Melun, j’en avais causé à propos du bouquin de Nicolas Duplessier et de son été pourri. Aujourd’hui il sera question de fantasy et d’un homonyme (comme le café, sauf que ça s’écrit pas pareil), Melin l’Enchanteur Stéphane Melin.
L’Appel des Éléments
T.1 L’Appel
Stéphane Melin
“Bon, bon, bon, bon, bon…” Cette citation attribuée au colonel Timor, vétéran de la Second Guerre virtuelle, résume assez bien le démarrage poussif de cette chronique. Un peu comme quand ton KV-1 a enlisé ses 46 tonnes d’acier et que tu ne sais pas trop comment le sortir de la gadoue sans la main secourable et lévitatoire de maître Yoda.
Poussif, parce qu’avis partagé (ce qui n’est pas synonyme de mitigé). Si je devais chroniquer L’Appel en trois mots, je dirais “oui et non”. Dans le genre explicite, on a vu mieux, donc explicitons.
La couv’ signée Miesis en jette, parce que Miesis (cherche pas la fin de la phrase, ce nom se suffit à lui-même). La présentation intérieure du bouquin a de la gueule avec ses glyphes qui ornementent les numéros de pages et les têtes de chapitre. Mise en page aérée et agréable, l’auteur n’a pas essayé de rogner comme un malade sur le papier en réduisant les marges à des dimensions rikiki et étouffantes. Détail de rien, les sauts de paragraphe gagneraient à être moins hauts, un écart identique à un saut de ligne aurait suffi.
De la belle ouvrage pour un bel ouvrage, ou quand l’auto-édition se hisse à une qualité supérieure au standard professionnel.
Ces dernières semaines, j’ai eu l’immense déplaisir de lire des festivals de coquilles (i.e. La Nuit des Cannibales et Dusk). Depuis, je bouquine branché à une perf’ pour compenser les hémorragies oculaires et mes voisins m’appellent le vampire (oui, mes voisins parlent en italique, ils sont nés à Venise). Avant ils me surnommaient Super-Connard, donc j’y gagne, mais quand même… Là encore, L’Appel fait mieux que les pros (enfin, des pros, hum, c’est pas l’impression que j’ai eue…). Je me contenterai d’inviter l’auteur à relire la règle sur les points cardinaux (qui ne prennent pas de majuscule dans la plupart des cas), parce qu’à part ça, le texte est très propre. Mes yeux et ma patience te remercient, mec.
Comme quoi, un amateur ne verse pas forcément dans l’amateurisme et auto-édition ne rime pas toujours avec torchon. Il m’en est passé entre les pognes d’à peu près toutes les qualités, avec L’Appel, on frôle la perfection en matière éditoriale. Je serais Melin, j’organiserais des séminaires pour expliquer aux “vrais” (sic/lol/mdr) éditeurs comment bien faire leur travail.
Le contenage se rapporte-t-il au plumage ? demandait La Fontaine dans la fable La poule de luxe et le maquereau. Là c’est plus compliqué : le roman est plus que correct… mais je n’ai pas accroché autant que j’aurais voulu. L’Appel n’est plus de mon âge. Enfin, c’est pas tant une question d’âge (même si…) que de parcours en fantasy.
Le roman n’avait rien à me raconter que je n’aie déjà lu, vu ou vécu (par vécu, je parle de mon passé de rôliste ; en vrai, j’ai jamais tué de dragon ni lancé d’éclairs sur des hordes de gobelins).
Un jeunot sans histoire, genre de Bilbo Skywalker, s’hybride de Neo matrixien, parce qu’il est un des Élus. Tel un héros de World of Warcraft ou Noob, il va voir un gus auquel ne manque que le point d’exclamation au-dessus de la tête et reçoit le package complet : la prophétie, la quête, le groupe de raid à monter. Notre Harry-Bruce Willis Potter doit sauver le monde, rien de moins. Bastons, embûches, sacrifice de Boromir, amitié, amour, duels de magie élémentaire à la Magic The Gathering, sur fond d’affrontement manichéen contre un Chaos échappé de Warhammer (perso je préfère la vision moorcockienne d’un Chaos plus anarchiste que maléfique).
Bon, je caricature, mais dans les grandes lignes, c’est de l’heroic-fantasy donjonzetdragonesque ultra-classique. Pas que ce soit un défaut en soi… Encore qu’on puisse se demander s’il est pertinent d’explorer encore et encore des sentiers déjà cartographiés au millimètre depuis des décennies.
