Évoquée quand j’ai replongé dans les souvenirs de mes Lego Pirates, on revient aujourd’hui sur la boîte 6276 sortie en 1989 et intitulée La forteresse de l’Eldorado en France, Eldorado Fortress en Amérique du Nord et Governor’s Fort Sabre au Royaume-Uni. À l’époque, je l’appelais “la forteresse du gouverneur”. Avec un talent pareil pour mettre tout le monde d’accord tout en ne satisfaisant personne, j’aurais dû bosser à l’ONU…
Or donc, toutes gammes confondues, ce bastion fortifié a été ma boîte préférée quand j’étais minot. C’est sans doute de là que vient mon obsession pour le mythe de l’Eldorado. Bien des années plus tard, quand je me suis remis aux Lego, c’est le seul set que j’ai regretté avoir vendu.
Je m’étais dit que je la rachèterai un jour. Ben voilà, c’est fait, pour mon anniv, avec la contribution de ma chère et tendre, vu que ce set coûte aujourd’hui la peau du cul – et mon épiderme fessier, on y tient, moi pour m’asseoir, elle pour me peloter.
Entre 450 et 500 pièces selon les sources, soit une belle bête pour l’époque. Aujourd’hui, pour bâtir le même ensemble fortifié, faudrait compter le double ou le triple de briques, la mode étant aux pièces mini rikiki.
Huit personnages, ce qui était pas mal non plus : deux pirates hors sujet (c’est le fort du gouverneur, pas la base des pirates) mais qui ont le mérite d’apporter de la jouabilité en fournissant des antagonistes à canonner et fusiller, un officier impérial (que j’appelais le sergent Garcia, parce que je regardais Zorro avec Guy Williams à l’époque), son escouade de quatre soldats et enfin el famoso gouverneur.
S’ajoutent deux canons et des mousquets orientables pour défendre le machin, deux barques, une prison, une cale au centre de la cour, un treuil censé servir à récupérer le coffre au trésor directement d’un bateau et ensuite le déposer dans ladite cale. Donc question : à quoi sert le ponton ? Nan parce que les mecs, ils peuvent juste accoster, débarquer le coffiot et passer par la porte, hein, ça marche aussi bien sinon mieux que ce treuil bringuebalant qui ne m’a jamais convaincu (j’aurais plutôt mis un poste de vigie sur le corps principal du bâtiment et décalé le canon sur la tour d’angle à la place du treuil – ce que je ferai peut-être d’ailleurs un de ces quatre). Bref plein d’éléments et de fonctionnalités sympatoches pour la jouabilité.
Plus une corniche. La corniche mystère dont je n’ai jamais compris le pourquoi ni le comment. Que fait-elle là ? À quoi sert-elle ? Pourquoi ne pas avoir mis une simple plate 1×3 blanche ou deux rounds plates 1×1 blanches ? Vingt-trois ans que je me pose la question, l’énigme reste irrésolue. Si quelqu’un a une hypothèse, merci de m’éclairer en commentaire de cet article.
Côté montage, on retrouve les joies du old school avec un manuel d’instructions de même pas 20 pages et qui fait le tour de son sujet en 24 étapes. Aujourd’hui, on aurait un livret épais comme un bottin numéroté jusqu’à 200 pour ajouter des pièces à coups de deux ou trois à chaque fois. Et là, on ne te prend pas par la main en t’indiquant quelles briques il faut : c’est à toi de comparer le numéro où tu es avec le précédent pour voir ce qui a changé entre les deux et ajouter les briques idoines à ta construction. Et ça, c’est bien : les montages d’antan étaient stimulants. Y a rien de plus chiant que les constructions de maintenant que tu montes en pilote automatique, une brique à la fois pour pas te fatiguer, en te montrant bien laquelle au cas où tu serais con… comme une brique, justement.
