Aujourd’hui, le blog accueille Patrick Mc Spare pour une interview réalisée sans masque, parce qu’avec une distanciation sociale de 950 kilomètres, on pouvait s’en passer, on ne risquait pas trop de se postillonner dessus.
Il est de bon ton de commencer une interview par une question de présentation où l’auteur raconte sa vie et son œuvre. Au bout de la huit millième occurrence, cette question lasse quelque peu les auteurs. Or donc on se contentera de dire que Patrick Mc Spare fait partie de ces écrivains “qu’on ne présente plus”. Et si vous tenez quand même à avoir une présentation en bonne et due forme du bonhomme et de son pedigree, vous la trouverez dans une interview précédente réalisée à Palm Springs (on a de gros moyens sur ce blog), ainsi que sur le blog de ma consœur Ginette lit des livres, qui n’a pas pu se joindre à nous pour cet entretien (on pense fort à toi, Ginette, cœur avec les doigts !).
Un K à part : Salut, Patrick, prêt pour la séance de torture ?
Patrick : Bonjour Fred ! Content de te retrouver pour de nouvelles aventures post-apocalyptiques, oui, il fallait bien que je place l’expression dès le début afin d’être en harmonie avec l’ambiance mondiale actuelle.
K : Pas sûr que l’ambiance actuelle soit tellement plus apocalyptique que ce qu’elle était, vu qu’on avait déjà les mêmes humanistes à la tête de la planète avant le Covid. Les Trump, les Macron, les Poutine, les Johnson, les Jinping, les Erdogan… Bon, comme on n’est pas là pour parler écologie, production de déchets et difficulté à les recycler, je propose qu’on se penche sur ton actualité plutôt que sur celle d’un monde qui n’a que ce qu’il mérite. Qu’est-ce que tu nous ramènes de beau dans ta musette ?
Patrick : Mon escape game Versailles écrit pour Hachette et Makma vient de paraître, avec trois scénarios se déroulant en 1680 (Louis XIV), 1758 (Louis XV) et 1785 (Louis XVI). Le testament de Charlemagne sera, lui, publié chez Bragelonne dans la première quinzaine de janvier (sauf décalage dû aux restrictions sanitaires). Puis le tome 1 de Pré-mortem, ma nouvelle saga fantastique, paraîtra en mars aux éditions Leha. Courant 2021, sortiront également le tome 3 de Totem Tom chez Gulf Stream et plusieurs albums BD que j’ai scénarisés pour L’Histoire de France en BD de Hachette. Mais, concernant ces derniers titres, je n’ai pas encore de dates précises.
K : Ah ouais quand même ! Moi qui croyais qu’un auteur, ça passait son temps sur une chaise longue à siroter des piñola coladas dans la lumière vespérale en attendant que l’inspiration vienne lui chatouiller les poils du derrière…
Une chose frappante dans ton actu – comme dans la majeure partie de ta biblio en fait – c’est la place qu’occupe l’Histoire. Ça vient d’où cet intérêt pour la chose historique ? Traumatisme d’enfance dû à un prof d’histoire-géo pendant ta scolarité ? Fainéantise d’auteur pour n’avoir que la moitié du récit à inventer et piocher l’autre moitié prête à l’emploi dans la mine des faits historiques ? Ou une troisième raison un peu plus profonde et un peu moins douze millième degré ?
Patrick : Ta première supposition a tapé dans le mille ! Mon prof d’Histoire de CM1 était un démon fomoré actif depuis le Ve siècle. Je surpris son secret en revenant de faire pipi, alors qu’il s’entretenait à voix basse avec la directrice, une humaine vouée à son culte. Je décidai illico de repérer les faits historiques étranges sous couvert d’une activité d’écrivain, ce qui me permettrait de négocier avec d’autres Fomoré, peut-être plus sympas que mon prof, pour accéder moi aussi à l’immortalité.
Et, hormis au douze millième degré, j’aime l’Histoire parce qu’elle reste à jamais le plus épique des récits d’aventure, plein de démesure, de grandeur et de bassesse, de courage et de lâcheté, de mégalomanie, de toutes les passions humaines. Ça, c’est mon opinion en tant qu’individu. Comme romancier, j’ai un mot-clé : « vraisemblable ». Je conçois parfaitement qu’on apprécie de lire ou d’écrire de la fantasy en apparence déconnectée de notre monde mais, de mon côté, je préférerai toujours un cadre réaliste. Lorsque j’avais huit-neuf ans, je me passionnais pour l’ère médiévale. Il existait alors un petit format BD nommé Ivanhoé. Un personnage fictif, mais qui évoluait dans une période historique authentique sous la talentueuse plume du scénariste Roger Lécureux. Quand je lisais Ivanhoé, j’avais la certitude que ses aventures étaient vraiment survenues dans un lointain passé. Aujourd’hui, je poursuis un but identique. J’aime écrire des récits où la fiction s’intègre au réel.
