Le Vent se lève (風立ちぬ, Kaze Tachinu en VO) est un documentaire sur les flatulences une biographie romancée de Horikoshi Jirō (1903-1982). Bienvenue dans la vie trépidante d’un ingénieur en aéronautique ! Le bonhomme a travaillé pour la firme Mitsubishi, laquelle, avant d’inonder le monde de bagnoles et de magnétoscopes, fabriquait de l’armement – ce qu’elle fait toujours d’ailleurs.
Mais qui est donc ce Horikoshi ? Monsieur est le papa du Zéro. Pas le chiffre, bande de crétins, l’avion. Si vous n’en avez jamais entendu parler, le zéro, c’est vous… Rappelez-vous Les Têtes Brûlées !
Horikoshi Jirō a d’abord créé le Mitsubishi A5M, inspiré, cocorico, de la conception du chasseur français Dewoitine. Premier chasseur japonais monoplan embarqué sur porte-avions, l’A5M est engagé pendant la guerre sino-japonaise en 1937. Forts de l’expérience chinoise, les Japonais démarrent un nouveau projet pour apporter corrections et améliorations. Ainsi naît l’A6M, de son vrai nom Rei shiki Kanjo sentoki (零式艦上戦闘機), “chasseur embarqué de type Zéro”, très vite connu comme le Zero-sen dans l’archipel et Zéro tout court en-dehors. Le Zéro fut un des meilleurs chasseurs de son temps. Il reste aujourd’hui encore cher au cœur des Japonais, idem leurs pilotes qui gardent auprès du grand public l’image de samouraïs modernes.
Mais, et c’est ce qui fait toute l’ambivalence du truc, le Zéro représente aussi la Seconde Guerre mondiale et tout ce qui va avec : 3 millions de morts civils et militaires côté japonais, deux bombes atomiques, la défaite, l’occupation américaine, des tensions encore d’actualité avec la plupart des pays voisins (Chine, Corée, Taiwan, Russie en tête).
Le sujet de la guerre est quelque chose de très complexe au Japon et Miyazaki a fait un choix très risqué. D’autant plus qu’en 2013, l’année de sortie de ce film d’animation, le contexte était houleux autour de l’idée d’une révision constitutionnelle destinée à militariser davantage le Japon.
On peut apprécier Kaze Tachinu en soi, hors contexte, mais il prend une dimension particulière par rapport à ce contexte mémorial et politique.
De la même façon, on ne peut saisir l’essence du film sans connaître un peu Miyazaki et son travail. Enfin si, on peut, mais là aussi, on perdrait une partie de sa portée.
Né en 1941, Miyazaki a été marqué par son enfance dans un Japon dévasté. Ce n’est pas pour rien si le thème de la guerre imprègne autant ses films. Toute la rhétorique de Miyazaki repose sur une opposition déterminée à la guerre. S’ajoute sa passion obsessionnelle pour les trucs qui volent (des avions, des gens, des châteaux…) et une dimension d’hommage familial, les père et oncle de Miyazaki ayant bossé pendant la guerre dans une usine qui fabriquait des pièces pour les Zéros. Quant au thème de la technologie, il lui vient de ses études en économie qu’il a achevées en pondant une thèse sur l’industrie.
Vous mélangez tout ça et le vent se lève !
Comme on peut le lire sur les affiches, 風立ちぬ、いざ生きめやも, “le vent se lève, il faut tenter de vivre”. Ce vers, issu du poème Le cimetière marin de Paul Valery, fut repris en 1937 par Hori Tatsuo dans son roman Kaze Tachinu, dont Miyazaki s’est inspiré, d’abord sous forme d’un manga en 2009 puis du film d’animation dont il est question depuis le début de cet article.
L’histoire est celle de Horikoshi Jirō, l’ingénieur horrifié par sa propre invention du diable, et de sa femme Naoko, qui crève à petit feu de tuberculose. Le ton est donné. Kaze Tachinu est l’œuvre la plus sombre et la plus adulte de Miyazaki. Sombre mais pas noire, parce qu’“il faut tenter de vivre” quand même.
Le film pose la question qui a hanté plus d’un inventeur (n’est-ce pas, monsieur Nobel ?). Pourquoi la technologie finit-elle toujours par accoucher d’armes ? Comment le vieux rêve de voler, si cher à l’humanité, a-t-il pu devenir une machine de mort capable de vous balancer des tonnes de bombes sur la figure ? L’éternelle question candide…
En cela, Kaze Tachinu diverge (et c’est énorme) de la réalité. Horikoshi Jirō était ingénieur en aéronautique, il savait ce qu’il faisait quand il a conçu des avions de combat. Quand le cahier des charges mentionne “canons”, “mitrailleuses” et “bombes”, c’est pas pour la plaisance… Kaze Tachinu, c’est la question de l’usage de la technologie, la question de la volonté d’aller au bout de son rêve mais à quel prix , la question de ce qui fait l’individu à savoir la somme de ses choix orientés par le déterminisme d’une époque. Horikoshi pouvait-il être quelqu’un d’autre ? faire autre chose ? Comme Miyazaki le dit lui-même, s’il était né quelques années plus tôt, il aurait fini embrigadé à jouer les kamikazes contre les Américains ou les dessinateurs d’affiches de propagande, parce que l’époque le voulait et l’y aurait conditionné.
Au-delà de cette question d’un libre-arbitre pas si libre que ça, on retrouve du Miyazaki classique avec, outre les thèmes déjà mentionnés (engins volants, pacifisme), la figure de la femme courageuse (Naoko), une dimension onirique… Miyazaki, quoi. Dessin et animation sont à tomber par terre ; rien à redire sur la musique de Joe Hisaishi.
Sur le fond, je n’ai pas accroché plus que ça à Kaze Tachinu. Pas que ce soit un mauvais film, bien au contraire, il est excellent. Juste une affaire de goût, pas ma tasse de thé. Le sujet biographique ne m’a pas attiré. L’ambiance tire-larmes est assurée de faire un bide avec les sociopathes sans cœur dans mon genre. Je déteste les histoires romantiques, donc la relation Jirō-Naoko m’est passée au-dessus.
Sur la forme, par contre, je suis resté sur le cul. Techniquement, c’est un des meilleurs, sinon le meilleur Miyazaki, y a pas photo.
Donc au-delà des goûts et des couleurs, un excellent film d’animation que je recommande, avec une histoire, un spectacle et un questionnement éthique. Du beau cinéma intelligent mérite toujours le détour.