Gâteau d’amour
Sophie Jomain
J’ai Lu
Pour les besoins de la chronique d’aujourd’hui, je prête mon costume de Batman à Sophie. Si jamais elle tombe en se prenant les pieds dans la cape dix fois trop longue vu la différence de taille entre nous, je la rattraperai avec mes petits bras musclés grands bras rachitiques.
Or donc le pétillant Cherche jeune femme avisée fit office de Jomain Begins. D’un commun accord, plus grave, fut l’épisode Dark Jomain. Gâteau d’amour clôt la trilogie en fanfare sur l’air de Jomain Rises, en beaucoup mieux que l’ultime épisode de Nolan.
Quatrième de couverture :
« Comme elle l’aime ce gamin… Elle ferait n’importe quoi pour lui. S’il existe vraiment, Dieu lui en sera témoin : ce soir, Annabelle réglera tous leurs problèmes. Ce soir, elle acceptera l’offre que lui a faite Cédric Berckin.
Antoine, son grand amour, aura le cœur brisé et le sien saignera, mais Charles vivra encore un peu. Rien n’est plus important. »
Il aura fallu vingt ans à Annabelle pour avoir le courage de quitter Cédric et affronter la peur qui la retenait. Aucun homme ne la soumettra plus jamais, mais un seul saura-t-il de nouveau faire battre son cœur ?
Dans mon univers fantaisiste, un gâteau d’amour, c’est Erika Eleniak jaillissant tous seins dehors d’une pièce montée dans le film Piège en haute mer, nanar des années 90 porté par l’inénarrable Steven Seagal. On en prenait plein la vue voire, pour les plus émotifs, plein le caleçon.
Pâtissier à mes heures, je rêve de cuisiner un gâteau XXL pour reproduire cette scène mythique…1
Sophie Jomain propose une approche très différente du gâteau d’amour. Il n’y a pas Steven Seagal, déjà. Notez qu’on n’a pas l’impression d’un manque pour autant, il n’aurait rien apporté au roman.
Que dire de ce bouquin sans spoiler ? Ouais, parce que la quatrième en dit beaucoup tout en laissant planer autant de mystère… Alors, sans trop donner de détails…
Charles est malade. Mais genre malade, quoi. Un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane. Une place pour lui au sein d’un institut spécialisé dans les “cas à part” coûterait une méga blinde. Sa sœur, Annabelle, va donc quitter son grand amour Antoine pour se tourner vers Cédric, plein aux as, et assurer à son frérot des soins dans un mouroir de luxe. Les choses auraient pu rouler bon an mal an, sauf que voilà, Cédric est ce qu’on appelle en langage courant un connard. Le gros modèle avec toutes les options. Narcissique, tyrannique, manipulateur, jaloux, toxique au dernier degré et, pour couronner le tout, il pousse le vice jusqu’à la violence physique. Comme mari idéal, on a vu mieux. Annabelle le quitte et c’est là-dessus que le roman démarre, entre liberté retrouvée et galères à affronter.
Si je devais pondre un avis d’une ligne – ce qui me semble mal engagé vu les quarante qui précèdent – je dirais…
Bravo !
Ouais, c’est une petite ligne, mais il n’a jamais été dit dans les consignes qu’elle devait être aussi longue qu’un marque-page fabriqué par bibi.
Gâteau d’amour est à la fois, pour la partie subjective, un livre que j’ai beaucoup aimé et, sur le versant objectif, un roman qui propose une excellente qualité d’écriture. Mon préféré de la Trilogie du Conte de Fées. J’avais beaucoup aimé Cherche jeune femme avisée pour son humour et son ton souvent impertinent, un peu moins D’un commun accord pour des raisons très subjectives puisqu’il est un cran au-dessus niveau écriture que le premier. Gâteau d’amour, première place du podium direct. Et bien placé aussi dans le top général de la biblio de ma’ame Jomain.
Sorti à quelques mois d’intervalle de Et tu entendras le bruit de l’eau, Gâteau d’amour en est aussi très proche par la thématique.
J’en vois une paire dans l’assistance qui frémissent. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, les deux romans sont aussi très différents dans ce qu’ils racontent comme dans le traitement.
Et le prochain qui m’interrompt, je lui coupe un pied.
Je parlais donc des points communs.
Le bruit de l’eau était court, à peine 300 pages. Gâteau d’amour, s’il est un chouïa plus long, est loin d’atteindre le volume de ses deux grands frères de la trilogie. Ce qui le rend moins bavard et, de fait, beaucoup plus percutant. Percutance (ça existe, ce mot ?) que j’avais aussi appréciée dans Et tu entendras… Aucune longueur, aucune scène inutile, aucun dialogue qui s’étire. La recette du Gâteau d’amour est très bien dosée et se digère sans avoir recours au bicarbonate de soude ou à la lecture en diagonale.
Comme disent ceux qui en ont une petite, la taille ne fait pas tout. On trouve bien sûr entre les deux titres d’autres parallèles, plus profonds ceux-là. Le vrai gros point commun majeur se situe au niveau de la thématique. Marion “Glouglou” Verdier et Annabelle “Love Cake” Saulier ont toutes deux sacrifié leur vie et leur bien-être, l’une à sa carrière, l’autre à la maladie de son frère. Ces deux femmes en arrivent à une remise en question de leur existence, qui les amène à entreprendre quête de soi et reconstruction. Chacune à leur façon, d’où deux romans très différents au final.
