Thomas Cook ayant libéré un créneau, je reprends le flambeau pour vous emmener “aux quatre coins du globe”, pour citer les as de la géométrie. Préparez vos valises, n’oubliez pas votre petite laine, direction l’Écosse, patrie des kilts et des petits pois (les fameux pois écossés). Nous partons en compagnie de Sophie Jomain pour explorer son œuvre phare : Noss Head.
Les Étoiles de Noss Head
T.1 Vertige
Sophie Jomain & Marie-Laure Barbey-Grandvaud
Pygmalion
J’ai longtemps esquivé cette lecture avec un brio qui ferait la fierté des maîtres shaolin responsables de ma formation. Même Neo et ses fantaisies de bullet time ne peuvent rivaliser avec Frédo l’anguille, le roi de la feinte, plus glissant qu’une savonnette dans une douche de prison.
Dixit l’auteure, le profil type auquel s’adresse la série, c’est une adolescente de 14 ans. Soit zéro point commun avec ma pomme. Tel Attila, je suis un, pas une. L’adolescence, je l’ai quittée il y a belle lurette. Maintenant chuis un grand et mes 14 ans remontent à l’époque où Jeanne Hachette savataient des Bourguignons avec l’arme qui lui a valu son surnom.
Dixit l’auteure toujours, “sans Twilight, il n’y aurait pas eu Noss Head”. Oh… Dans mon palmarès des pires étrons intergalactiques, Twilight décroche la médaille d’argent, l’or revenant à Cinquante nuances de Grey. Alors une série dans la lignée de la purge de Meyer ne partait pas gagnante avec moi.
Avec tout ça, tu m’étonnes que je me sois toujours arrangé pour éviter la confrontation avec Les Étoiles de Noss Head. Sauf que dans la vie, pour citer un célèbre chanteur et expert en pharmacopée, “you can’t always get what you want”. Donc j’ai lu Vertige.
Je m’attendais à pire.
Même si ce roman reste à dix mille années lumière de mes goûts littéraires, il a le mérite de fonctionner. L’édition concernée y est pour beaucoup : il s’agit de celle illustrée par Marie-Laure Barbey-Grandvaud (Les croquis de Marie). La “version ultime” dixit Sophie Jomain, qui m’a expliqué que le texte avait été pas mal retouché depuis l’édition originale chez Rebelle. Suppression de scènes pas indispensables, élagage de certains paragraphes trop longs, nettoyage de lourdeurs stylistiques, correction de coquilles, autant dire qu’il est loin le temps du premier roman assorti de son lot de maladresses. Résultat, Vertige est bien tourné, fluide à la lecture. Ça change de la plupart des auteurs du genre qui te pondent des rédactions niveau 6e, ultra scolaires, indigestes et verbeuses, dont le vocabulaire se limite à trois verbes passe-partout (aller, faire, mettre… ce qui résume bien ce que j’ai envie de leur dire).
Sur le fond et le contenu, on retrouve les stéréotypes de la romance paranormale young adult. Ainsi les protagonistes sont tous jeunes et beaux, adultes d’après leur carte d’identité mais avec la maturité de gamins de CP et des comportements irrationnels.
Hannah, l’héroïne, se trouve moche (en même temps, elle est rousse, peut-on lui donner tort ?) mais elle est jolie quand même. Son talent principal est de se fourrer dans des situations de demoiselle en détresse. Leith, son sauveur attitré, incarne la beaugossitude absolue. Lui, son super-pouvoir, c’est de se parer de mystère et de ne jamais répondre aux questions qu’on lui pose. Ensemble, Hannah et Leith jouent au chat et à la souris (avec, pour le coup, un très très gros bestiau dans le rôle du chat). Donc un duo classique du genre, avec les situations classiques d’une intrigue classique, sans révolution qui bousculera le lecteur dans ses habitudes.
Je ne peux pas dire que j’ai aimé ou détesté les personnages. Ils sont trop différents de ce que je suis ou des héros auxquels je m’identifie d’habitude (l’Elric de Moorcock, Patrick Bateman, Toubib dans La Compagnie noire…) pour qu’un contact se crée. Hannah et Leith parleront davantage au cœur de cible de Noss Head, dont ils sont plus proches. Enfin, je suppose, parce que vu le grand écart entre nos profils, pas évident de se mettre à la place de l’autre, la jeune lectrice à qui la série est destinée. Là, je dois reconnaître mes limites de chroniqueur : mission impossible pour moi de me glisser dans la peau d’une adolescente (je ne suis pas curé, je ne rentre pas dans du 14 ans).
