Olangar, Le combat des ombres – Clément Bouhélier

Olangar, Le combat des ombres
Clément Bouhélier
Critic

Olangar Clément Bouhélier Bans et barricades Une cité en flammes Le combat des ombres Critic

Retour à Olangar, la-ville-dont-on-ne-se-lasse-pas, comme on la surnomme dans les guides touristiques. Après Bans et barricades et Une cité en flammes, voici Le combat des ombres qui, rien qu’au titre, annonce du musclé comme ses prédécesseurs et promet de ne pas s’ennuyer (spoiler : promesse tenue).

La saga Olangar

Si vous avez passé ces dernières années en exil sur Pluton, vous avez peut-être raté le Grand Œuvre de Clément Bouhélier. La logique voudrait qu’on vous envoie au peloton d’exécution pour une faute aussi impardonnable, mais comme on n’est pas des barbares, on peut aussi se contenter d’un rappel bibliographique.
Or donc, la saga commence par l’excellentissime Bans et barricades, une grosse histoire divisée en deux tomes, mélange de fantasy classique (orcs, elfes, nains), de XVIe siècle (épées, hallebardes, poudre à canon) et de Révolution industrielle (train à vapeur, classe ouvrière). Le prolétariat entre en grève contre l’exploitation par les vilains patrons, soutenus par les forces de l’ordre des non moins vilains gouvernants. Le mouvement tourne à la rébellion (et ça fait plaisir à voir !). Un must de la fantasy, imaginatif, bien construit, intelligent !
Vient ensuite le diptyque Une cité en flammes et Le combat des ombres. Cinq ans ont passé depuis Bans et barricades que vous pouvez ne pas avoir lu pour vous lancer dans Une cité en flammes (mais ce serait dommage, parce que vous perdriez beaucoup pour capter l’essence de la ville d’Olangar et de l’univers tout autour, idem pour le vécu et la psychologie des personnages déjà mis en scène dans B&B). Il se magouille des trucs et des bidules pas nets dans les tréfonds du royaume d’Olangar, loin de la ville du même nom. La guerre menace avec les elfes. Des terroristes font sauter et cramer des gens. Bref, c’est pas la joie au début du bouquin et c’est pire à la fin. Le combat des ombres vient comme suite directe d’Une cité en flammes. Olangar est occupée. Toute ? Non. Enfin, si. Enfin, non. La ville d’Olangar, oui. Envahie, occupée, cadenassée. Le reste du royaume, non, les envahisseurs n’ont pas poussé leur conquête plus loin. Dans la cité, la résistance s’organise…
Enfin, la saga s’offrira un tome bonus, Histoires au crépuscule, recueil de nouvelles qu’on peut lire à d’autres moments comme l’aube ou l’après-midi sans déclencher les foudres divines (je le sais, j’ai essayé). On en parlera dans une prochaine chronique, toujours est-il que l’ouvrage est tout aussi bon que les autres.

Olangar Le combat des ombres Musclor Les maîtres de l'univers
“Par le pouvoir du crâne ancestral, je détiens la force toute-puissante.” (Musclor)

