Depuis tout petit, la guerre me fascine. C’est elle qui a déterminé mon intérêt pour l’Histoire, donc mon cursus universitaire, dès l’âge de six ans ! La faute à mon premier contact avec la guerre de Troie via Les plus belles histoires de la mythologie. De cette période naïve, bercée par la vision romancée, esthétisée et héroïsée de la littérature aussi bien que du cinéma, il me reste une collection de petits soldats au 1/72, soit quelques milliers de bonshommes en plastique.
L’Histoire, comme je disais, a très vite pris le relais de la fiction pour me ramener à la réalité de la boucherie guerrière. Cela dit, je demeure toujours aussi fasciné par la chose, faute d’avoir saisi le sens profond de cette capacité humaine à s’étriper pour un oui, pour un non. Ça dépasse l’entendement, j’espère pouvoir comprendre un jour…
En attendant, tiré de mes lectures, voici un florilège de titres sur le sujet, qui présenteront un intérêt pour ceux qui veulent étoffer la culture générale, pour les étudiants en histoire ou encore pour les auteurs (en historique ou fantasy) en mal d’ouvrages documentaires.
Nous partons à la conquête des temps anciens avec :
– Le modèle occidental de la guerre (Victor Davis Hanson)
– La forteresse de Rhamnonte (Jean Pouilloux)
– La guerre dans l’Antiquité (Yvon Garlan)
– Recherches de poliorcétique grecque (Yvon Garlan, le retour)
Le modèle occidental de la guerre
Victor Davis Hanson
Les Belles Lettres
Comme son titre ne l’indique pas, Le modèle occidental de la guerre traite de la Grèce antique. On le trouve aussi sous-titré “La bataille d’infanterie dans la Grèce classique”, ce qui est déjà beaucoup plus clair.
D’après Hanson, ce modèle hérité des Grecs consiste en 1) une guerre courte, soldée par 2) une bataille rangée décisive, cette dernière se résumant à 3) un choc frontal. C’est plus ou moins ainsi que se battront les Européens tout au long de leur histoire, moyennant quelques changements à partir du XIXe siècle, quand la simple bataille de rupture commencera à virer à la bataille d’anéantissement, puis au XXe siècle avec les doctrines d’écrasement total aussi bien militaire que civil. Cela dit, ce modèle reste ancré dans les mœurs même après la Seconde Guerre mondiale, en témoigne la difficulté des Occidentaux à opérer lors d’affrontements sortant de la bête bataille rangée entre pairs (conflits asymétriques, guerres de décolonisation, guerre de partisans, Vietnam, Afghanistan, Irak…).
Ce premier volet du bouquin est très éclairant sur la conduite de la guerre et ses représentations dans la mentalité occidental. On regrettera toutefois l’absence de confrontation entre ce modèle et ceux d’autres civilisations, qu’ils soient analogues ou différents. Je pense aux guerres féodales japonaises, qui, toutes proportions gardées, présentent un modèle assez proche des conflits ritualisés de la Grèce classique.
La seconde partie de l’ouvrage est pour ainsi dire un autre livre, puisqu’on passe du modèle global et abstrait aux réalités concrètes à l’échellon d’un hoplite. Hanson se base autant sur les sources que les reconstitutions avec ses étudiants pour parler armement, marche sous le soleil, placement des troupes, choc et poussée dans la mêlée. Seul bémol, la présentation très péremptoire de Hanson, qui confond hypothèse et vérité, et semble avoir oublié le caractère intrinsèque des sources de l’histoire antique, à savoir que la documentation est autant partielle que partiale.
Le modèle occidental de la guerre n’en reste pas moins un bon bouquin, audacieux sur pas mal de raisonnements, une lecture de choix pour comprendre la conception occidentale de la guerre et saisir la réalité du combat entre hoplites.
La forteresse de Rhamnonte
Jean Pouilloux
Bibliothèques de l’École française d’Athènes et de Rome / De Boccard
La forteresse de Rhamnonte, étude de topographie et d’histoire date de 1954, ce qui ne rajeunira personne. Cette monographie s’intéresse à une forteresse paumée dans un coin reculé de l’Attique, le genre d’endroit où, en fiction, tout peut arriver. Sur une centaine de pages, l’ouvrage s’intéresse au site, à sa géographie, aux fortifications, aux bâtiments civils et religieux (temple de Némésis). S’ajoutent une soixantaine de pages d’inscriptions mises au jour sur le site, partie qui n’intéressera que les épigraphistes ; une quarantaine de pages d’index à l’intérêt très relatif ; et enfin, une cinquantaine de planches d’illustrations et photos.