Le set parfait ? Non…
– Je reste toujours pas convaincu par le treuil. Pas qu’il constitue un défaut en soi, il est marrant pour faire mumuse, il est là pour assurer le transbordement d’un coffre depuis une barque vers l’intérieur du fort et cette tâche, il la remplit comme il faut. Mais j’aime pas, tout simplement. Donc à voir si je vais le conserver ou – les puristes bondiront mais tant pis – le virer pour mettre autre chose à la place , sans doute une pièce d’artillerie (ou un nid de mitrailleuses MG42 si je me sens d’humeur facétieuse).
– Même chose pour les canons pivotants. Ils m’amusaient quand j’étais petit (ce qui était leur but, donc OK), mais maintenant le manque de crédibilité du truc est flagrant, surtout celui au sommet du bâtiment principal, où de base il y a à peine assez de place sur le toit pour un seul artilleur – alors qu’en vrai il en faut dix pour manier un canon de 18 livres – et en plus ce canonnier solitaire doit voler dans le vide selon comment l’engin est orienté.
– Les finitions et couleurs sont celles de l’époque, soit une variété de pièces et une palette bien moindres que ce qu’elles sont aujourd’hui. Par exemple, les briques marron étaient rares, d’où le ponton tout en noir, alors que maintenant il serait en reddish brown pour ressembler à du bois teinté. Sans parler de pas mal de tenons apparents qui ne gênaient personne dans les années 80-90 mais qu’on lisse de nos jours pour obtenir un rendu plus propre. Et y a aussi les toits magiques auxquels on accède sans escalier.
– On peut aussi ergoter sur l’enceinte en dentelle, avec des meurtrières XXL qui laissent à découvert les soldats des cheville jusqu’au cou, ainsi qu’une ouverture directe sur le ponton, sans porte pour barrer l’accès, et deux arches ouvertes aux quatre vents derrière le portail principal. S’ajoute la prison avec une fenêtre assez grande pour s’évader tranquille. Même la ligne Maginot était moins un gruyère… Ce bastion est indéfendable, en dix minutes d’assaut l’affaire est pliée.
– M’enfin tous ces points restent surtout du pinaillage d’adulte de 2022 (qui plus est avec une formation universitaire en histoire militaire), un gamin de 1989 n’en attendait pas tant. Le seul vrai défaut du set, c’est le vide total de la chambre (?) du gouverneur. Déjà en son temps, j’avais trouvé que Lego aurait pu mettre un truc dans cette piaule, un plumard, un bureau, même une pauvre chaise, ou un râtelier d’armes pour la troupe (qui n’a nulle part où dormir ni bouffer, soit dit en passant), ou une manivelle pour ce satané treuil qui en l’état fonctionne par l’opération du Saint-Esprit (la pièce existait pour actionner le pont-levis du Château du Lion dans la gamme Castle).
Mais bon, pour moi, ça reste LE set souvenir, qui n’a de toute façon jamais eu vocation à atteindre des sommets de crédibilité historique ni de réalisme fonctionnel. Beaucoup de plaisir à le remonter en me remémorant les heures de jeu de ma jeunesse ! Ce fortin est une belle pièce de collection, qui a de la gueule et qui permet aussi de s’amuser comme un fou quand on est gamin. Et puis on n’a pas inventé le MOC pour rien.
Maintenant, reste à savoir si j’upgrade cette forteresse-ci au risque de la dénaturer ou si j’en bâtis une autre de zéro, dans le même esprit, mais qui va faire doublon. Après, y a aussi moyen de couper la poire en deux en jouant sur la possibilité d’ajouter des extensions à ma sauce autour du fort (ce qui est un peu le principe du set 6277 Imperial Trading Post). Toujours est-il qu’il y a de quoi cogiter et de quoi faire avec ce set, en l’état ou bidouillé…
Un must !
À noter qu’en juillet 2023, cette forteresse iconique a été rééditée par Lego dans la bien-nommée gamme Icons sous le numéro 10320. La réinterprétation proposée oscille entre le classicisme (le ponton reste en noir plutôt que passer en marron) et la modernité (des accès vers les tours font leur apparition), parfois sans trop savoir se positionner d’un côté ou de l’autre.
J’ai acheté ce remake (voir review détaillée de l’engin) et au final c’est lui qui me servira de base pour bidouiller ma propre version.