Tel Alexandre avec la poire gordienne, coupons en deux et tranchons à un demi-défaut. Parce que si on n’est pas soufflé par l’originalité du récit, icelui reste bien fichu dans sa catégorie.
L’Appel n’apportera rien aux briscards de la fantasy qui ont fait le tour des classiques et attendent autre chose du genre, à savoir qu’il s’affranchisse de ses propres codes, les casse et/ou les renouvelle (cf. Wastburg, Pratchett, La Compagnie Noire, Jaworski…). C’est mon cas. Ce roman m’aurait emballé dans mes jeunes années, sauf qu’après WoW, Tolkien, Howard, Leiber, Moorcock, Les Chroniques de la Lune Noire, Warhammer, AD&D et j’en oublie, aujourd’hui, il est incapable de me parler. Ses prédécesseurs m’ont déjà tout raconté : je sais que le coupable est l’archimage Moutarde avec la boule de feu dans la grotte du dragon.
Pour les mêmes raisons, L’Appel plaira à une autre catégorie d’amateurs de fantasy : les nostalgiques des récits old school et de l’ambiance SdA/AD&D. Bon moyen aussi de découvrir l’heroic-fantasy traditionnelle pour ceux qui ne savent pas trop par quoi commencer et ont la trouille de démarrer cash sur les “institutions” (Tolkien pour ne pas le citer).
Sur la forme, L’Appel s’oriente vers un style littéraire classique. On notera une recherche de vocabulaire qui change en bien des auteurs limités à être/avoir/aller/faire/mettre (et suscitent en moi une envie irrépressible de les battre avec leurs propres armes en leur disant d’aller se faire mettre). Pas de révolution ni de flamboyance stylistique au programme, mais une prose correcte qui assure le taf, avec une balance équilibrée entre action, description et dialogues.
Un défaut formel à signaler, récurrent dans la fantasy contemporaine, la majusculite aiguë. À croire que tous les auteurs sont d’anciens germanistes traumatisés au collège… Gens de plume, en vérité je vous le dis, il faut arrêter de coller des majuscules partout. À force d’en croiser tous les dix mots, l’effet de grandeur recherché disparaît derrière ce que j’appelle “les 3 P” (pompeux, pompier, pompant).
Le seul défaut d’écriture notable se situe dans les dialogues, truffés de verbes introducteurs et trop littéraires. Vu la moyenne d’âge des protagonistes et leur niveau d’éducation, d’où ils parlent comme Sévigné ? Même si on admet au plan diégétique que le passé simple soit un temps courant d’expression orale, faut pas oublier que le lecteur, lui, vit au XXIe siècle, pas dans le monde d’Abel (et la Bête). Quand un personnage ouvre la bouche, on dirait qu’il lit un bouquin : les propos manquent de naturel, de spontanéité, de justesse. Là-dessus, je renvoie à Concerto pour 4 mains de Colize, qui économise les verbes introducteurs grâce aux inserts narratifs et où les gens parlent comme des gens.
Pas les défauts les plus difficiles à corriger et pour un premier roman, L’Appel est très honorable. J’ai lu pire, vous avez pas idée, des trucs si mal écrits que tes dents tombent toutes seules pendant que ta tête tournicote en mode L’Exorciste. Là, pas de rendez-vous prévu chez le dentiste ni le kiné, donc ça va.
L’Appel pas de Cthulhu, une belle gueule, quelques défauts de jeunesse mais une bonne tenue d’ensemble. Un bouquin pas pour moi, les goûts, les couleurs et cætera tralala, mais d’autres y trouveront leur compte. Je le recommanderais plutôt à un jeune public (tranche Bilbo le Hobbit, Harry Potter), soit néophyte en médiéval-fantastique, soit amateur d’heroic-fantasy classique. Je conseille aussi aux candidats à l’auto-édition de jeter un œil à l’objet-livre pour voir à quoi ils doivent tendre.
Melin doit encore couper le cordon avec ses maîtres et ses influences, voler de ses propres ailes (…) (…) (…) (672 métaphores redondantes plus tard) se montrer plus aventureux, mais il y a du potentiel dans ce bonhomme.
(Bonus : chronique du tome 2, Le Soulèvement, chronique du tome 3, Le Déferlement et interview de l’auteur.)