Sacrifice et reconstruction de soi, telles sont les deux mamelles de Gâteau d’amour. Deux thèmes intéressants, en tout cas, moi, ils m’intéressent. Sans doute parce que je pratique avec assiduité le premier (ainsi que toutes les conséquences néfastes qui en découlent) et parce que j’ai eu l’occasion de tester le second (ce dont je me serais bien passé). Bref, ce roman entre dans la catégorie des bouquins qui me parlent.
L’intelligence de Jomain, c’est qu’elle ne fait que raconter une histoire. Elle traite ses thématiques au sein de son récit, dans l’espace offert à ses personnages. Jamais elle ne se la joue moralisatrice ou donneuse de leçons de vie au lecteur. À chacun de méditer sur le fond de ce qu’il lit, sans que l’auteure te pousse dans son sens à elle en mode grande détentrice de la vérité. Perso, j’aime ça. Je veux qu’un bouquin m’invite à réfléchir. Je veux aussi qu’il me laisse le choix des réponses, pas qu’il me dise quoi penser. Gâteau d’amour, s’il ne correspond pas en théorie à mon univers de lecture, plein de dragons, de vaisseaux spatiaux et de gens éventrés, se montre on ne peut plus conforme à mes attentes de lecture. Comme quoi, en littérature, on peut très bien sortir de sa zone de confort tout en restant en terrain connu.
S’ajoute en invité trouble-fête le thème de la tyrannie domestique. À la différence des deux précédents, je ne pratique pas – on ne peut pas avoir tous les vices – mais je m’y intéresse, vu que le sujet des violences envers les femmes fait partie des gros enjeux sociétaux actuels (depuis au moins 5000 ans que le sujet est d’actualité, il serait en effet temps de se pencher sur la question…).
Thème fondamental dans le sens où il initie la démarche “nouvelle vie” d’Annabelle, sans constituer pour autant le cœur de l’ouvrage. Il ne s’agit pas d’un récit de destruction mais de reconstruction, le chemin d’une femme qui cherche à en sortir, à avancer, à bâtir une nouvelle existence plus saine pour elle.
Trio thématique lourd, synonyme de souffrance, d’angoisses, de difficultés, plus la maladie et la mort en arrière-plan à travers plusieurs personnages. Youhou ! Ambiance et cotillons !… Ben ouais en fait. Enfin, non. Si…
La pesanteur qu’on pourrait craindre est d’abord tempérée par la source d’inspiration : un conte de fées. On sait d’entrée qu’il y aura une pincée de poudre féérique pour arranger les ballons et que l’histoire finira bien. Là-dessus, le choix de Jomain porte sur une trajectoire ascendante, celle d’une femme qui sort de la violence psychologique exercée sur elle et qui retrouve sa liberté. L’ambiance se veut positive, avec ce qu’il faut de légèreté pour ne pas étouffer le lecteur.
Grande qualité de Gâteau d’amour, sa faculté à jongler avec les différents registres. Des passages difficiles, il y en a. Par exemple, quand Cédric agrippe Annabelle vers le milieu du bouquin, la scène est dure, violente, révoltante. Quand Antoine, médecin de son état, se retrouve face à un patient à qui il reste deux ans à vivre en comptant large et qu’en plus ce patient est un gamin, y a pas de quoi sauter de joie au plafond.
Mais à côté, Gâteau d’amour a ceci de vivant qu’il joue sur le protéiforme du quotidien2. Certains chapitres sont bourrés de tendresse, pleins d’altruisme, parfois très drôles3. Alternance très bien fichue, sans jamais donner l’impression de partir dans tous les sens ou que l’auteure ne savait pas trop quel ton adopter et a mis un petit de tout au pif en espérant que ça marche. Rares sont les romans à jouer ainsi sur les tons avec autant de justesse et de maîtrise.
La légèreté donne du peps, la gravité apporte la profondeur, on ne croise aucune facilité qui donnerait dans le superficiel ou le pathos. Comme dirait Leblanc, c’est juste.
Gâteau d’amour est roman qui se dévore4. Il m’a fait le trajet aller-retour du salon de la littérature érotique (Die Zauberflöte !) sans lever le nez du bouquin. Fort, léger, drôle, triste, intelligent et profond, on dirait une description de moi, c’est dire s’il est réussi !
En cuisinière et romancière émérite, Sophie Jomain dresse à travers cette friandise un très beau portrait de femme, une Wonder Woman du quotidien.
Notes :
[1] Inutile de m’envoyer vos CV, une candidate occupe déjà le poste clé. ↑
[2] C’est comme dire que dans la vie il y a des hauts et des bas mais en version intello. ↑
[3] Personne ne sera étonné d’apprendre que j’étais pété de rire en lisant la scène à l’opéra. “Deux opéras pour le prix d’un. Turandot et La Flûte enchantée.” (p.300) ↑
[4] Pour une fois qu’on peut placer en contexte cette image éculée, ce serait dommage de se priver. ↑