Ce samedi, double virée livresque en la bonne ville d’Abbeville avec madame ma mère. Bouquins, fous rires et bonne humeur ! Viens là que je te raconte l’épopée !
Savonnette begins
Abbeville m’a vu naître. Soit la plus grande catastrophe que la ville ait connu depuis les bombardements allemands du 20 mai 1940.
Abbeville m’a vu grandir. C’est en son sein rebondi (pouet pouet) que j’ai lu mes premiers livres. Je ne remercierai jamais assez ma mère d’avoir encouragé mon hyperlexie et glissé des bouquins (ainsi que des Lego) entre mes doigts boudinés de jeune garnement. Les mythes grecs pour commencer (des histoires de meurtres et d’incestes, bonjour l’éducation…), des livres d’histoire (toute la collection La Vie privée des hommes chez Hachette), un dictionnaire, une encyclopédie… Je savais à peine me torcher les fesses que tout ça je l’avais lu et relu.
C’est aussi à Abbeville que j’ai commencé à écrire mon premier bouquin. Entre le CM2 et la sixième, pendant les grandes vacances, je m’étais lancé dans une Histoire universelle… jamais terminée, vu que le projet était “un peu” ambitieux. Déjà tout petit, le sens de la mesure et moi, on faisait chambre à part.
Plus tard, il y eut les premiers nouvelles avec de l’imaginaire dedans (fantasy, science-fiction, fantastique). Terré dans le sous-sol de la maison familiale, je les tapais à la machine une première fois et ensuite, tel un petit Rain Man littéraire, je recomptais les signes de chaque ligne pour ajouter des espaces par-ci par-là avant de les retaper en justifié fait main. Quand on n’a pas de vie sociale, on s’occupe comme on peut…
L’informatique fit de moi un pionnier de la PAO et de l’auto-édition moderne. Des textes tapés sur un Amstrad, tirés sur une imprimante à aiguilles et reliés à l’agrafeuse : le grand luxe éditorial (en tout cas dans les années 80) destiné à quelques happy few.
Depuis, j’ai bourlingué de par le vaste monde, de Lille à Kyoto en passant par l’Hadès, mais c’est resté. Lire et écrire.
Tout ça pour dire deux choses :
1) Abbeville occupe une place particulière dans mon parcours livresque. C’est ma Gotham City, l’endroit où tout a commencé pour le dark knight des lettres, avec juste un peu moins de chauves-souris, de muscles, de costume et de blé que Batman. Raison pour laquelle j’essaye de ne manquer aucun événement littéraire sis dans ma ville natale (en particulier le salon du livre en mars).
2) Merci maman !
Étape n°1 : bourse aux livres
Samedi 8 juin, on démarre de bon matin avec la bourse aux livres de la bibliothèque municipale. Pour ceux qui connaissent le coin, l’événement avait lieu au parc d’Émonville, et pour ceux qui ne connaissent pas, pareil, c’était au même endroit.
Cadre sympathique d’hôtel particulier du XIXe siècle et bouquins à foison pour pas cher : 50 centimes le volume, on aurait tort de se priver.
Les bourses aux livres sont souvent le lieu d’un joyeux foutoir d’ouvrages pêle-mêle, là non : des piles classées par thèmes, pratique pour s’y retrouver sans passer deux cents heures à soulever des livres, encore des livres et toujours des livres. Étant gaulé comme une merguez, j’ai apprécié de ne pas fatiguer les muscles que je n’ai pas. Merci saint Dewey et ses apôtres bibliothécaires !
Mes emplettes :
– Les deux tomes de Rome et la conquête du monde méditerranéen de Claude Nicolet. La collection Nouvelle Clio des PUF fournit d’excellents manuels pour les étudiants en histoire. Je la conseille aussi aux écrivains qui cherchent une documentation historique sérieuse. J’ai conservé ceux de ma jeunesse estudiantine (entre autres Grèce classique et monde hellénistique, mon champ de recherches à l’université) et quand j’en trouve à pas cher, je complète ma bibliothèque.
