Critiques express (50) La paix déménage

Soldats guerres napoléoniennes Lego

Pour prolonger l’esprit des fêtes de fin d’année, on va terminer l’hiver 2023 en abordant un sujet festif : la guerre. Feu d’artifice de la DCA, types enguirlandés dans les barbelés, pochettes-surprises plein les champs de mines, on se situe pile dans l’ambiance.
Trois livres au menu de ce réveillon martial :
– deux versions du sujet “Guerre et société dans les mondes grecs à l’époque classique vous avez 4 heures l’usage de la calculatrice est interdit” (l’une de Jean-Noël Corvisier, l’autre dirigée par Patrice Brun) ;
Tsahal (Martin van Creveld).

Tsahal Martin van Creveld éditions du Rocher

Tsahal, histoire critique de la force israélienne de défense
Martin van Creveld

Éditions du Rocher

Pavé consacré à l’armée israélienne et qui mérite le détour.
L’auteur suit la chronologie en ouvrant son étude sur l’avant-Tsahal, les premiers groupes de défense juifs, l’époque du mandat britannique sur la zone, les affrontements avec un peu tout le monde (Arabes, Ottomans, Axe, Vichy, Anglais…), tout ça du début du XXe siècle jusqu’à la naissance de l’État d’Israël et la création d’une armée en tant que telle. Suivent ce que l’auteur appellent “les années de grandeur” (1949-1973), qui voient l’armée israélienne éclater les coalitions arabes qui lui sont opposées en dépit de rapports de forces qui lui sont très défavorables. Enfin, c’est “l’épuisement” (1973-1997) d’une armée prise par surprise par la guerre du Kippour, puis embourbée dans une interminable guerre civile. Cette dernière partie justifie le terme “critique” du titre. L’auteur y questionne aussi bien l’évolution de l’outil militaire (doctrine, emploi, équipement, recrutement) que son (in)efficacité en termes de force de police intérieure surarmée. Il pose aussi la question de l’image d’une armée qui s’est élevée au rang de mythe dans les années 50-60 pour être perçue quelques décennies plus tard comme une force d’occupation et de répression, inapte au maintien de l’ordre et pas tellement plus efficace dans des opérations militaires classiques.
L’ouvrage balaye son sujet sur la base d’une documentation très pointue pour retracer le détail d’une armée dont on entend beaucoup parler depuis la naissance d’Israël mais qu’on connaît in fine très mal par chez nous. Annoncée comme “critique”, cette histoire n’est pas dénuée de parti-pris, ce qui est autant une qualité qu’un défaut. L’absence de neutralité fait qu’on se pose des questions sur la validité de certains arguments et interprétations de van Creveld, mais dans le même temps l’auteur a aussi le mérite de poser pas mal de questions qui fâchent et de remettre en cause des choix politiques et militaires qui lui semblent des plus foireux. Donc bon bouquin, à prendre avec du recul.

Guerre et société dans les mondes grecs Jean-Nicolas Corvisier Patrice Brun éditions du Temps Armand Colin

J’avais bossé en son temps “guerre et société dans les mondes grecs à l’époque classique”, sujet de CAPES/agreg d’histoire que j’avais pris comme une attaque personnelle, étant spécialisé dans la société de la période archaïque (donc juste avant) et la guerre pendant la période hellénistique (donc juste après).
Chaque année, les sujets de CAPES, d’agrégation et d’ENS voient la floraison d’une flopée de manuels à destination des vaches à lait estudiantines. Le pire y côtoie le meilleur, avec une grosse majorité de la production qui se classe au niveau moyen, en plus de coller à un sujet si précis que le bouquin n’a plus des masses d’intérêt une fois les concours passés. Donc pas la folie, les perles rares sont… ben… euh… rares.
En témoignent les deux ouvrages qui vont suivre, à l’opposé l’un de l’autre. Même sur l’intitulé, ils ne sont pas raccord. Le choix du singulier ou du pluriel change beaucoup l’interprétation du sujet.

Guerre et société dans les mondes grecs (490-322 av. J.-C.)
Jean-Nicolas Corvisier

Armand Colin

Corvisier propose ici une bonne vision d’ensemble du sujet, qui a en plus le mérite de ne pas s’être périmée avec la question de concours associée. Encore maintenant, ce bouquin reste une bonne synthèse sur la guerre chez les Grecs. Donc une lecture de base indispensable pour quiconque étudie la Grèce classique (vu que les mecs passent un peu leur temps à se friter, tu peux pas faire l’économie d’étudier la guerre et sa place dans une société militariste et belliciste au possible).
Alors tout y passe, depuis l’outil militaire (type de troupes, formation en phalange, équipement, réalités pratiques de la bataille, guerre navale) jusqu’aux liens qu’entretient la guerre avec la religion, l’économie, la démographie, le politique, le social… Il est évident qu’en 300 pages pour tout couvrir, Corvisier n’a pas la place de tout détailler et a dû faire des choix (i.e. la place de la guerre dans l’art, à peine évoquée), mais il a réussi le pari d’à peu près tout couvrir avec un bon esprit de synthèse. Donc comme manuel général sur le sujet, ça fait le taf et ça le fait bien.

Guerres et sociétés dans les mondes grecs (490-322)
Patrice Brun (dir.)

Éditions du Temps

Celui-ci est caractéristique des productions de concours pondues dans l’urgence. Des articles en vrac plus ou moins regroupés par thèmes (les troupes, la religion, l’argent…), articles qui sont sans doute recyclés par leurs auteurs de publications antérieures dans des revues historiques. Zéro unité d’ensemble, aucune analyse directement en phase avec le sujet, aucune synthèse. Juste un patchwork avec de la guerre et de la société dedans, à toi de faire le lien entre tout ça. Et va faire quelque chose avec un article sur l’apport macédonien à l’art de la guerre au IVe siècle quand aucun autre chapitre n’établit comment on faisait la guerre au Ve (qui est pourtant pile dans le sujet).
Donc pas inutile pour creuser certains points, à la limite, mais si tu veux vraiment aller au fond, faudra te taper telle ou telle monographie qui traite le truc dans ses moindres détails.
Autre signe de la précipitation éditoriale qui entoure cette publication, le nombre prodigieux de coquilles qui parsèment l’ouvrage. La classe…

Oeuf au plat grec

Complément bibliographique à cet article :
– Jean-Roch Coignet : Vingt ans de gloire avec l’Empereur
– André Kaspi : La guerre de Sécession
– T. E. Lawrence : Guérilla dans le désert
– Nicolas Machiavel : L’art de la guerre
– Sun Tzu : L’art de la guerre
– Critiques express n°3 : Grande guerre
– Critiques express n°25 : Aux armes !
– Critiques express n°26 : La tactique des gens d’armes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *