La revue Casus Belli aura marqué ma jeunesse des années 80-90. Good old times, aurait dit Xénophon s’il avait parlé anglais, mais non monsieur préfère se la péter à balancer des citations en grec.
Pour contextualiser le machin… Nous sommes dans les années 80, je suis collégien dans une ville morte de 25000 habitants où il n’y a rien à glander à part regretter que tout le monde y vive comme en 1950. Déjà très porté sur la littérature et le cinéma de genre, je fais figure d’alien en pratiquant le jeu de rôle (Les Terres de Légende), quand le reste de la ville en est encore à Fernand Raynaud et aux petits chevaux. Mes parents possèdent un Minitel, j’ai un ordinateur Amstrad, je suis à la pointe de la technologie.
Dix ans, un parfait geek.
Un jour que j’accompagne ma mère à la maison de la presse, pendant qu’icelle est occupée de son côté, je baguenaude parmi les rayons jusqu’à tomber par le plus grand des hasards sur un coin un peu fourre-tout où se côtoient pêle-mêle revues de cinéma, d’informatique… et de jeux de rôle. C’est là que je découvre mon premier Casus Belli, aujourd’hui conservé dans un reliquaire sur l’autel de Notre-Dame du Souvenir. Je prends la revue, je la feuillette, je tombe sur la page des figurines et les photos me ravissent d’émerveillement. Emballé comme seul peut l’être un enfant de dix ans, j’embarque le précieux ouvrage et me dirige vers la caisse… avant de bifurquer vers maman, vu que mon pouvoir d’achat est nul et que c’est elle qui a le pognon.
De retour à la maison, je m’attelle à la lecture. Vu mon âge et vu le contexte de ma ville où on ne trouve rien de rien de ce qui est présenté dans le magazine, je pense que ce premier Casus a été l’occasion de mon plus grand voyage. Sans bouger mon cul de ma chaise. Même quand, plus âgé, je suis allé baguenauder de par le vaste monde sur les terres de Britannia, du Saint Empire Romain Germanique, de la république tchèque, de l’Empire du Soleil levant, jamais je n’ai atteint un tel niveau de dépaysement slash choc slash exotisme slash béatitude. Un périple vers l’ailleurs à faire passer les tribulations des Magellan, Vasco de Gama, Colomb, Livingstone, Amundsen et Neil Armstrong pour des promenades dominicales familiales pépères autour du pâté de maison histoire de prendre l’air.
À partir de là, j’achète – enfin je me fais payer par ma mère – Casus tous les deux mois. Un jour où j’ai été encore plus brillant que d’habitude, maman m’offre même l’abonnement, avec l’italique de rigueur, parce que c’était genre la consécration.
Comme je l’ai dit dans mon évocation des souvenirs de Dragon magazine, autre revue phare de l’époque, Casus a été une porte ouverte. Sur d’autres mondes, d’autres jeux (JdR plus touffus que Les Terres de Legende, wargames, jeux de plateau, figurines), d’autres livres, d’autres films.