K : Comment tu bosses tes recherches historiques de façon générale ? C’est-à-dire les traits communs de méthodologie pour tous tes romans qui ont demandé un travail de recherches ?
Pour illustrer la théorie avec du concret, dans le cas du Testament de Charlemagne, comment tu as travaillé ? Sur quoi tu t’es appuyé comme matériau et comme sources, historiques ou non ?
Patrick : En matière de scénario historique, je détermine d’abord une période qui me plaira. Ensuite, je crée les grandes lignes d’un scénario tout à fait original et j’invente les principaux personnages (à une exception près jusqu’à ce jour, dans Le testament de Charlemagne, justement, où le héros a réellement vécu). C’est ensuite que je me mets à définir les détails de mon cadre historique. Et, n’étant pas historien de formation, j’ai parfois besoin d’une ample documentation.
Pour Charlemagne, j’ai bâti l’intrigue de façon habituelle, mélangeant les personnages de mon invention avec ceux qui ont existé. Dès 2016, quand j’écrivais Mérovingiens, je savais que je m’attellerai plus tard à un roman s’appuyant sur la deuxième dynastie des rois de France. Un embryon de scénario me trottait donc en tête depuis un certain temps déjà. Concernant le côté historique, je me suis dans un premier temps penché sur Wikipedia, qui a l’avantage d’offrir une vision globale et donc de faire gagner du temps aux auteurs. Puis, une fois débroussaillé le terrain, j’ai pioché des précisions sur Imago Mundi, Herodote et Muturzikin concernant les Basques. Enfin, j’ai compulsé plusieurs livres : Charlemagne, empereur et roi, de Georges Bordonove, Charlemagne, volume 1, de M. Capefigue, Quelques mots sur l’ancien Bayonne, d’Henry Poydenot, La royauté et les élites dans l’Europe carolingienne, sous la direction de Régine Le Jan et Histoire des Francs volume III, du comte de Peyronnet. Le but de toutes ces recherches consistait avant tout à respecter l’exactitude du contexte historique.
K : Au-delà des faits historiques et des détails civilisationnels qui restituent le background, comment tu procèdes pour t’imprégner de l’ambiance d’une époque et pour la rendre ? C’est quoi ton secret pour qu’un lecteur ou une lectrice se sente dedans et se dise “on a vraiment l’impression d’être à l’époque de Machinchouette” ?
Patrick : À l’instar de pas mal d’auteurs, j’écoute de la musique lorsque j’écris (donc, presque tous les jours). Mais je l’écoute à fort volume. Je sélectionne des groupes ou des instrumentaux spécifiques correspondant, pour moi, à l’ambiance du récit dans lequel je me lance. Par exemple, pour Charlemagne, je me passais en boucle des morceaux de Rammstein, lents pour les séquences calmes et speed pour les scènes d’action. Certes, Rammstein ne donne pas particulièrement dans la musique médiévale, mais ce sont les sonorités, en l’occurrence râpeuses et gutturales, et l’énergie dégagée qui comptent. Ce procédé me permettait de m’immerger au maximum, il me semblait percevoir dans chaque mélodie le bruit des sabots des chevaux, les clameurs de la foule, les épées qui s’entrechoquaient, le feu des torches qui bruissait dans la nuit, le rugissement terrifiant de l’assassin démoniaque, autant de ressentis qui font qu’on croit à ce qu’on écrit au moment où on l’écrit. Sans musique, je pense que j’aurais plus de mal à changer de réalité. J’espère que cette méthode de travail rock’n’roll suffit pour que mes lectrices et lecteurs partagent mes impressions capturées à fleur de page.
K : Il existe des tas de façons de mixer Histoire et fiction : histoire romancée (Les Rois Maudits de Druon et son équipe de porte-plumes), fiction historicisée (La Chartreuse de Parme de Stendhal), mélange des genres (par exemple la SF avec La patrouille du temps de Poul Anderson, la fantasy pour Le Lion de Macédoine de Gemmell ou Le Commando des Immortels de Lambert), uchronie (qu’on trouve beaucoup en steampunk), etc. Quand on regarde ta biblio (notamment Haut-Conteurs, Bathory, Héritiers de l’Aube et Mérovingiens), tu serais du genre à mixer les façons de mixer. À part le pur roman historique, est-ce qu’il reste des pistes que tu n’as pas encore explorées ?
