Publiée entre 1996 et 2003 par Vents d’Ouest, la collection “Selen présente” regroupe trente albums de dessinateurs portés sur la chose, en majorité italiens (et autres que Manara) avec le renfort de quelques hispaniques, plus un artbook hors série. Petit tour d’horizon de ce que Selen a à nous proposer…
1 – Sex in Italie
Luca Tarlazzi
Un titre en franglais pour bien démarrer la série, corrigé pour les trois tomes suivants de Sex in Italy. Selen, héroïne de ce qu’on appellera faute de mieux “l’histoire”, c’est un peu la version adulte et délurée de Martine. En boîte de nuit, sur le parking, à la station-service, à la plage, sous la tente, chez le gynéco… Elle est partout. Et elle fornique à qui mieux-mieux. Et c’est tout.
Tarlazzi enchaîne les saynètes comme s’il suffisait de les mettre bout à bout pour créer une histoire. Spoiler : ça ne marche pas.
Même le concept laisse perplexe : Tarlazzi s’inspire d’une personne réelle, Luce Caponegro, actrice X sous le nom de Selen, mais rien dans l’album ne renvoie au monde réel ni n’évoque le lien entre le personnage et la muse. L’héroïne pourrait aussi bien être inspirée de n’importe quelle autre femme ou être complètement fictive, ce serait pareil.
Par chance, le dessin est très bon – et avouons-le, c’est ça qu’on vient chercher plutôt qu’une intrigue savamment construite –, ce qui sauve la BD.
2 – Chambre 179
Giovanna Casotto
L’univers de Giovanna Casotto a pour particularité de mettre souvent l’autrice elle-même en scène en la personne d’une grande brune coquine. Style réaliste, ambiance fantasmatique à la fois crue et éthérée, une pointe d’humour souvent, de drame parfois, très économe de dialogues dans certaines histoires parce qu’une image vaut mieux qu’un long discours, on entre ici dans un univers avec une patte bien à soi.
3 – Petites annonces
Fernando Caretta
Pétard et comédie pour ces Petites annonces qui proposent quatre historiettes humoristiques olé-olé. Sympatoche, ça fait sourire.
4 – Sex in Italy II
Luca Tarlazzi
Après un premier volume consacré aux turpitudes de la seule Selen, ce deuxième opus introduit un autre personnage féminin, la brune Françoise. L’album démarre pas mal, monte en puissance jusqu’à la moitié et là c’est le drame, Tarlazzi s’embarque dans une histoire d’anniversaire confuse, longuette et molle du genou. Son intrigue ne va tellement nulle part qu’il finit par la planter là pour partir sur du méta, avec Selen qui lui rend visite. Ni queue ni tête, dessin un cran en dessous du premier, bof, bof, bof.
5 – Expériences intimes
Giovanna Casotto
Après la visite de la Chambre 179, on poursuit la découverte de l’univers de Giovanna Casotto avec ces Expériences intimes qui auraient tout aussi bien s’intituler Expériences interdites – notez que l’un n’empêche pas l’autre, les deux vont même souvent de pair. L’ambiance lorgne ici vers le fantastique entre vampire, zombie et grimoire ensorcelé. Imaginatif et décalé, classieux même dans la crudité, tout ce qu’on aime.
6 – Nuage Blanc
Luca Tarlazzi
Un western avec pour héroïne une Amérindienne, ça aurait pu donner du lourd. Et non. La BD se perd en essayant d’être un peu tout à la fois sans aller au bout de rien. Un érotisme mais trop ténu pour apporter quoi que ce soit, ça aurait été aussi bien sans. Un peu thriller, mais ce versant est expédié sans créer de tension. Quant à la quête des origines de Nuage Blanc, elle s’achève… ou plutôt s’inachève en fin ouverte, irrésolue. Un western classique avec une suite pour boucler l’histoire aurait été une bien meilleure idée que cet album prometteur qui laisse in fine le lecteur sur sa faim à tous les niveaux.
7 – Sex in Italy III
Luca Tarlazzi
L’insatiable Luce Caponegro/Selen poursuit sa route dans la plus extrême confusion scénaristique. On pige encore moins ce qui se passe que dans le tome 2, où ça ne menait nulle part mais en ligne droite. Là, ça essaye d’aller on sait pas où, on sait pas comment, on sait pas pourquoi, on comprend que pouic au peu qu’il y a à capter tellement rien n’a de sens. Tarlazzi aurait dû se contenter de saynètes indépendantes, au lieu de bribes qui essayent tant bien que mal de se rattacher les unes aux autres, ou qui sont juste parfois juxtaposées à coups d’ellipse temporelle. Même côté cul, c’est léger, ça manque de dynamisme, de fantaisie, d’ardeur. Beau dessin, mais tout cela est si vide…
8 – Les désirs de Vénus
Giovanna Casotto
Casotto nous régale avec un album de saynètes en noir et blanc riches en triolisme et fétichisme du pied pour un mariage réussi entre réalisme, fantasme, élégance et petite pointe d’humour qui va bien.