– La vie quotidienne au Japon à l’époque des samouraï 1185-1603 de Louis Frédéric. Dès que je vois samouraï et Japon dans le titre, je craque, même si j’avoue n’attendre pas grand-chose de ce bouquin. Moitié à cause de la faute dans le titre : quand on francise samurai en samouraï, on met un s au pluriel. Moitié à cause des bornes chronologiques étranges, perso je serais allé jusqu’à la réforme Meiji. On verra bien ce que ça donne.
– Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe siècles) de Robert Muchembled, un classique de l’histoire de mentalités. Un de ces quatre, je chroniquerai son Histoire du diable (XIIe-XXe siècle), qui vaut le détour.
– Les esclaves en Grèce ancienne d’Yvon Garlan, un historien dont je conseille la lecture aux auteurs de fantasy à tendance antique (pour la partie castagne, La guerre dans l’Antiquité et Recherches de poliorcétique grecque sont des incontournables pour rendre crédibles sièges et batailles).
– Le guide bleu Afrique Occidentale Française et Togo pour préparer mes vacances en 1924. Le tourisme dans l’espace, c’est has-been, je préfère voyager dans le temps. Ouvrage collector, plus édité depuis 1960, une mine d’informations pour scénarios de jeu de rôle et travaux d’écriture.
Étape n°2 : salon jeunesse
Deuxième étape, la troisième édition des rencontres autour du livre jeunesse. Un salon jeunesse place Max Lejeune, notez le sens de l’à-propos ! Je suis curieux de savoir quelle serait la thématique d’un événement littéraire dans la rue à Borel. Pour ceux qui n’auraient pas pris ancien français LV2 au collège, un borel, c’est un bourreau et celui d’Abbeville logeait dans la rue en question.
Or donc, la place était déserte, la faute à la météo. D’après France 2 et son inénarrable sens de la linguistique, des rafales de vent (précision utile pour éviter la confusion avec des rafales de mitrailleuse) accompagnées de gouttes de pluie (des fois qu’on confonde avec des gouttes de poivrons ?). Moi j’appelle ça non sans ironie le “ciel rieur de Picardie”. Dans la langue du cru, on dit un temps d’brin.
Pour échapper aux éléments déchaînés/en furie/autre cliché à ta convenance, la bande d’auteurs avait effectué un repli stratégique dans la librairie Studio Livres, organisatrice du salon.
(Apparté : une des grandes manies locales consiste à appeler les échoppes non par leur nom actuel mais par celui du propriétaire précédent assorti de la mention “anciennement”. Donc pour ceux qui ont encore du mal avec la géographie abbevilloise, Studio Livres est situé place Max lejeune, anciennement place de l’hôtel de ville, là où se tenait la librairie anciennement Ternisien, anciennement Ternisien-Duclercq, anciennement Duclercq Majuscule, anciennement Duclercq, et ainsi de suite jusqu’à remonter à l’invention du papier en 1302 par Jehan Aquatre, qui laissa son nom au format 21 x 29,7.)
Accueil chaleureux, ambiance feutrée, conviviale et détendue, loin des machines sans âme à entrée payante.
Des vannes, des fous rires, des pansements rigolos, du rouge à lèvres, des photos marrantes (ou compromettantes, c’est selon), des grimaces, des clins d’œil, des potins de salon plein la musette (dites-vous qu’après ce compte-rendu, quatre heures de taf de maître-chanteur m’attendent, quel week-end de forçat, les amis !), des retrouvailles avec Sophie Jomain (qui m’a accordé la place d’honneur, puisque j’ai passé les trois quarts du salon à ses côtés) et Enel Tismaé, une rencontre avec Mélie (avec le recul, je me demande si la pluie n’était pas de son fait parce que Mélie met l’eau, c’est bien connu).
Les achats de bibi : du Jomain (Pamphlet contre un vampire), du Jomain (Fais-moi taire si tu peux !) et encore du Jomain (le tome 2 illustré des Étoiles de Noss Head comme cadeau pour maman, qui adore les dessins de Marie-Laure Barbey). Et tant qu’à grenouiller dans une librairie, petit crochet par le rayon SFFF pour choper du Fritz Leiber (Ceux des profondeurs) et du Roger Zelazny (L’île des morts et Le songe d’une nuit d’octobre), deux auteurs qui n’ont pu se libérer pour le salon vu qu’ils sont morts depuis les années 90 et c’est bien dommage.
Une excellente journée, on a bien rigolé ! On reviendra l’année prochaine !