Patrick : Alors, ta question m’est une amusante surprise dans le sens où Mérovingiens et Le testament de Charlemagne sont pour moi de purs romans historiques, mais où ça bouge beaucoup. Après tout, l’Histoire est un interminable thriller. Mon projet suivant se situera dans le même registre et s’appelle, pour l’instant, Nous mourrons pour Cœur de Lion. Mais il me reste quand même des pistes à explorer, un polar historique, par exemple. « Mixer les façons de mixer » est une expression que j’apprécie beaucoup. Tu as dit un jour qu’il était bon de croiser les effluves. Je suis tout à fait d’accord. Bien que j’aime sans réserve Les rois maudits, je ne me vois pas procéder selon le même mode. Mis à part Comtesse Bathory où je souhaitais m’inscrire dans la tradition littéraire fantastique, quand je pars sur un roman historique, j’ai plutôt envie d’intégrer des éléments « modernes » (agents secrets pour Mérovingiens, crimes en série pour Charlemagne) et, toujours, de privilégier l’aventure mouvementée.
K : Puisqu’on baigne dans les références historiques… Dans l’Athènes classique étaient exclus de la politique les femmes, les mineurs, les esclaves et les étrangers, soit plus des trois quarts de la population hors jeu.
Au XXIe siècle, en France, la mentalité de la république des Lettres fonctionne sur le modèle de la démocratie (sic) athénienne : ouverte à tous du moment qu’elle reste oligarchique et élitiste. Quiconque s’adresse à un public féminin, ado, prolo et/ou non littéraire de formation ne produirait pas de la “vraie” (re-sic) Littérature avec un grand L et un melon XXL. Toi, tu mélanges le noble matériau historique aux “mauvais genres” : fantasy pour les Haut-Conteurs, fantastique pour Bathory, thriller pour Mérovingiens, avec toujours un parfum d’aventure et de cape et épée. On ne peut pas davantage avoir les deux pieds ancrés dans la littérature dite populaire. Si j’en crois Wikipedia (cf. définitions ci-dessus) et “l’institution littéraire”, tu écrirais donc de la daube simpliste pour des lecteurs bébêtes. C’est pas l’impression que j’ai eue en lisant tes bouquins, mais ça n’engage que moi. Je suppose que tu as un avis “un peu” différent de celui de l’establishment sur ton travail d’auteur et sur l’art littéraire offert au plus grand nombre ?
Patrick : Tu supposes bien. J’ai passé ma prime jeunesse à dévorer des BD au rythme feuilletonesque et des romans dits populaires. Je conserve ma tendresse à ces fictions élaborées par de modestes artisans qui maîtrisaient souvent leur art avec brio. Nous tous qui œuvrons dans la « paralittérature » sommes des créateurs et les créateurs manient le merveilleux. Je n’ai nul besoin de me sentir adoubé par une élite de salon. Si je me forçais à les lire, les productions des gens que tu évoques me tomberaient souvent des mains. À quoi bon être écrivain si on ne raconte rien, si on ne délivre que des monologues nombrilistes ? Moi, je veux distraire en inventant des histoires (d’où cet omniprésent parfum d’aventure et de cape et d’épée), ce qui implique la construction d’un scénario solide. Cela va d’ailleurs de pair avec une exigence de style, n’en déplaise aux apôtres du nombrilisme. Je n’ai jamais bâclé l’écriture d’un roman sous prétexte qu’il s’adressait censément à des ados ou appartenait à un genre boudé par les plateaux télés. Car, quel que soit son champ d’exploration, un écrivain qui écrit mal est un faux écrivain. Pour conclure, je dirai que les tenants de l’oligarchie du livre peuvent continuer de se gargariser. Ça n’a aucune importance. Nous sommes des faiseurs, eux sont des poseurs.
Merci pour cette interview, Fred !
K : Merci à toi d’avoir répondu à l’appel et à bientôt pour la chronique du Testament de Charlemagne.
- Page Facebook de la star du jour : Patrick Mc Spare – Patrice Lesparre
- Sur le blog :
- Chroniques :
- Interviews :
- Bidouillages graphiques :