Le combat des ombres

La fin d’Une cité en flammes nous laissait sur une Olangar en feu. Le titre ne mentait pas. Même topo pour Le combat des ombres : on s’y bagarre beaucoup, que ce soit les coups de main de la résistance dans les sombres recoins de la cité ou, plus feutrés, les coups fourrés dans les coulisses du pouvoir.
Or donc, la ville est occupée par les troupes des duchés septentrionaux, les débris de l’armée olangaraise et une partie de la population sont en fuite dans les provinces méridionales. Les duchés veulent des bateaux, Olangar possède des chantiers navals, on parle d’une occupation de pillage, donc celle qui ne se passe vraiment pas bien pour les occupés… et pas beaucoup mieux pour les occupants.
Dans les murs de la ville, la résistance se met en place. Autour des nains, ça ne surprendra personne. Depuis toujours, ils constituent une force d’opposition, organisés, armés et pour beaucoup aguerris par les événements de Bans et barricades. Pour le cas où vous craindriez que ce tome soit un clone de B&B, rassurez-vous, Le combat des ombres ne fait pas redite. Bien sûr qu’il y a un écho, des allusions, des clins d’œil à la première lutte des nains, mais le déroulement des événements diffère ici assez pour qu’on n’ait pas l’impression de relire la même histoire.
Bouhélier réussit une excellente description de la vie sous l’occupation sans laisser personne sur le bord de la route. Au sein d’Olangar, on trouve les collabos convaincus qui trouvent, en se mettant au service de l’occupant, le moyen de grappiller du pouvoir, prendre leur revanche et/ou s’en mettre plein les poches ; les collabos par opportunisme qui voient dans un premier temps l’arrivée des envahisseurs comme une libération ou un bon moyen de faire bouger les choses… avant de déchanter trop tard ; les résistants à main armée, c’est-à-dire les nains pour l’essentiel ; les résistants occasionnels voire à usage unique comme les amis dans Fight Club, l’un cachant quelqu’un ici, l’autre transmettant un renseignement là, toute une galaxie de gens qui font acte de résistance de manière occasionnelle voire une seule fois dans leur vie ; plus la masse inerte de tous ceux qui font le dos rond pour survivre.
Les différents groupes sont tous très bien rendus. Les méchants ne sont pas oubliés et pas juste traités comme des méchants. OK, ce sont des salopards qui multiplient les exactions gratuites et font régner la terreur à coups d’exécutions sommaires et d’allers simples vers le treppo (camp de travail qui n’est rien d’autre qu’un camp de concentration), mais on sent aussi leur paranoïa : la trouille constante de se faire lâcher par leurs appuis des duchés, de se faire dézinguer par une attaque des résistants au détour d’une ruelle, de voir la population se soulever en masse. La même ambiance qui prévalait en Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale, Pologne en tête.
Côté résistance et lutte contre l’occupant, Bouhélier a bien décrit aussi le foutoir total de ce genre de mouvement. On a un gouvernement en exil (le chancelier d’Averny), légitime, à la tête d’une armée résiduelle insuffisante pour reprendre la ville, des alliés pas super emballés à l’idée d’entreprendre un siège long et coûteux (les Provinces du Sud), d’autres alliés très entreprenants (Evyna d’Enguerrand), les ennemis d’hier (elfes d’un côté, orcs de l’autre) à portée de fusil, une résistance intérieure divisée en plusieurs courants pas toujours d’accord, sans parler de ceux qui bricolent des trucs dans leur coin et nouent des alliances douteuses, par exemple avec la pègre.
Dans ses composantes, ses rapprochements et ses antagonismes, l’auteur a réussi le parfait sans faute. Le résultat est quasi identique à ce qu’il a été pendant la Seconde Guerre mondiale, tout en épousant les contours de son univers, donc sans impression d’anachronisme ou d’un schéma forcé pour faire comme dans l’IRL en passant à côté des spécificités de son monde imaginaire.