9 – Tentatives de charme
Luca Tarlazzi
Amours furtives dans une cabine d’essayage, au détour d’une rue, au vidéoclub, ou dans la cuisine, avec du souvent du monde pas bien loin, ces Tentatives de charme sont tout autant des tentatives de ne pas se faire gauler la main dans le sac.
Tarlazzi offre ici une palette assez large en termes graphiques. On peut autant reprocher à ce volume son manque d’unité stylistique ou au contraire louer la variété qui permet de saisir l’étendue des capacités de l’artiste.
10 – Métamorphoses
Stefano Mazzotti
Des métamorphoses pour le moins éloignées de celles d’Ovide ou Actarus pour un album qui ne sait pas sur quel pied danser entre comédie et drame. La première moitié est cocasse et légère, avec quelques chutes d’histoire très prévisibles mais d’autres tout à fait inattendues et originales. La seconde moitié est plus désabusée quand elle ne vire pas carrément au drame sanglant (en un seul mot). À défaut d’unité de ton, l’album propose de beaux dessins avec de belles couleurs et un sens certain du récit court.
11 – Sex in Italy IV
Luca Tarlazzi
Pour le dernier tome de sa tétralogie, Tarlazzi propose une série d’histoires courtes. Enfin ! Fini d’essayer de bricoler un semblant de scénar-prétexte global pour tenter de relier entre elles ses scènes de cul et n’aboutir qu’à un improbable machin bancal et branlant.
Eh ben c’est pas tellement mieux en fait. Certaines historiettes parviennent à raconter quelque chose, d’autres restent un mystère, celle-ci tronquée net sans vraie fin, celle-là sortie de nulle part dans un style graphique à mille années-lumière du reste.
Au moins la BD fait enfin le lien avec sa source d’inspiration, l’actrice Luce Caponegro, nom de scène Selen.
12 – Les rendez-vous du plaisir
Stefano Natali & Store
Série d’historietttes qui fonctionnent sur le principe de la nouvelle à chute. Pas mauvais niveau narration, par contre faut aimer le style graphique un peu lavis, un peu esquisse, un peu roman photo passé à la gouache, un peu beaucoup dégueu.
13 – Mauvaises habitudes
Giovanna Casotto
Mauvaises habitudes est le titre de la première histoire d’Expériences intimes (Selen présente tome 5) de la même dessinatrice. Tel le naturel, elles reviennent au triple galop dans cet opus qui contient une saynète intitulée Les mauvaises habitudes 2 le retour.
Ce qu’il y a de chouette avec Casotto, c’est que même au bout de la je-ne-sais-combientième histoire (7 albums à elle seule dans la collection, soit près du quart des publications), avec toujours le même personnage de brune volcanique, on ne se lasse pas. Outre la variété des situations qu’elle met en scène et du travail sur la chute de ses historiettes, il y a dans ses récits une fraîcheur et une impertinence, un état d’esprit à la fois goguenard et bon enfant perpétuellement rafraîchissant.
14 – Étreintes barbares
Luca Tarlazzi
Même topo que Nuage Blanc du même auteur, sauf qu’ici on a un Celte nommé Axu à la place d’une Amérindienne. Le récit de cette BD cousine d’Alix se place sous le thème de l’errance : Axu baguenaude dans la pampa nord-italienne en cours de conquête par les Romains qui n’ont pas encore la Gaule, il croise des gens, s’installe dans des villages, vit des bouts de vie, baise, repart. Il a l’air de chercher un truc, mais ça ne paraît pas bien clair dans sa tête, pour le lecteur encore moins, et le scénariste ne semble pas savoir où il va lui-même. Dans le genre brouillon et confus, ça se pose là.
15 – Route 69
Fernando Caretta
Un road trip à la Thelma et Louise version BD érotique. Rien que les noms des personnages – Terry et Louise – disent à quel point l’auteur a pompé sur son modèle.
Faut aimer le style esquisse. C’est pas mon cas. Ite missa est.
