Comtesse Bathory – Patrick Mc Spare

Comtesse Bathory
Patrick Mc Spare

Panini Books

D’après la légende, Erzébeth Bathory (1560-1614) aurait assassiné jusqu’à 650 personnes, en majorité des jeunes femmes vierges, pour se baigner dans leur sang et accéder ainsi à l’immortalité. Du côté des historiens, on garde les pieds sur terre, la tête sur les épaules, et les mains en l’air, plus personne ne bouge !
Hum… On se calme… Si l’existence de la comtesse hongroise ne fait aucun doute, les “bains de sang” au sens le plus littéral appartiennent à la légende noire forgée un siècle après sa mort. Le nombre de ses victimes reste sujet à débat chez les spécialistes. Certains vont même jusqu’à avancer le chiffre de zéro, arguant que les accusations envers Bathory auraient été montées de toutes pièces pour l’écarter du pouvoir et faire main basse sur ses terres et sa fortune. Issue d’une vieille famille riche et influente, gouvernant seule après la mort de son mari, en bisbille avec les Habsbourg, tu m’étonnes qu’elle en ait dérangé plus d’un, la Bathory.
Toujours est-il qu’entre histoire et folklore, la comtesse sanglante, c’est du pain bénit pour les auteurs… avec en contrepartie le risque de ne rien apporter à ce qui a été déjà raconté par d’autres. Un peu comme les récits de vampires dont les trois quarts ne font que paraphraser Dracula.
L’ouvrage de Patrick Mc Spare tient-il ses promesses ? Si non, pourquoi ? Si oui, comment ? Le sang est-il immortel comme l’annonce la couverture ? Est-il possible de se lécher le coude sans se déboîter l’épaule ? Réponse à toutes ces questions – sauf la dernière – dans la chronique !

Couverture Comtesse Bathory Le sang est immortel Patrick Mc Spare Panini Books

Achtung! Si vous avez lu les ouvrages jeunesse de Mc Spare, on s’aventure ici dans un autre esprit. Il y a du sang, des morts à foison, du sexe à toison, une ambiance très noire, bref Comtesse Bathory s’adresse aux grands, pas aux collégiens. Pour autant, le bouquin ne détonne pas dans la bibliographie du bonhomme avec un récit qui puise beaucoup dans l’Histoire. Infatigable voyageur temporel, le gars Patrick a visité le Ve siècle clodovicien (Mérovingiens), le Moyen Âge (Les Haut-Conteurs), l’Angleterre victorienne (Victor London), allant jusqu’à croiser les effluves et les époques avec sa série Les héritiers de l’aube.
Le versant historique de Comtesse Bathory est bien troussé. Je n’ai rien vu dans le texte qui ait heurté mes connaissances sur la Hongrie à la charnière des XVIe-XVIIe siècles. Histoire (c’est le cas de le dire) de parfaire ma culture générale, je me suis livré à quelques vérifications sur des points que j’ignorais. Résultat : l’auteur a tout bon. En tout cas dans les grandes lignes ainsi que les détails qui apportent à son cadre réalisme et crédibilité.
Sur le plan du roman historique, Comtesse Bathory tape donc dans le mille. Le lecteur standard, pas spécialiste de la Hongrie du XVIIe siècle, ne se sentira pas perdu ou obligé d’aller sur Wikipedia à chaque ligne. Le bouquin contient toutes les infos pour capter le décor, le contexte politique et religieux, la géographie, sans tomber pour autant dans le travers de l’exposé barbant.
Après, Mc Spare a bien sûr bidouillé l’historicité pour coller au genre littéraire du fantastique (donc avec des éléments surnaturels) et pour répondre à certains impératifs de narration. L’ouvrage étant une œuvre de fiction et pas un essai universitaire, user de licence poétique n’a rien de scandaleux. Et puis, ce que j’aime chez Mc Spare, c’est la façon dont il se sert de l’Histoire. Il y touche au fond assez peu, pour insérer la fiction en creux, là où les sources font défaut, là où la trame chronologique est pleine de trous, c’est-à-dire là où l’imagination prend le relais.

