Orgies barbares – Erich Hartmann

Faut croire que s’appeler Erich Hartmann prédestine à la célébrité, en témoignent Erich Hartmann un photographe germano-américain, Erich Hartmann as de la Luftwaffe pendant la Seconde Guerre mondiale ou le dessinateur espagnol Erich Hartmann. C’est de ce dernier dont il sera question aujourd’hui.
Rico a bossé pour un peu tout le monde et dans tous les domaines : illustrateur de jeux de rôle, de jeunesse, de presse, de pub, de comics, il est surtout connu pour Cuentos Medievales (litt. Contes médiévaux), une série érotique se déroulant dans un univers médiéval-fantastique, éditée chez les anglophones sous le titre Barbarian Chicks and Demons et chez les francophones sous le titre Orgies barbares.
Envoyez vos enfants au lit et enfilez votre slip de mailles – ne vous trompez pas, faites pas l’inverse –, nous partons pour le Moyen Âge ! Comme on disait plus ou moins à l’époque : mont de joie ! yolo ! à Dieu vit !

Orgies barbares
Erich Hartmann

Tabou

Orgies barbares I tome 1 Erich Hartmann Tabou BD

Dès la première histoire, Possession, on découvre que les contes médiévaux d’Hartmann prennent place dans un Moyen Âge parallèle. Une inquisitrice débarque, coiffée d’un casque qui ressemble au croisement de celui de Shredder avec le masque d’Hannibal Lecter, et pratique un exorcisme en s’enfilant le braquemard du possédé dans tous les orifices. Pas très historique, tout ça. Donc un univers “médiéval” à la Donjons & Dragons, où des barbares du VIe siècle côtoient des hommes d’armes du Xe et des chevaliers du XIIIe.
Dans ce monde de bric et de broc, les démons existent, des monstres gardent des temples abritant des trésors cachés, bref, c’est de l’heroic fantasy. Même si pour le coup, l’ambiance est moins à l’héroïsme qu’à la gaudriole, aux arnaques et aux embrouilles, le tout dans des histoires courtes au ton léger. Légèreté qui n’empêche pas l’auteur de maîtriser son sujet, on sent qu’il a bossé dans l’illustration de jeu de rôle, qu’il connaît les références, les codes, les archétypes. Et surtout, il sait les détourner.
En ressort une BD qui, sous son trait réaliste et son langage d’époque, est on ne peut plus potache dans l’esprit. Tout est prétexte à tirer un coup, faut pas chercher plus loin. Et ça marche ! Parce que c’est fait sans prétention, dans un esprit de second degré, et que c’est bien fait.
En plus, dans ce monde où les femmes pourraient n’être que des victimes de guerriers queutards et bourrins, comme dans les trois quarts de la littérature érotique, ici, elles mènent la danse ou, à tout le moins, parviennent à retourner les situations à leur avantage, parce qu’elles en ont plus dans le citron que les personnages masculins qui ne pensent qu’avec leur teub. Les donzelles d’Hartmann réfléchissent avec leurs fesses et leur cerveau, soit quatre hémisphères, comment voulez-vous lutter ?…
On suit donc avec plaisir les aventures débridées de la prêtresse Yevlyn, la guerrière Zoïa et la voleuse qui s’appelle “La Voleuse”, chacune héroïne de deux historiettes olé-olé.

Orgies barbares II tome 2 Erich Hartmann Tabou BD

Le tome 2 s’ouvre sur une parodie du segment L’Apprenti sorcier du film d’animation Fantasia. Ici, point de balais en folie mais un trio de démons en chaleur loin de l’esprit Disney…
Le ton est donné d’entrée : cette suite s’oriente plein pot vers la comédie.
On va donc suivre les tribulations de Yasmine la gaffeuse, mi-apprentie sorcière mi-servante portée sur les invocations démoniaques foireuses ; de Corwyn le Magnifique, preux chevalier benêt qui ne dépareillerait pas au milieu des bras cassés de Kaamelott ; et du duo de chasseuses de primes Shaya et Laïs, qui remplissent leurs missions en usant de méthodes aussi inventives que peu orthodoxes.
Dans ses histoires, Hartmann revisite aussi bien les contes de fées que les missions classiques de jeu de rôle heroic fantasy (trimbaler un objet sur une route parsemée d’embûches, mettre fin aux agissements des bandits de la forêt, sauver la princesse, vaincre le vilain monstre du coin…). Le résultat est décalé et marrant, montypythonesque, kaamelottien avant l’heure.