16 – Canicules
Bernardo Muñoz
Bien fichu, très sombre, noir foncé en fait, avec chantage incesteux, meurtres, vengeances. Toute la Méditerranée catholique et sanguine – l’Italie de Selen et l’Espagne de Muñoz – résumée en un album. C’est du bon, mais je n’ai pas aimé, étant plutôt porté sur le sexe festif et joyeux, question de goût. Mais sinon le mariage entre érotisme et ambiance de roman noir fonctionne très bien.
17 – Corps à corps
Ana Miralles & Emilio Ruiz
Si on se fie à la couverture, ça a l’air super. À l’intérieur, le dessin est carrément moins précis, beaucoup trop coloré pour mes petits yeux sensibles. Donc pas du tout mon style. En prime, je ne peux pas dire que l’histoire m’ait emballé plus que ça.
18 – Démons et délices
Marco Nizzoli
Avec son titre en forme de clin d’œil à Lovecraft (Démons et Merveilles), sa datation années 20, son ambiance fantastique, sa touche Poe (La chute de la maison Usher), on s’attendait au meilleur.
On a eu le pire. Narration imbitable, dessin hideux, rien à sauver de cette purge.
Il existe du même auteur un autre ouvrage au titre approchant, Les délices du démon (Éditions Blanche). Il reprend Démons et délices qui n’est en fait que la première partie d’un récit en deux épisodes. La deuxième partie ne vaut pas mieux que la première.
19 – Chairs petits secrets
Stefano Mazzotti
Magouilles, embrouilles, faux-semblants, un album bourré de coups fourrés dans tous les sens du terme. Grâce à un jeu constant sur les apparences ou les mots, Mazzotti maîtrise l’art de rendre savoureux ce qui, en d’autres mains, n’aurait été qu’une bête compil d’histoires coquines creuses comme un trou de balle. La petite touche en plus d’ironie, de sarcasme, de sens, qui fait toute la différence entre un gribouillard lambda et quelqu’un qui connaît son affaire. Et il la connaît, Mazzotti !
20 – Sévices compris
Luca Tarlazzi
Vingtième opus de la collection, Sévices compris est rigoureusement identique dans l’esprit à son prédécesseur immédiat dans l’ordre des publications, Chairs petits secrets. Faux-semblants, illusions, magouilles, fantasmes, toujours entre le rêve, la réalité ou une version quelque peu arrangée de cette dernière. Même esprit donc, mais avec moins de fond et de fun chez Tarlazzi que chez Mazzotti, d’où une lecture sympa sans être renversante non plus.
21 – Pin up libertines
Giovanna Casotto
Valeur sûre de la collection Casotto remet le couvert. Particularité de cet album, la première histoire est en couleur, alors que tous les travaux de l’autrice présentés jusqu’ici étaient en noir et blanc. Choix graphique intéressant qui rappelle la colorisation des vieux films au cinéma.
On assiste à un remake de la fameuse scène de l’orgasme de Quand Harry rencontre Sally, on fête le retour de la soubrette lubrique et de ses “mauvaises habitudes”, on découvre d’autres changements dans la gamme de Casotto avec d’autres personnages que son avatar.
L’album est bon, même si un poil en-dessous des autres, pas tant parce qu’il est différent – le renouvellement est bienvenu – mais parce que l’évolution du travail de Casotto n’est pas encore tout à fait rodée à ce stade.
22 – Illusions coquines
Ignacio Noé
Manuela est mannequin et prend des cachets pour maigrir, cachets qui ont des effets secondaires aussi hallucinogènes qu’aphrodisiaques.
Si le titre annonce des illusions à foison, je n’en avais pour ma part pas des masses en me lançant dans cette lecture. Ça sentait l’album plein d’onirisme, qui est certes propice à toutes les fantaisies mais souvent hors sol à un degré tel qu’il finit par ne plus rimer à rien. Alors de l’onirisme, y en a, mais il a ici du sens pour refléter les débats (et les ébats) entre Manuela et sa conscience. L’album livre aussi quelques passages sur des thèmes sociétaux (l’abus de position dominante des figures d’autorité masculines, la culture du viol, le diktat de la maigreur, la médication à outrance au moindre pet de travers). Et tout ça avec du cul en pagaille. Voilà donc une BD qui respecte son contrat, avec intelligence par-dessus le marché.
NB : cet album existe aussi chez Dynamite sous le titre La Diète.