On peut toujours ergoter sur quelques points. Comme la résistance des ouvriers nains à laquelle il est bien précisé que des hommes se joignent. Ces humains, on ne les voit ni ne les entend pas beaucoup. On aurait imaginé aussi des nids de résistance autour des artisans ou des commerçants, avec plutôt des humains, donc. Soit une résistance un peu plus protéiforme (ce qui aurait peut-être complexifié le roman pour pas grand-chose, donc ergotage).
Je reste aussi circonspect sur l’engagement fanatique d’Evyna d’Enguerrand à vouloir libérer la ville. À tout prix, y compris le pire. Elle n’est originaire pas d’Olangar, elle est suzeraine d’une des Provinces du Sud, elle n’aime pas Olangar. L’attachement à la liberté, la lutte contre l’oppression, j’entends bien que ce sont de sacrées motivations, qui méritent qu’on se batte pour elles. Mais à ce point ? Dans sa situation ? J’avoue ne pas avoir compris ce jusqu’au-boutisme du personnage. Surtout dans un de ses choix finaux, que je ne spoilerai pas ici, mais qui m’a choqué et l’a fait chuter dans mon estime (au point de vouloir la voir crever, c’est dire). Le choix politique plutôt que le choix humain, un choix qui ne colle pas forcément à tout ce que le personnage a été jusqu’ici, à ses valeurs, à ses liens avec d’autres protagonistes. Et qui était évitable au plan pratique. Après, en termes d’écriture, ce choix fonctionne, donc ce n’est pas un défaut en soi, mais l’autre option aurait marché aussi (peut-être mieux, à voir).
On peut ergoter aussi sur certains choix stratégiques. C’est toujours là-dessus que les auteurs ont des lacunes (et où je peux les cueillir sans me fatiguer, j’ai perdu le compte des chroniques où je remettais en question l’aspect militaire de telle ou telle œuvre). Que les duchés se contentent de s’enfermer dans Olangar me laisse perplexe. Quand ils prennent la ville, la garnison est en fuite avec le chancelier, le reste de l’armée royale est loin et aux prises avec les elfes, la résistance ne s’est pas encore organisée en tant que telle. Qui pourrait arrêter les troupes ducales ? Pourquoi ne pas avoir poussé la conquête ? Écraser une fois pour toutes les résidus de l’armée d’Olangar (comme ça, pas de risques de les voir, peinards au sud, reconstituer des forces, nouer des alliances et revenir assiéger la ville), dézinguer d’Averny dans la foulée (comme ça, plus de chef légitime autour duquel l’opposition peut se rallier, au moins le temps d’en trouver un autre) et surtout une conquête territoriale de tout le royaume ou a minima de la région autour de la cité – terroir qu’on suppose agricole – pour l’approvisionnement de la ville. Cette opération pouvait être menée à moindres frais par les duchés, sans mobiliser des forces énormes, à un moment où ils pouvaient se le permettre.

Alors qu’on soit bien d’accord, on parle de détails ultra mineurs qui n’entament en rien la très haute qualité du bouquin. Sans, ça gêne pas. Avec, ça n’aurait pas changé grand-chose.
Le contexte d’occupation sonne très juste, le souffle épique est là, les tragédies aussi, les personnages sont pour beaucoup usés par leurs précédentes aventures mais conservent leur mordant.
L’auteur a su éviter les écueils classiques du tome final. On ne quitte pas Olangar sur un “tout ça pour ça”. Plutôt sur un “est-ce que ça en valait la peine ?”. Au plan de la lecture, oui. La réponse ne fait aucun doute, la saga est magistrale de bout en bout. La question, on se la pose à propos des personnages qui ont tous perdu beaucoup depuis le début de l’aventure et encore plus dans ce dernier volume. À chaque lecteur et lectrice d’apporter sa réponse, il n’y en a pas de bonne ou mauvaise. On a une vraie fin, pas un machin qui hésiterait entre clôture, fin ouverte, potentiel “à suivre”, bref incapable de conclure en laissant la moitié de ses enjeux irrésolus. On a une intrigue qui se tient, à la hauteur des précédents, pas un bouquin moyen torché histoire de terminer le truc parce qu’il le fallait bien. Et si Bouhélier ne lésine sur la tatane et la pyrotechnie, c’est dû aux nécessités du contexte : c’est la guerre, quand même, forcément que ça pète et ça bastonne. Mais pas en mode blockbuster où les effet spéciaux ont tendance à remplacer le fond et à foisonner au détriment du scénar ou des persos. Ici, l’intrigue et ses protagonistes sont aussi creusés que dans les autres volumes (mention spéciale à Silja, personnage que j’avais adoré dans B&B et qui est ma préférée dans celui-ci).
Rien à jeter dans ce Combat des ombres qui ira trôner avec fierté aux côtés de ses prédécesseurs.

La saga Olangar
(Oui, le titre de la dernière partie est le même que la première, et alors ?)

