, avec une première histoire à la colorisation hideuse ajoutée à l’origine dans le dos de l’autrice juste avant la publication en magazine en 1996. Furax, Casotto s’est donc mise à la couleur pour s’occuper elle-même de cette étape et éviter de voir son travail bousillé par des sagouins. Assez vite, elle passe du classique “tout couleurs bien traditionnel” à un style propre qui emprunte au noir et blanc et à la colorisation.
Ce tome 3 rassemble les histoires de Pornostars et In bed with Sonia X de chez Selen présente…
Giovannissima ! Tome 4
Ce tome de conclusion de la série Giovannissima est un peu fourre-tout. Pour de la BD érotique, c’est dans le ton, me direz-vous. Au menu, réédition d’un paquet de vieilles histoires de Casotto, toutes celles jadis parues chez Selen et qui n’avaient pas encore trouvé leur place dans les autres albums de Giovannissima. S’ajoutent quelques récits inédits agréables à découvrir.
Ce tome 4 tout en noir et blanc, comme les deux premiers, est plutôt à lire avant le n°3 tout en couleurs. Cet ordre de lecture me semble un peu plus cohérent en termes d’évolution de style du Casotto que l’ordre de publication.
Artbooks
Casotto Sketch-book
B&M Edizioni
Un artbook trilingue (italien, anglais, français) plein de croquis et esquisses, ce qui n’est pas ma tasse de thé, n’ayant jamais compris l’intérêt d’éditer des brouillons. Après, l’objet peut intéresser des artistes en herbe pour les quelques dessins présentés à divers stades de finition, ce qui permet de voir l’évolution entre le premier jet et la version finale. Et si on a les autres albums de Casotto, on peut comparer les croquis de celui-ci avec le rendu final de ceux-là.
Qu’on accroche ou pas à ce type de contenu graphique, ce qui est sûr, c’est que l’ouvrage a été bien mené et propose un peu plus que des jolis dessins. De nombreux commentaires de Casotto viennent enrichir l’ouvrage, où elle évoque ce qu’elle cherche à transmettre dans ses personnages et ses BD, sa vision de l’érotisme, des fantasmes, de la féminité, etc.
Les pin-up de Giovanna Casotto
Dynamite
Dans sa version d’origine, Pin-up a été édité en Italie par 001 Edizioni avec un texte quadrilingue (italien, anglais, français, espagnol).
Au menu, du dessin à foison ! Merci Captain Obvious pour cette info révolutionnaire à propos d’un artbook. Flopée de doubles pages avec dessins en deux versions (croquis/rendu final), quelques portraits et extraits de BD, et bien sûr la maousse galerie avec les pin-up qui donnent son titre à l’ouvrage.
Il n’y aurait que ça, le titre serait, comme tous les artbooks, joli mais creux, parce qu’une fois qu’on a regardé les images, bon ben voilà. Ici, on a de la lecture en quantité avec plusieurs articles et interviews dans lesquels Casotto retrace en détail sa vie, son parcours, son œuvre, son apprentissage du dessin, ses travaux, ainsi que son regard sur la BD, sur l’érotisme, sur l’expression graphique, etc. Autant d’explications qui apportent du sens aux illustrations rassemblées et permettent à l’ouvrage de dépasser le statut de gadget. Si on s’intéresse au travail de Casotto, il s’agit d’un bouquin indispensable.
Amateurs et amatrices de BD olé-olé, rendez-vous dans les autres zones érogènes du blog…
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