J’ai par exemple découvert Philip José Farmer par le biais d’un article sur le jeu Thoan sorti en 1995. La BD des Chroniques de la Lune noire de François Froideval (par ailleurs le fondateur du magazine), même chose, découverte dans Casus et c’est indirectement grâce à elle que bien des années plus tard, je taffe comme correcteur (merci la Lune noire !). Les vrais wargames en grosse boîte coûtaient trop cher, mais j’ai pu m’essayer au jeu de guerre par le biais de ceux proposés en encart dans la revue. Magic the Gathering, le jeu de cartes, je m’y suis mis suite à un article de Casus. Les jeux de figurine et la peinture, pareil, avec Warhammer Battle, puis WH40K. Côté jeu de rôle, les hors-séries de la revue en proposaient de bons à pas cher, Simulacres et Capitaine Vaudou, le premier permettant, avec son système universel, de tâter d’un peu tout, ce qui était vraiment chouette aussi bien pour des parties ponctuelles dans des univers spécifiques que pour tester des genres et des ambiances avant d’investir dans une gamme. Et c’est ainsi qu’après, en fonction de mes goûts et ceux du trio avec lequel je jouais, on s’est mis à Advanced Donjons & Dragons, L’Appel de Cthulhu, Shadowrun, INS/MV, Vampire…
Le top de Casus, c’était surtout l’encart de scénarios, où on en trouvait pour tous les goûts et tous les titres, les grosses licences, les confidentiels, les niches. Faciles à adapter et convertir d’un jeu à l’autre en fonction de ce qu’on possédait, ils m’ont servi de canevas pour bâtir mes propres scénars et dès lors que tu commences à bâtir des intrigues de JdR, il ne faut pas longtemps avant que tu ne bascules dans l’écriture de tes propres histoires. Et c’est comme ça que j’en suis arrivé à mes premières nouvelles…
Pour le contenu, on trouve sur les Internet assez de versions pdf de tel ou tel numéro pour me dispenser d’un inventaire page par page. Y avait des pubs, beaucoup de pubs, du simple encart noir et blanc de tel magasin à l’autre bout du pays aux photos pleine page de tel jeu qui venait de sortir. Calendrier des manifestations, des news et des sorties, revues express de tout un tas de jeux et extensions, critiques détaillées, aides de jeu (persos, univers, ambiance), figurines, dossier sur une gamme, une pratique (le GN, telle échelle de wargame) ou un thème (guerre antique, front russe, vampires). Donc une revue généraliste où tout le monde pouvait trouver son compte – tout en restant un peu frustré pour les monomaniaques de tel ou tel hobby, pas forcément intéressé par le reste des articles. Moi, ça va, comme je faisais un peu de tout, tout m’allait.
Viennent s’ajouter à la parution régulière une flopée de hors-série, avec mention spéciale à celui consacré à la ville de Laelith.
Chaque numéro m’embarquait dans un émerveillement continu, tant le contenu que les produits. Parce que dans mon patelin paumé, y avait rien. Deux magasins de jouets, zéro rayon jeu de rôle, wargame, figurines.
Tout était inaccessible.
Les univers imaginaires, parce que par définition ils n’existent pas, donc c’est un peu dur d’y aller – par contre, qu’est-ce qu’on travaille son imagination ! Les jeux, parce que pas vendus par chez moi. Et je rappelle qu’on parle d’une époque où Internet n’existait pas. On n’avait pas accès à toutes les infos du monde, ce qui fait que tout restait auréolé de mystère. On n’avait pas non plus accès à tous les magasins du monde. Quand je voulais un jeu, déjà fallait que je négocie avec maman, mes revenus de collégien étant ce qu’ils étaient – nuls, donc, on n’est payé pour faire les trois huit à l’école. Là-dessus, avant qu’on puisse tout commander en trois clics comme maintenant, fallait remplir un bon de commande papier à la main avec un stylo, joindre un chèque, mettre le tout dans une enveloppe sur laquelle on collait un timbre avec la langue, et enfin porter la précieuse missive à la Poste pour que le facteur la convoite jusqu’à destination sur son palefroi en esquivant les loups, les bandits de grands chemins et les foyers de choléra.
C’est tellement plus comme ça aujourd’hui que j’ai l’impression de raconter La guerre du feu.
M’enfin voilà, c’était une époque.
D’excellents souvenirs, de lecture, de jeu. De l’imagination à foison. Ma conclusion sera la même que celle de Dragon Magazine (que je vous invite à lire, ça m’évitera de la recopier ou la paraphraser). Casus m’a apporté et appris énormément, m’a permis de construire beaucoup de choses et son héritage pèse lourd dans mon imaginaire et mes goûts actuels.
(Cette revue a été récompensée par un K d’Or.)