Ce que je dis de la façon dont l’auteur joue avec l’Histoire vaut aussi pour sa façon de mener son histoire. Toujours entre vérité et fiction, même aux yeux des personnages. Difficile de détailler le sujet sans spoiler comme un malade… Toujours est-il que beaucoup d’éléments qui passent pour surnaturels ne le sont en rien et relèvent de la manipulation ourdie par tel ou tel personnage pour asseoir sa domination sur les crédules. Le lecteur, lui, voit que c’est bidon, puisque l’astuce est révélée dans le texte. Mais… Concernant d’autres éléments surnaturels, présentés comme tels et pas démentis, est-ce qu’on n’est pas manipulé par l’auteur ? Les pouvoirs magiques sont-ils de la vraie (sic) magie ou s’agit-il de mesmérisme, d’hallucinations ou d’auto-persuasion ?
On se situe là au cœur du fantastique, coincé entre le rationnel et une tonne de points d’interrogation, avec deux conclusions possibles, aussi valables l’une que l’autre. Soit le sang rend immortel, soit tout cela n’existe que dans la tête des personnages qui sont mûrs pour l’asile.
Ce n’est pas pour rien si une des thématiques du roman tourne autour de l’emprise. Celle du sorcier Cadevrius sur ses disciples, dont Bathory et un taré qui se prend pour Gilles de Rais (aucun lien de parenté avec Odile, il est fils unique). Celle de Bathory sur ses sbires sortis d’un vieux film de la Hammer (Ilona la rebouteuse et le nain Ibis qui a un côté très Igor). Celle d’Anna la nécromancienne sur Bathory en jouant sur ses sentiments amoureux. Emprise enfin de l’auteur sur le lecteur, qu’il balade bien comme il faut. Petit canaillou, va !

Puisque je cite Darry Cowl les noms des personnages, arrêtons-nous dessus. Je ne vais pas tous les passer en revue, lisez le bouquin, vous apprendrez à connaître la bande au complet.
Le roman suit deux groupes distincts. D’un côté, les “méchants” autour de la comtesse. De l’autre, les ““““gentils”””” lancés à leurs trousses, avec beaucoup de guillemets, parce qu’ils repasseront pour la gentillesse et la bisounourserie. Bien vu niveau narratif pour alterner les points de vue et varier l’action. Bien joué aussi sur les caractères. Comme dans un western spaghetti, il n’y a pas de vrais gentils. Les mercenaires qui pourchassent Erzébeth ne sont pas motivés par la justice à apporter à ses crimes mais par l’argent. On croise dans leur groupe du violent, du menteur, du vénal, du fanatique religieux, du tortionnaire, soit une belle brochette d’enflures. Très bonne idée pour éviter au roman de virer manichéen ou benêt avec une comtesse en mode super-vilaine face à de preux chevaliers aux valeurs et à l’armure rutilantes. Ici, tout le monde est gris. Foncé.

La comtesse, la fameuse, donne lieu à un portrait de femme intéressant. Comme je viens de le dire, Mc Spare a esquivé l’écueil de la méchante de foire, caricaturale à l’excès. Autre point, il n’est pas non plus parti d’une princesse Disney nunuche qui basculerait du Côté obscur. Quand le roman démarre, Bathory nous est présentée comme une femme à poigne, habituée à tenir les rênes du pouvoir quand son mari part guerroyer contre les Ottomans. On prend l’affaire en route, puisqu’elle a déjà commencé à glisser vers les ténèbres. Juste un orteil, pas encore le grand plongeon, mais voilà, le processus est en route. Je trouve l’idée bien pensée pour entrer dans le vif du sujet, plutôt que nous montrer l’évolution dans son intégralité depuis le tout début, ce qui serait long et ennuyeux.
On va découvrir et suivre une femme de pouvoir, dans un milieu où ledit pouvoir est à 99,99% aux mains des hommes. Une femme tiraillée entre son éducation chrétienne et ses penchants aussi bien sadiques que saphiques (c’est fou ce qu’on peut faire avec un manche de fouet…). Une femme terrifiée à l’idée de mourir, au point de s’aventurer sur la voie de la noirceur pour repousser l’échéance fatidique. Si petit à petit, Erzébeth finit par prendre son pied à commettre les pires atrocités, elle n’en garde pas moins un côté humain à travers sa facette de mère inquiète pour ses enfants. Elle est aussi capable d’amour envers Anna, la sorcière nymphomane. Autant dire une personnalité complexe et c’est tant mieux, parce que tout le bouquin repose sur elle. Mc Spare a opéré les bons choix, un autre traitement aurait été trop monolithique.

À la base, on m’avait prêté le bouquin (merci Adeline) ; à l’arrivée, j’ai fait le tour des bouquinistes pour mettre la main dessus, il mérite de trôner dans ma bibliothèque.
Si vous aimez les récits fantastiques sombres et glauques, si vous n’avez pas froid aux yeux ni aux miches, Comtesse Bathory assure le job avec panache et apporte du sang neuf à la légende d’Erzébeth.

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