Laurent Whale, une des grandes rencontres d’Envie de Livres ! J’ai bien dû lui rafler un exemplaire de chacun de ses titres ou pas loin (ma mère et mon frère ont complété le “pas loin”, en fait, on a tout pris). Les auteurs de SF sont trop rares sur les salons généralistes, j’en ai profité et je me suis fait plaisir. En prime, un échange vivifiant avec l’intéressé. What else? dirait George Cloonexpresso.
Mais c’est assez des considérations festivalières, on s’en bat l’aine.
Les pilleurs d’âmes
Laurent Whale
Hélios (Les moutons électriques)
Plus jeune, je voulais faire pirate quand je serais grand. J’ai appris auprès des meilleurs : LCP (la chaîne parlementaire), L’île au trésor de Stevenson, le corsaire de l’espace Albator, le jeu vidéo Sid Meier’s Pirates!, le film Pirates avec Walter Matthau et Cris Campion, le dessin animé Takarajima, le jeu de rôle Capitaine Vaudou, des séries comme Deux ans de vacances, Jack Holborn et surtout Corsaires et Flibustiers.
Avec Les pilleurs d’âmes, j’en ai eu pour mon argent.
Histoire de pirates, récit d’aventure, espionnage, science-fiction, même un soupçon de thriller politique, c’est là que je suis bien content de ranger ma bibliothèque par auteurs plutôt que par genres.
Pour te situer, la Terre n’est pas la seule planète habitée de l’univers. Un empire galactique dont on ne sait pas grand-chose existe quelque part. Il s’y passe des trucs pas catholiques, des gens se font dézinguer, d’autres magouillent pour grappiller de l’oseille et du pouvoir. La situation est assez floue, présentée par touches hachées au lecteur qui devra extrapoler.
Le procédé pourra rebuter certains, il est à mon avis bien pensé. On n’a pas besoin de tout savoir et, sauf à avoir le cerveau d’une perruche, on devine l’essentiel. S’appesantir sur le détail ne ferait que ralentir le récit, plus orienté action qu’intrigues de palais.
La distance entre la planète bleue et les tribulations galactiques symbolise celle qui existe entre les colonies des Caraïbes et les métropoles européennes. La main droite ne sait pas ce que fait le pied gauche, ou alors avec un gros décalage dû aux communications longue distance, qui se mesurent en années-lumière ou en mois de navigation. En outre-gourde-flacon-bouteille (rayez les mentions inutiles), l’absence d’informations précises place le lecteur dans la même situation que le narrateur, en mission sur Terre, loin de ce qui se trame à l’autre bout de la galaxie. L’agent intergalactique en mission secrète, comme le navire en mer, se retrouve déconnecté de son port d’attache, obligé de se dépatouiller tout seul. Ce choix d’écriture colle aussi à l’ambiance pirate, un monde du hic et nunc, de l’immédiat, des fortunes claquées à la taverne sans s’occuper du lendemain.
Et ces pirates alors ? Une seule chose à dire : chapeau l’artiste !
Pour avoir potassé la question quand je pratiquais le jeu de rôle Capitaine Vaudou, qui se déroule dans les Caraïbes pendant la période 1650-1680, je connais le sujet sur le bout des doigts et du crochet.
Whale a réalisé un excellent travail de recherche. Aucune erreur sur les faits et personnages historiques (François l’Olonnais, Oexmelin, Bras-de-Fer…), pas d’aberration quand il a fallu combler les trous dans la chronologie ou les sources. Les termes techniques d’architecture navale sont les bons (et si tu ne les connais pas, il existe un outil formidable qui s’appelle le dictionnaire). L’auteur a su décrire la société des corsaires et flibustiers avec la précision de l’historien, mais pas seulement : il rend aussi leur état d’esprit, libertaire, épicurien, rien-à-perdriste, ultra-violent. Un mélange réussi entre la figure romantique du type qui vogue sans entraves et la réalité du maraudeur sanguinaire dont le quotidien n’est que pillages, viols et tueries.
Loin des chemises immaculées d’Errol Flynn dans Captain Brushing Blood, l’ambiance des Pilleurs d’âmes se rapproche du western spaghetti. De la crasse, du sang, des mouches, des odeurs qui te napalment les sinus. Il y a quelque chose de très organique dans l’écriture de Laurent Whale, qui ne fait pas que peindre un tableau mais lui donne une dimension sensorielle complète et dynamique. Quand un gus se prend une praline, il ne s’effondre pas avec une tache rouge bien nette sur sa liquette. Tu vois la giclée, elle salit tout, ça coule, l’odeur du raisiné te titille les narines, tes doigts deviennent poisseux. Tu es dedans jusqu’au cou.
Excellente histoire de pirates, avec un cadre immersif et de l’action tonitruante, Les pilleurs d’âmes, c’est aussi de la SF. Mariage réussi, avec une bonne gestion des équipements futuristes qui ne virent pas aux deus ex machina. L’occasion de quelques pistes de réflexion sur la dépendance technologique. Le Goff se retrouve à l’occasion privé de ses gadgets hi-tech, démuni… et admiratif devant les Terriens, ces péquenots qui en sont encore à la poudre noire mais compensent par la force brute, l’inventivité, l’astuce et la témérité. Il apprendra beaucoup à leur contact, mais pas que du bon.
D’où le titre. A côtoyer des bourrins assoiffés de sang, on risque de se faire siphonner l’âme et “basculer du Côté obscur de la Force”, comme dirait Gandalf (ou Spock, j’ai un doute). Je ne vais pas épiloguer là-dessus, sauf à spoiler le cœur thématique du roman. Je dirais que le cheminement de Le Goff offre une perspective intéressante sur la confrontation de l’individu à la violence débridée, le choc, la fascination, la tentation d’y succomber, l’emportement dans le feu de l’action.
Pour une première incursion dans le(s) monde(s) de Laurent Whale, prémices d’une longue série de lectures, Les pilleurs d’âmes place la barre très haut. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir mis le nez dedans plus tôt.
Sur ce, je vous laisse, ma frégate est garée en double file.
(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)
Merci l’ami ! j’en suis tout chamboulé 😉 je suis content que tu aies aimé ce roman qui a marqué un tournant dans ma « carrière » d’auteur.
Yohohoo et une bouteille (outre – flacon – tonneau) de rhum !!! ^^
Laurent.
Un très bon cru (aussi bien le bouquin que le rhum). 😉