Le terme est galvaudé à force de qualifier les trois quarts des bouquins qui sortent, j’ai pour ma part tendance à l’employer à dose homéopathique, vous pouvez vous taper toutes les chroniques du blog, il est rarissime que je l’emploie.
La série Olangar est un chef-d’œuvre.
Voilà, c’est dit (et assumé).
Depuis quarante ans que je bouquine, je m’en suis tapé des pleins cartons de sagas de fantasy. Y en a que j’adore pour le caractère épique des aventures qu’elles racontent (Les Chroniques des Ravens de James Barclay, Le Seigneur des Anneaux de Tolkien), pour leur (anti)héros (Conan de Robert Howard, Le cycle d’Elric de Michael Moorcock, Le cycle des Épées de Fritz Leiber, Garrett, détective privé de Glen Cook), pour leur univers et leur galerie de personnages (La Compagnie noire de Glen Cook, Les Chroniques de la Lune Noire de François Froideval, L’Agent des Ombres de Michel Robert).
Dans mon top personnel, Olangar, je le place au-dessus. Parce qu’il faut bien reconnaître que dans la liste citée, dès que tu enlèves les oripeaux narratifs, il ne reste pas grand-chose et dans le cas de certains rien du tout. C’est bien joli les héros badass, les univers fouillés regorgeant de millions de détails, les aventures rocambolesques, mais si c’est pour ne rien raconter de plus qu’une jolie histoire…
Olangar donne dans la critique sociale et politique. Sans ça, la série ne serait “que” très bonne (ce qui est déjà pas mal). Avec, elle atteint l’excellence, parce qu’elle raconte vraiment quelque chose.
La seule série que je lui préfère est celle des Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett. À qualité égale, mon goût naturel pour la pitrerie me porte sans surprise vers l’angle d’attaque de la parodie.
En tous les cas, hors goûts, couleurs et inclinations subjectives, Olangar a sans conteste sa place parmi les cycles majeurs de fantasy.

Chaque volume est bon, pêchu et sans longueurs, les personnages sont de ceux qu’on n’oublie pas (à commencer par le trio phare de Baldek, Torgend et Evyna) et son monde tient debout, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des œuvres du genre.
Les maîtres de l’univers en mousse, prenez-en de la graine, cette série est une leçon d’écriture. Quand Bouhélier fait du worldbuilding, son contenu fait sens : l’idée n’est pas montrer au monde à quel il est un démiurge imaginatif qui a pensé à trois milliards de détails pour étoffer son monde. Déjà, des détails, y en a pas des quantités à t’assommer (rappel pour les auteurs : un roman n’est pas un guide Michelin) et surtout, ils servent à quelque chose en plus de la construction de l’univers (installer l’ambiance, poser les enjeux, étoffer les personnages…). Et son worldbuilding est bien conçu. Perso, étant historien de formation, je saigne des yeux trop souvent, après je dois aller choper des gens dans la rue et les vider pour une transfusion express, et ça fait toujours des histoires. Le royaume gouverné par un roi (jusqu’ici OK, pas de quoi péter un scandale), assisté d’un grand vizir… et c’est tout. À peine des ministres ou des conseillers, pas un échelon intermédiaire de pouvoir entre lui et ses sujets, aucune administration. Le mec dirige un pays grand comme la France avec un appareil d’État encore plus simpliste que celui d’un baronnet de seconde zone à la tête d’un fief minuscule. Durée de vie de cette monarchie dans le monde réel : trois secondes. Le double avec la suspension consentie d’incrédulité. Idem sur le plan économique. Déjà, dans Olangar y en a une, d’économie, et en plus assez creusée et crédible pour faire illusion (même si le royaume d’Olangar semble manquer de paysans, mais comme tout se déroule en milieu urbain, leur absence ne choque pas). L’univers de Bouhélier en général et le royaume d’Olangar en particulier sonnent vrai, parce qu’ils reposent sur les mêmes piliers que n’importe quelle entité historique du monde réel (institutions, forces politiques, économie, diplomatie). Et tout ça, sans en faire des caisses ni te barber d’exposés interminables d’auteur qui se croit malin. Quand t’es malin, t’as pas besoin de le montrer, le texte le fait pour toi. Et le texte du cycle d’Olangar brille par son intelligence et sa maîtrise.

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