Magenta – Nik Guerra & Celestino Pes

Magenta et Lucrèce Nik Guerra Celestino Pes

Magenta
Nick Guerra (dessin) & Celestino Pes (scénario)

Dynamite / Delcourt / Graph Zeppelin

Magenta est une brune volcanique qui a le même coiffeur qu’Elvira. Perchée sur ses talons aiguilles, moulée dans sa robe fendue au décolleté vertigineux, ne quittant pour ainsi dire jamais ses bas et son porte-jarretelles, elle a tout de la pin-up. Tout ? Non. Détail qui n’en est pas un et la différencie de la pin-up standard : Magenta n’est pas juste une jolie gravure coquine à la disposition des appétits masculins.

Les hommes, elle les méprise, se joue d’eux, les utilise pour son plaisir sexuel et basta. Libre comme l’air, elle garde son indépendance et refuse de se laisser marcher sur les pieds. Si elle a à l’évidence un tempérament de dominatrice, Pes et Guerra ont été assez malins pour ne pas limiter leur héroïne tempétueuse à une maîtresse Magenta lambda dominant des hommes dans des scènes BDSM déjà vues mille fois. Qu’on se rassure, il y en a, mais pas que, loin de là. C’est pour cette raison que j’adore le personnage de Magenta : les auteurs ont compris qu’il y a mille façons de dominer, pas juste attacher un bonhomme et lui fouetter le postérieur. Ce qui donne une bande dessinée qui sort du lot quant à ses personnages et ce alors même qu’ils sont des archétypes.
Eh oui, Magenta, dans la vie, elle est détective privée et officie avec sa copine – et à l’occasion amante –, la blonde Lucrèce, dans leur agence Shocking Stockings. À la fois femmes fatales, détectives et arnaqueuses, elles concentrent tous les types de caractères du roman noir.

Magenta Nik Guerra Celestino Pes Dynamite volume 1
Magenta, tome 1 (Dynamite, coll. Petit Pétard)
Magenta Nik Guerra Celestino Pes Dynamite volume 2
Magenta, tome 2 (Dynamite, coll. Petit Pétard)
Magenta Nik Guerra Celestino Pes Dynamite volume 3
Magenta, tome 3 (Dynamite, coll. Petit Pétard)

Dans le cadre de la BD, les deux donzelles mènent la danse dans des historiettes de dix à quinze pages, format imposé par la parution en magazines à la naissance de la série. À la manière d’Elvira présentant des films d’horreur, la première case de chaque histoire met en scène Magenta qui introduit le récit à venir. Ces courtes saynètes racontent une enquête, une tranche de vie (i.e. la rencontre de Magenta et Lucrèce) ou les réflexions de l’héroïne sur tel ou tel sujet (les bas nylon, sa vision des hommes…), dans une ambiance d’humour et de sarcasme. Tout ça avec du sexe, beaucoup de sexe, et du bien explicite, mais avec beaucoup d’élégance dans sa crudité. La série échappe à la vulgarité grâce à un jeu constant sur l’esthétique de la pin-up et l’érotisme des fétichismes mis en scène. Le ton et l’état d’esprit y sont aussi pour beaucoup. Jeux de mots, adresses au lecteur, situations cocasses, la série se veut décontractée et amusante. On est là pour se faire plaisir et se marrer.
En tout cas pour le versant “histoires courtes” de Magenta (soit les trois tomes parus chez Dynamite et les deux premiers chez Delcourt, Détective dépravée et Bas-fonds et bas nylon).

Magenta détective dépravée Nik Guerra Celestino Pes Delcourt
Détective dépravée
Magenta bas fonds et bas nylon Nik Guerra Celestino Pes Delcourt
Bas-fonds et bas nylon

C’est une autre chanson pour les deux one-shots Bienvenue en enfer (troisième tome de Magenta sorti chez Delcourt) et Noir fatal (chez Graph Zeppelin), qui sont plus sombres, marqués par un esprit polar old school et film noir, ainsi qu’une ambiance thriller au sens anglo-saxon du terme.

