Les Chroniques de la Lune Noire
T.2 De Sinople
Jeanne-A Debats & François Froideval
Éditions Leha
De Sinople démarre pile à la seconde où s’arrêtait son grand frère De Gueules. Comme suite directe, on ne peut pas faire mieux en termes de timing. Ce second épisode des Chroniques de la Lune Noire couvre en équivalent BD la toute fin du tome 3, le tiercé 4, 5, 6 et s’achève sur les premières pages du tome 7 (voir le détail de la saison 1), le tout assaisonné de quelques petits emprunts aux Arcanes.
On prend les mêmes et on recommence ? Pas tout à fait. De Gueules organisait la mise en place du cadre, des factions et de leurs relations, et mettait en scène les rencontre entre Wismerhill et ses joyeux compagnons (Pile-Ou-Face, Feidreiva, Ghorghor Bey, Murata, Goum et Nasha), le tout avec pas mal de potacheries autour. Ici, on grimpe d’un cran dans la tension, avec la montée en puissance de Wis, les premières responsabilités seigneuriales, le choix d’un camp dans le panier de crabes de l’Empire, des pertes – lourdes – à encaisser. La fantasy picaresque s’oriente vers la dark fantasy, on n’est plus là pour rigoler. Enfin, si quand même, encore, parce que les notes d’humour et punchlines rigolardes, une des marques de fabrique de la BD, sont encore de la partie pour alléger l’ambiance.
Comme son prédécesseur, De Sinople respecte l’ADN de la série originelle. Tout y est, sauf le dessin (forcément, dans un roman, c’est pas trop le lieu pour les fantaisies graphiques). À la place des images, le texte offre quelques petites choses creusées davantage ici et là, sur les états d’âme des personnages, leur passé, leurs relations, autant de points laissés un peu de côté dans la BD. Des petits bouts scène en plus (la mégère de Garundel, la filature de Desdémone), d’autres plus développées (le remplacement des fenêtres bousillées tous les deux jours par Wismerhill – un de mes passages préférés dans le roman), des noms pour la kyrielle de personnages secondaires anonymes (maître Frédégon, entre autres), autant de changements minimes mais qui apportent au récit du corps, de la fluidité, des bouffées d’air entre les complots machiavéliques et les bastons titanesques… et qui justifient au passage la novélisation. C’est pas juste on prend les dialogues tels quels, on transforme les images en descriptions, et hop torché. Ici, le changement de format fait sens à travers les différences subtiles entre BD et roman, qui rendent les deux versions complémentaires. Mêmes décors, mêmes personnages, même histoire, même esprit, autre façon de raconter l’épopée.
À l’arrivée, l’adaptation est toujours aussi bonne qu’avec De Gueules, on change juste la couleur. De Sinople, c’est vert. Mais juste.
Alors bien sûr les esprits chagrins entonneront à propos de ce deuxième opus le même refrain qu’avec le premier : ça fait doublon, sous-entendu qui ne sert à rien.
Je ne sais pas comment vous dire ça, les gars, alors pour pas vous traumatiser, on va y aller pas à pas, une révélation après l’autre, histoire de vous préparer à la queen mother of all :
1) Dark Vador est le père de Luke.
2) Le père Noël n’existe pas.
3) Une adaptation est par essence un doublon. Elle n’existe que parce que l’œuvre originale lui préexiste. Pour pas faire doublon, faudrait tout changer et si on change tout, le résultat est une autre œuvre originale, pas une adaptation. Donc forcément que c’est “un peu” pareil entre le roman et la BD.
Bref, à ce compte-là, la trilogie de Peter Jackson aussi est un doublon du Seigneur des Anneaux de Tolkien. Quelle idée il a eue, le Pierrot, de repondre un truc qui existait déjà…
D’autant plus que dans le cas des Chroniques (comme pour le SdA), le projet vise à une adaptation fidèle, pas une adaptation libre (comme peut l’être O’Brother vis-à-vis de l’Odyssée, par exemple). Donc que les deux œuvres soient proches n’a rien de scandaleux, c’est même l’objectif. Et chacune a son identité propre, justifiant sa complémentarité avec l’autre.
Perso, quand je lis les romans de la Lune Noire, forcément qu’il y a une forme de redite, vu qu’après trente ans et quelques à bouquiner la BD, je connais tout par cœur. Mais c’est aussi une redécouverte à travers le texte seul, sans le support de l’image. Redécouverte aussi à travers la touche Debats, qui se glisse dans les références (de Tristan et Yseult à Astérix en passant par Les Tontons Flingueurs) et les choix d’écriture (je pense à certains rôles secondaires réattribués à des femmes, qui brillaient par leur quasi absence dans la BD).
Je kiffe cette novélisation qui parvient à me captiver alors même que je sais déjà tout (et quand je dis “tout”, c’est du genre à localiser à la page près en moins de trois minutes un hapax dans une ligne de dialogue).
Alors ouais, déjà lu mais relu, autrement, avec toujours le même plaisir !
Prochain volet prévu pour la fin de cette année, je suis déjà dans les starting-blocks…
(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)
et mon guerrier comptable, tu l’aimes mon guerrier comptable ? ^^
@JAD : Volker, j’ai adoré ! Un guerrier-comptable, ça a à la fois un côté WTF à travers le décalage entre ses deux carrières, l’une pépère, l’autre tumultueuse, et en même temps un côté pas si fou, vu que toutes les armées du monde ont toujours compté dans leurs rangs des gens aux trajectoires improbables. ^^