Si le titre s’adresse avant tout aux spécialistes du sujet, je conseille sa lecture aux auteurs de récits historiques et de fantasy. C’est un bon moyen de donner du cachet à un cadre narratif pour proposer autre chose qu’une forteresse générique (souvent pleine d’incohérences par-dessus le marché). Notez que le conseil vaut pour n’importe quel genre, le schéma global de Rhamnonte dépasse son cadre antique pour fonctionner aussi dans un contexte de Moyen Âge, de western (fort des Tuniques Bleues avant l’heure) ou même de SF (chaque élément peut s’adapter pour brosser un avant-poste sur Mars). Ce décor fournit pas mal d’options d’intrigue : siège, bien sûr, qui vient en premier lieu à l’esprit sitôt qu’on parle de remparts, meurtre et enquête à huis clos vu le caractère reculé de l’endroit, lutte contre les pirates (un des rôles historiques de Rhamnonte), etc.
À noter pour la petite histoire que Rhamnonte a failli, dans les temps jadis, être le sujet de mon mémoire de maîtrise. L’idée de ma directrice de recherche était de mettre à jour l’excellent travail de Jean Pouilloux en y intégrant le demi-siècle d’archéologie et d’épigraphie qui a suivi la publication de son bouquin. Pas bête sur le papier, sauf qu’il y avait déjà quelqu’un sur le coup et bien plus qualifié que moi vu que le gars – Vassilis Pétracos – dirigeait les fouilles sur place (cf. sa synthèse qui m’a dispensé de perdre un an à bosser sur un travail déjà réalisé par un autre). Une info qui ne pouvait pas être ignorée par ma DR et ça puait un peu le catapultage de ma pomme en pleine guéguerre entre historiens. Ne voyant pas l’intérêt d’empiéter sur les plates-bandes d’un confrère – qui plus est élève de Pouilloux himself, donc plus à sa place que moi sur la question – et encore moins de m’embarquer dans un plan foireux, j’ai opté pour un autre sujet, moins susceptible de me péter au nez (en l’occurrence, les épiphanies militaires pendant la période hellénistique).
La guerre dans l’Antiquité
(Nathan)
Recherches de poliorcétique grecque
(Bibliothèques de l’École française d’Athènes et de Rome / De Boccard)
Yvon Garlan
La guerre dans l’Antiquité ne couvre pas, comme son titre pourrait le laisser penser, la totalité de l’Antiquité. Il s’agit ici des Grecs et des Romains, le reste du monde se composant visiblement de barbares trop peu dignes d’intérêt pour se voir intégrés au monde antique. Les Celtes, Germains, Phéniciens, Égyptiens, Carthaginois, Assyriens, Babyloniens et autres seront ravis de l’apprendre.
Deux cent pages pour couvrir le sujet de la guerre en Grèce et à Rome, même écrit tout petit, c’est court, très court pour aborder tous les types de guerre (batailles rangées, sièges, marine de guerre), les aspects juridiques et protocolaires (guerres rituelles, conflits entre États, piraterie, déclaration de guerre, triomphe), le recrutement (soldat-citoyen, mercenaires, professionnalisme romain), la composition des armées (infanterie lourde, cavalerie, troupes légères), l’équipement, la vie militaire (commandement, discipline, entraînement, ravitaillement). On louera l’esprit de synthèse de Garlan qui parvient à donner un aperçu à la fois clair et précis de chacun de ces thèmes.
Quoique parfois trop rapide, ce bouquin constitue une bonne porte d’entrée généraliste sur le sujet, à compléter avec des titres plus pointus pour approfondir tel ou tel point de détail, chaque chapitre méritant à lui seul un ouvrage complet.
Avec Recherches de poliorcétique, on s’aventure dans l’ultra spécialité et l’hyper pointu. Si vous cherchez une lecture de loisir, faudra s’adresser ailleurs.
L’ouvrage traite des fortifications et de l’art du siège sur une période qui va de Périclès (à ne pas confondre avec le père Ricqlès qui a inventé l’alcool de menthe, ni la dame Oclès, magicienne dont le tour le plus connu consiste à faire léviter des épées) à Démétrios Poliorcète, soit la période classique et le début de l’époque hellénistique. Murailles et ouvrages défensifs, tactiques d’investissement et d’assaut, machines de guerre, ruse et trahison, tout y passe pour dresser un portrait complet du rapport aux fortifications, aussi bien du côté des assiégeants que des assiégés.
La thèse de Garlan, en plus de constituer une somme des connaissances sur le sujet en son temps (1974), redonne au siège sa place dans la guerre telle que conçue et menée par les Grecs et les Macédoniens, alors que le domaine était souvent éclipsé par l’étude des batailles en rase campagne.
Pour avoir lu plusieurs récits de siège WTF dans des romans de fantasy, je ne peux que conseiller aux auteurs du genre de jeter un œil à ce bouquin, le matériau documentaire est d’excellente qualité.
Complément bibliographique à cet article :
– Jean-Roch Coignet : Vingt ans de gloire avec l’Empereur
– Nicolas Machiavel : L’art de la guerre
– Sun Tzu : L’art de la guerre
– André Kaspi : La guerre de Sécession
– T. E. Lawrence : Guérilla dans le désert
– Critiques express n°3 : Grande guerre
– Critiques express n°26 : La tactique des gens d’armes