Orgies barbares III tome 3 Erich Hartmann Tabou BD

Hartmann poursuit son exploration détournée en multipliant les clins d’œil à divers univers de fantasy. On citera par exemple un caméo des Nazgûl du Seigneur des Anneaux, l’aubergiste Fullstuff dont le nom renvoie au vocabulaire de World of Warcraft ou encore l’introduction d’un nouveau personnage, Yonsa la rousse, écho à Red Sonja. Les contes de fées ne sont pas en reste avec une Blanche-Neige qui s’envoie en l’air avec les nains.
Si jusqu’ici les personnages mis en scène étaient indépendants les uns des autres, Hartmann commence à les relier à partir de ce tome 3. Ainsi on apprend dans une histoire que Shaya la mercenaire du n°2 connaît Yevlyn l’inquisitrice du n°1. Certains liens se tissent de façon indirecte via des personnages secondaires croisés par telle héroïne auparavant et mis en contact avec une autre dans ce volume. J’aime bien cette idée de rassembler les éléments épars pour construire petit à petit un univers unifié. J’aime surtout le procédé consistant à éviter la facilité du contact frontal entre les différents protagonistes en passant par d’autres biais, comme les connaissances communes ou la présence simultanée dans une même histoire de personnages issus de trames différentes sans qu’ils se croisent pour autant.

Orgies barbares IV tome 4 Erich Hartmann Tabou BD

Les amorces de liens entre les personnages introduites dans le tome 3 se concrétisent ici : l’inquisitrice Yevlyn retrouve son ancienne comparse Shaya la mercenaire. De son côté, toujours affublé de son serviteur Gilles plus malin que lui et de la guerrière Yonsa la rousse, plus maligne que lui aussi, le prince Corwyn poursuit sa quête pour retrouver sa nièce kidnappée.
Cet album s’éloigne des petites pastilles juxtaposées pour se rapprocher d’un récit plus construit dans sa narration, plus long, plus ample, plutôt teinté d’humour qu’ancré dans la pure comédie.

Orgies barbares V tome 5 Erich Hartmann Tabou BD

Absentes depuis la fin du tome 1, Zoïa et la Voleuse sont de retour pour jouer de mauvais tours ! Chacune a quelque chose de Conan au féminin : la première, sur le thème du monde barbare fruste confronté à l’univers sophistiqué de la civilisation, la seconde pour sa faculté à vivre des aventures trépidantes dont le point de départ consiste souvent à aller chouraver un vieux machin dans un temple perdu.
Yevlyn, de son côté, poursuit son œuvre d’inquisitrice, qui l’amène à recroiser la route d’un démon, celui-là même présent dans la première histoire du premier tome.
On l’aura compris, ce tome 5 est un retour aux sources de la série. Si Hartmann évite de se répéter, c’est de justesse. En soi, l’album est bon, mais, replacé dans l’ensemble de la série, il n’apporte rien que les précédents n’aient déjà raconté.

Orgies barbares VI tome 6 Erich Hartmann Tabou BD

Couverture magnifique, l’intérieur un peu moins.
Hartmann semble avoir abandonné pour de bon l’idée des tomes 3 et 4, consistant à relier ses différents personnages, bâtir un univers homogène et développer une narration.
Ses petites histoires, qui fonctionnaient bien, sont ici moins drôles, moins inspirées, presque mécaniques. Par exemple, son remake de Boucle d’Or et les trois ours voient ses héroïnes débarquer dans une maison vide, casser la croûte, piquer un roupillon et tomber à leur réveil sur les proprios. On se doute dès le départ qu’elles paieront le gîte et le couvert avec le leur cul. Et c’est ce qui arrive. Sans la moindre surprise dans l’histoire. Sans le moindre trait d’humour. Sans le charme de la série en fait.
Pas très inspirées non plus, deux historiettes se déroulent dans notre monde à nous, à notre époque, en utilisant (mal) l’astuce du voyage magique entre les dimensions. Les deux sont insipides, pas drôles, on ne sait pas trop ce qu’elles cherchent à raconter.
Ne reste pour le plaisir des yeux que les nombreuses scènes de sexe, bien dessinées… même si, là aussi… ben au bout de six tomes, toutes ces fantaisies olé-olé ont un air de déjà vu.