Magenta Bienvenue en enfer Nik Guerra Celestino Pes Delcourt
Bienvenue en enfer

Bienvenue en enfer, où ça dézingue à tour de bras, prend même une teinte trash. Les auteurs étant italiens, je suppose qu’ils se sont inspirés pour cet opus du poliziottesco (néo-polar des années de plomb qui emprunte au film noir et au cinéma d’horreur). Le résultat, très violent, lorgne du côté de Ramba, série à laquelle Nik Guerra a d’ailleurs participé.
C’est celui que j’ai le moins aimé de la série, parce que trop sérieux à mon goût. C’est une bonne mouture, hein, attention, mais je préférais l’ambiance plus légère de la Magenta originelle. Et sans, Lucrèce, qui pointe ici aux abonnées absentes, il manque quelque chose.
Mais le titre est réussi, le duo Guerra-Pes y montre sa capacité à se renouveler en changeant à la fois d’ambiance et de format pour une histoire longue, plus sombre. Et cette histoire tient la route, ce qui n’est pas toujours le cas quand des auteurs habitués au sprint du récit court s’aventurent dans le marathon.
Donc voilà, on accrochera plus ou moins à cette dark Magenta proposée ici, mais en tout cas, rien à dire au plan de la qualité d’écriture ni de celle du dessin.

Magenta Noir Fatal nylon Nik Guerra Celestino Pes Graph Zeppelin

Avec un titre pareil et Les Chasses du comte Zaroff comme source d’inspiration, je m’attendais à ce que Noir Fatal soit encore plus sombre et sanglant que Bienvenue en enfer et au final non. Nick Guerra, ici seul aux commandes, poursuit sur la lancée du polar one-shot, avec une enquête plus sérieuse que les historiettes rigolardes de Magenta à ses débuts, et dans le même temps il revient aux sources avec le come-back de Lucrèce et une ambiance moins grave que dans le tome précédent. Ici, j’ai retrouvé cet état d’esprit de cinéma de quartier si cher à Jean Pierre Dionnet, condensé en un seul volume mélangeant policier, action, espionnage et érotisme.
Érotisme, justement, qui est l’autre changement majeur de cet opus, beaucoup plus soft que les précédents. Guerra a rangé la pornographie pour s’orienter sur une esthétique 100% pin-up, qui fonctionne tout aussi bien, parce que Magenta a été conçue dès le départ comme une pin-up. Sur ce versant, on sent l’inspiration des années 30 à 50 où les magazines d’histoires policières (Crime Detective, Starling Detective, Front Page Detective, Spicy Detective, Revealing Detective, Dime Detective, Confidential Detective et autres [Adjectif random] Detective) arboraient en couverture des donzelles ligotées et bâillonnées, parfois pas très habillées.
Belle réussite que cet album qui parvient à poursuivre la série en apportant son lot d’évolution mais sans la dénaturer pour autant. Magenta change mais reste Magenta.

Magenta Dark divas pin-up collection Nick Guerra Graph Zeppelin

Enfin, Magenta, c’est aussi Dark Divas Pin-up collection, au pluriel les divas, parce que Lucrèce est de la partie. M’enfin Magenta se taille quand même la part du lion.
Alors comme tous les artbooks, c’est très joli. Et comme tous les artbooks, c’est dispensable sauf à être un fan absolu de Nick Guerra. Parce que, comme tous les artbooks ou presque, c’est vide. OK, il y a de superbes dessins, une petite bio de l’auteur, et c’est tout. Et ça ne sert à rien.
Donc les éditeurs d’artbooks, si vous passez dans le coin, arrêtez de vous contenter du minimum syndical en ne faisant imprimer que ce qui n’est jamais que des portfolios. Faut du texte, faut que le dessinateur parle de sa technique, de ses inspirations, de ses influences, de ses choix graphiques, de sa méthode, de ses outils. Parce que là, au bout du compte, on n’en sait pas de plus sur Guerra. Il bosse sur quoi ? Papier ? tablette graphique ? à la plume ? au crayon ? au Stabilo ? Il dessine des pin-up, super ! Ça lui vient d’où ? Pourquoi ce thème ? cette ambiance et cette esthétique particulières ? Et son attrait pour les années 40-50 (âge d’or des pin-up, du roman noir et du film noir) ? On sait pas.

Magenta dark diva

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