Si une bonne part de cette lecture aura été très distanciée vu que je ne corresponds pas au bouquin, trois points m’auront emballé.
Primo, l’auteure sait parler de choses qui n’existent pas, comme l’amour ou les loups-garous.
Ce premier tome de Noss Head aurait pu s’intituler Papillons dans le ventre, puisqu’il s’agit avant tout d’une romance. La tonalité de la biblio de Sophie et le succès rencontré par ses romans démontrent sa maîtrise du sujet et sa faculté à emporter les lectrices dans les vertiges de l’amour. Ce qui me dispense de m’aventurer dans un domaine qui n’est pas le mien (quand on me demande quelle est la plus belle preuve d’amour, je réponds des trucs du genre “offrir à sa moitié un sex toy en forme de nain de jardin”, donc non, vraiment, amour, sentiments et romantisme, c’est pas trop mon champ d’expertise).
Quant aux loups-garous, Sophie a travaillé sa bestiole pour ne pas coller un lycan lambda dans son histoire. Pour avoir eu avant d’entamer Vertige un exposé complet (et plein de spoilers) sur les créatures qui peuplent Les Étoiles de Noss Head, cette série propose une vraie mythologie, pas une bête compilation de versions archétypales vues et revues. Les bestioles surnaturelles respectent l’héritage du folklore et des œuvres de fiction tout en proposant une touche personnelle qui ne soit pas du grand n’importe quoi. Au revoir les vampires qui brillent à la lumière du soleil, le top du top en matière de “j’ai rien compris au mythe du vampire”. Cet aspect d’appropriation et de réinvention intelligente m’avait plu dans la série Felicity Atcock, logique que j’y sois sensible dans Noss Head.
Deuzio, sans tartiner de la description au kilomètre, Sophie parvient à créer un décor et surtout une ambiance. La côte écossaise prend un aspect irréel… tout en gardant un pied dans la réalité (le phare de Noss Head existe pour de vrai). Un aspect limite onirique par moments, mais sans partir non plus dans les délires imbitables de la poésie symboliste ou surréaliste. Et puis il y a l’eau. Premier roman et déjà, à l’époque, on entendait le bruit de l’eau. La mer, la pluie… et les douches. Sophie, un de ces jours faudra qu’on discute entre quat’zyeux de cette fascination à la limite du fétichisme… En attendant, ma’ame Jomain n’est jamais aussi à l’aise qu’en milieu aqueux (qui s’écrit en un seul mot). Elle sait rendre un paysage en peu de mots, avec l’atmosphère qui s’en dégage.
Tercio, comme dirait Francisco de Melo, les illustrations de Marie-Laure, qui déchirent leur mère tel un bambin au jour de sa naissance ! Superbes mais pas que. Elles ne sont pas là juste histoire de mettre des images : elles collent au texte, apportent une réelle plus-value et contribuent à l’ambiance dégagée par le récit. Chapeau l’artiste !
Résultat des courses, ce Vertige ne m’aura pas fait tourner la tête, parce qu’il s’adresse à d’autres. Cela dit, pour m’être coltiné un certain nombre, voire un nombre certain, d’ouvrages dans la même veine, pleins de mamours entre humain(e)s, loulous, vampires, chevaux celui-ci est le seul à ne m’avoir pas fait pleurer du sang.
Ce bouquin ne présente que deux défauts. D’une, il colle trop aux codes du genre, avec tous les attendus en matière de personnages, de situations et d’intrigue, d’où une impression de déjà-vu. Si je devais comparer avec un autre premier tome de série, je garde une préférence pour Les anges mordent aussi, où Sophie s’est autorisé davantage de libertés (sur le temps et le ton de la narration entre autres). De deux, un récit situé en Écosse sans Christophe Lambert en kilt, je ne me remettrai jamais de cette faute de goût impardonnable…
Sinon, Vertige se classe dans la fourchette haute de la romance fantastique. Si vous êtes fan du genre, vous le conseiller ne me vaudra pas la palme de la pertinence, parce que vous l’avez déjà lu. Dans le cas contraire, revoyez votre définition de “fan du genre”. Si vous voulez découvrir le genre, épargnez-vous les vampires phosphorescents amourachés de lycéennes débiloïdes et lancez-vous plutôt dans Noss Head et ses poilus. Si vous êtes parents d’une adolescente de 14 ans, vous savez maintenant quoi lui offrir pour Noël (la version illustrée des Étoiles de Noss Head, donc, pas un nain de jardin).
(En bonus : l’interview de Sophie Jomain sur la version illustrée.)