23 – Soumission impossible
Stefano Mazzotti
Autant j’ai bien aimé les autres albums de Mazzotti dans la collection, autant celui-ci m’a laissé de marbre. Plusieurs histoires en costumes (XVIIIe et XIXe), dont la première est aussi longue – un tiers de l’album – qu’ennuyeuse, des brouettes de texte qui racontent ce qu’on voit à l’image, donc merci le doublon (pour faire ça, tu mets pas de texte ou pas d’image, mais les deux pour dire la même chose, ça sert à rien, hein). À l’arrivée, c’est mon intérêt pour ce volume qui a été impossible.
24 – Docile adorée
Stefano Natali
Docile adorée, c’est une de ces BD érotiques à sketches ni bonne ni mauvaise qu’on lit en pilote automatique. Cet album a le grand mérite d’être économique : oubliable à souhait, on le redécouvre à chaque relecture, même au bout de cinq ou six fois.
25 – In bed with Sonia X
Giovanna Casotto
Beaucoup de fantasmes BDSM lesbiens dans le plumard de Sonia X. L’avatar de Casotto se soumet tantôt aux caprices d’une autre brune, introduite dans Pin up libertines et identifiable à son carré court, tantôt à sa blonde patronne quand elle revêt ses atours de soubrette. Le tout dans un style noir et blanc agrémenté d’une touche de couleur pour faire ressortir certains éléments.
26 – Pornostars
Giovanna Casotto
Parce qu’on est jamais si bien servi que par soi-même, Pornostars offre plusieurs séances de masturbation (de l’héroïne du bouquin, j’entends) en variant les plaisirs entre saynètes en noir et blanc et historiettes colorisées, des rêves, du voyeurisme, du triolisme, des tribades, une touche BDSM, et même une photo de Casotto à oilpé glissée dans l’un des récits. Très bon opus de l’autrice phare de la collection.
27 – Contrôle de peau lisse
Giuseppe Manunta
Le calembour hilarant (ou pas) du titre laissait présager d’un ton comique. Il n’en est rien. On se situerait même plutôt à l’opposé, dans le désabusé et les illusions perdues.
Florilège d’histoires sans lien entre elles, c’est gentillet, c’est inoffensif, ça ne mange pas de pain, et donc c’est vite oublié parce qu’assez lambda au final.
Certaines histoires de cet album et du suivant se retrouvent dans le recueil Quand Cupidon s’emmêle.
28 – Les butineuses
Giuseppe Manunta
Même chose dans les grandes lignes que l’album précédent, si ce n’est que l’ambiance est ici plus légère avec une narration type nouvelle à chute sur le thème de l’arroseur arrosé. Sympathique sans être impérissable.
29 – Sur le bout de la langue
Fernando Caretta
Un album fourre-tout, c’est dans le ton pour une collection érotique. Après, est-ce qu’on y trouve son compte en tant que lecteur ? J’en suis moins sûr. Prédomine plutôt l’impression d’une compil bricolée avec les fonds de tiroir. La couleur côtoie le noir et blanc, le style réaliste cohabite avec le cartoon, on cherchera en vain une unité graphique à cette BD pas oufissime.
30 – La baronne avale la fumée
Stefano Mazzotti
Entre illusions, mensonges et erreurs, voilà une bonne fournée d’histoires courtes, qui ont toutes quelque chose à raconter du quotidien et de la société au-delà de leur mise en scène scabreuse : hyperconnexion envahissante jusque dans les moments intimes, façade BCBG des repas familiaux où chacun raconte moins la vérité de sa vie qu’un mythe, livraisons de La Poste à la mauvaise adresse…
Bien vu de la part de l’auteur d’avoir joué sur les deux tableaux. En règle générale, l’histoire n’est qu’un prétexte pour mettre du cul (et c’est le cas ici aussi), mais Mazzotti a renversé la vapeur en utilisant le cul pour parler d’autre chose dans son sous-texte.
Et là on est en droit de se demander pourquoi l’éditeur a affublé l’ouvrage d’un titre aussi potache qui semble tout droit sorti du cinéma X des années 70 ?
HC – Girls, girls, girls
Dominique Wetz
Un artbook avec plein de dessins dedans (normal pour un artbook, me direz-vous) et un peu de texte histoire d’en mettre. Des pin-up à toutes les pages, un beau coup de crayon et euh… ben voilà, c’est tout. Les artbooks, t’as vite fait le tour de la question une fois que t’as dit que c’était joli ou pas.
Amateurs et amatrices de BD olé-olé, rendez-vous dans les autres zones érogènes du blog…
Recueils de chroniques :
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