On trouvait déjà de la guerre et de la société dans le cinquantième épisode des critiques express, je repasse aujourd’hui une couche sur cet inépuisable sujet, avec encore une fois de l’histoire hellénique au menu (Problèmes de la guerre en Grèce ancienne et Guerre et économie en Grèce ancienne) mais pas que puisque nous balayerons aussi le XXe siècle (L’homme en guerre), plus guerrier et sociétal que jamais (forcément, quand on invente la guerre totale, toute la société se retrouve les deux pieds dedans…).
Problèmes de la guerre en Grèce ancienne
Jean-Pierre Vernant (dir.)
Éditions de l’EHESS
Sorti en 1968, cet ouvrage rassemble la fine fleur de l’époque en matière d’histoire grecque (Vernant aux manettes, Marcel Detienne, Moses Finley, Yvon Garlan, Geoffrey Kirk, Claude Mossé, Jacqueline de Romilly, Francis Vian, Pierre Vidal-Naquet, liste non-exhaustive). Chacune de ces têtes d’affiche a sorti son meilleur article pour l’occasion, soit un total de 13 études (phalange, Sparte, période hellénistique, Mycènes, poliorcétique, poèmes homériques, guerre navale…), auquel s’ajoutent 4 notes portant sur les chars mésopotamiens, chinois et grecs, plus l’intro de Vernant qui ne se contente pas d’une préface pépère mais présente le sujet en long, en large, en travers et en profondeur. Autant dire qu’on a du lourd au casting comme à la lecture.
Le défaut de ce genre de compilation d’articles est souvent sa fragmentation en multitudes de sujets épars où chacun raconte son bout d’histoire dans son coin sans que l’ensemble forme un tout. Ici, au contraire, la direction d’ouvrage est exemplaire : on en ressort avec une vision globale de la guerre en Grèce ancienne (et ça tombe plutôt bien, vu que c’est le titre). Pari pas évident vu la taille du sujet, tant dans son thème (la guerre) que la période (elle est longue, l’Antiquité), mais pari tenu.
Si aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après sa publication, l’ouvrage est moins à la pointe qu’à sa parution, la recherche ayant évolué et ses certaines hypothèses ayant été affinées, nuancées voire rendues obsolètes, il reste une base solide et une lecture stimulante. Un must.
Guerre et économie en Grèce ancienne
Yvon Garlan
Éditions La Découverte
J’avais eu l’occasion d’évoquer le travail de Garlan dans un précédent article où il était question de la guerre. Même joueur joue encore, pour cette fois interroger les liens entre castagne et pognon. L’une ne va pas sans l’autre. Comme on dit, l’argent est le nerf de la guerre.
C’est même ce lien en particulier qui constitue une des bases de la construction étatique dans l’Europe médiévale et moderne : pour faire la guerre, il faut du blé ; pour récupérer du blé, il faut lever des impôts ; pour faire passer tout le monde à la caisse, il faut un État organisé, assez fort pour imposer ses vues et ses sujets. Cf. le cas de la France dans sa trajectoire XIIe-XVIIIe s. (période dont l’héritage perdure encore de nos jours, l’État étant toujours fondé sur ses trois piliers pas du tout malsains que sont le pouvoir, l’argent et la violence…).
Mais on n’en est pas encore là, revenons à nos Grecs d’antan.
Or donc Garlan va passer en revue des questions comme la balance des comptes (dépenses et profits de guerre) et l’économie monétaire, s’attarder sur son cheval de bataille qu’est l’esclavage (il a publié L’esclavage en Grèce ancienne), et encore plus sur son autre dada qu’est la défense, tant à l’échelle du territoire entier que des ouvrages fortifiés (cf. sa thèse Recherches de poliorcétique grecque). Pour les idéalistes qui en sont encore à croire que la guerre n’est qu’une affaire d’hoplites-citoyens défendant la mère-patrie et les idéaux de la cité, un chapitre consacré aux mercenariat montrera que non et qu’il n’y a pas loin du mercenaire aux citoyens et vice-versa. Enfin, le chapitre sur les pirates vaut le détour aussi bien en soi que comme mine d’idées originales pour les rôlistes et les auteurs de fiction (histoire de nous changer des éternels pirates des Caraïbes dont on a assez soupé).
Bonne synthèse du sujet, pourvue d’une bibliographie conséquente dans les notes pour ceux qui veulent creuser tel ou tel point particulier, accessible au grand public et intéressante pour les spécialistes, soit un très bon complément à l’ouvrage précédent dans lequel Vernant regrettait en préface d’avoir manqué de place pour en accorder une à l’économie.
L’homme en guerre, 1901-2001 : de la Marne à Sarajevo
Philippe Masson
Éditions du Rocher
Déjà évoqué à propos de son Histoire de l’armée allemande 1939-1945, Philippe Masson revient pour le plus grand bonheur des petits et des grands – plutôt les grands, vu le sujet.
L’ouvrage étant de qualité, on passera outre la double bizarrerie du titre, l’une étant la borne maximale de la période, fixée à 2001 alors que l’ouvrage est paru en 1997 ; l’autre étant le choix d’avoir délimité le sujet par des années précises plutôt qu’un simple L’homme en guerre au XXe siècle, dates qui ne collent pas du tout avec les événements annoncés (la Marne, c’était en 1914 et le siège de Sarajevo a duré de 1992 à 1996).
Plutôt qu’un exposé d’un bloc qui progresserait dans son analyse, il faut prendre L’homme en guerre comme un recueil thématique dans lequel on piochera au gré des envies. C’est le seul défaut du bouquin, l’absence entre les différents sujets évoqués d’un liant plus pointu que le seul cadre du sujet qui est très large sur chacun de ses points – guerre, société, XXe – comme dans leur combinaison.
Cette réserve mise à part, le titre a le grand mérite de proposer une bonne synthèse, accessible sans disposer d’un bac +12000 en histoire ou de 350 ans d’expérience professionnelle dans le domaine militaire.
Masson s’intéresse au visage particulier de la guerre au XXe siècle, ou plutôt aux visages, pluriel de rigueur tant la période abonde en nouveautés (guerre totale, guerre à l’échelle mondiale, guerre pour des motifs idéolologiques, conflits de décolonisation, nucléaire…). Il va surtout s’intéresser à l’humain, embarqué là-dedans, transformé en combattant alors qu’il était un civil peinard, confronté à une expérience et un environnement terribles sur les plans sensoriels et psychiques. Changement de la guerre et changement des armées occupent la moitié de l’ouvrage, l’autre moitié étant occupée par le devenir de ces combattants selon qu’ils finissent blessés, capturés, morts ou parviennent à s’en tirer, à travers l’étude du service de santé, des prisonniers, des sépultures (cimetières militaires et monuments aux morts font partie des grosses nouveautés sociétales du siècle) et des anciens combattants.
Même si un peu décousu dans sa globalité, L’homme en guerre parvient à donner une image claire et précise du combattant dans les limites de ses 400 pages pour un sujet qui en nécessiterait dix fois plus. Masson doit parfois faire vite, survoler certains points sans les creuser, zapper les détails et les références, mais c’est l’exercice de la synthèse qui veut ça, ainsi que les contraintes éditoriales. Il en reste un bouquin intéressant, une très bonne base pour aborder la question.