Orgies barbares VII tome 7 Erich Hartmann Tabou BD

Histoires sympas dans l’ensemble, avec quelques beaux morceaux de bravoure autour de Gilles, second couteau récurrent de la série au service du chevalier Corwyn. Un peu de Belle au bois dormant, une version détournée de Xena la guerrière, la séquence souvenir de la première mission d’exorcisme de Yevlyn.
Les histoires autour de Gilles renvoient à l’esprit comique des tomes 1 et 2. Celle de Xena bis, plutôt aux parodies du tome 2, mais sans les personnages habituels de la série, donc avec des airs de spin-off. Celle avec Yevlyn, plutôt dans l’esprit du tome 4, quand Hartmann essayait de creuser un peu ses personnages. La dernière histoire autour du duo Shaya et Laïs se déroule sans Laïs, donc perd la moitié de son charme (et l’autre moitié disparaît dans une scène de viol qui ne s’imposait pas).
Unité thématique de l’ensemble, zéro. Idem en termes de ton (drôle dans le cas de Gilles, neutre le reste du temps). Pareil niveau narratif, on ne sait pas ce qu’Hartmann essaye de raconter de plus ni où il essaye de mener son univers et ses personnages. Personnages qui sont ici les parents pauvres (absence de Laïs ; Xena sortie de nulle part ; un nouveau personnage de chamane, Kharyn, présentée comme importante mais pas exploitée plus que ça).
Le résultat est un album pas mauvais mais loin de la flamboyance des premiers tomes. Tout part dans tous les sens en reposant à peine sur les bases posées par la série dans ses quatre premiers volumes et l’essoufflement ressenti dans le tome précédent reste présent.

Orgies barbares Gilles l'écuyer
Mon personnage préféré de la saga

Au final, série plaisante, marrante, qui fait le taf question divertissement. On regrettera juste son manque d’ambition sur le long terme, à n’avoir pas poussé davantage ses velléités d’unifier l’ensemble des histoires éparses. Hartmann aurait pu creuser les liens entre ses différents personnages et leurs aventures respectives, et les rassembler in fine dans une histoire unique avec une grande partouze en guise de bouquet final. C’est ce qui se dessinait à mi-parcours, et puis non. Il a préféré rester dans le sentier balisé de la petite historiette indépendante, en ajoutant personnage après personnage, dont certains ont été amenés à faire doublon (Yonsa la rousse fait doublon avec Zoïa et Kharyn aussi ; idem Ianira avec Yasmine). Il y avait déjà de quoi faire avec ceux des deux premiers tomes (Yevlyn, Zoïa, la Voleuse, Corwyn et Gilles, Shaya et Laïs, Yasmine) sans surcharger le casting.
M’enfin, Orgies barbares reste dans l’ensemble une bonne série, avec quatre tomes excellents et un cinquième très honnête ; seuls les deux derniers sont dispensables.

Barbarement vôtre Erich Hartmann artbook

En complément est sorti un artbook intitulé Barbarement vôtre. Comme on peut s’y attendre, le bouquin est bourré d’illustrations. Beaucoup sont piochées dans les différents tomes de la série – ce à quoi on pouvait s’attendre aussi vu le titre – mais le contenu ne s’y limite pas et s’enrichit de travaux additionnels d’Hartmann, liés pour l’essentiel aux Orgies barbares mais pas que, puisqu’on trouve aussi un chapitre lié aux autres thèmes qu’il a explorés (comics entre autres).
Là où certains artbooks se contentent d’aligner une compilation de dessins, celui-ci a le bon goût d’être accompagné de texte. Hartmann revient sur la genèse de la série, sa technique de travail, ses inspirations, ses intentions d’auteur… Bref, c’est intéressant à lire. Par contre, on se demande ce qui a pu passer par la tête de l’éditeur de coller à cet artbook bilingue français/anglais un titre imbitable pour les anglophones plutôt qu’un qui fonctionnerait dans les deux langues.

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