Le mot “secret” m’a toujours fait rigoler. Surtout dans les contextes où il n’a aucune espèce de sens. Comme quand la presse te balance un article sur un “accord secret”. Si c’est dans le journal et que tout le monde est au courant, c’est plus trop secret, hein. Ou alors la définition du terme a changé, elle aussi en secret, mais un vrai pour le coup, vu que dans le dico il est toujours question de quelque chose de caché et d’inconnu.
Les “livres secrets”, même combat. Y a de quoi avoir de gros doutes sur la préservation d’un secret disponible en librairie et accessible au public. M’enfin, c’est le genre de titre qui fait vendre, surtout si tu repasses une couche en quatrième de couv’ avec du “mystérieux”, des “révélations”ou tout autre vocable racoleur et pseudo-sulfureux pioché dans le champ sémantique de la presse people. Le pire, c’est que ça marche…. et en dit long sur le niveau et la maturité intellectuels de la majeure partie du lectorat.
S’il reste à ce jour des gens pour croire que la lecture ouvre l’esprit et rend intelligent, on ne peut plus rien pour vous. Mais on vantera les mérites de l’euthanasie une autre fois. Aujourd’hui, on va parler sorcellerie, c’est parti pour une chronique secrète !
Le livre secret des sorcières
Katherine Quenot
Albin Michel
Le titre a eu son petit succès et a poussé Quenot à faire son fond de commerce des sorcières et des “livres secrets”. Un conseil : contentez-vous de celui-ci, qui est très bien, et évitez les autres. Les livres secrets sur Merlin, les elfes, les nains, les vampires ou encore les dragons affichent une qualité variable tant au niveau du texte que des illustrations, et dans l’ensemble, c’est pas magique (un comble pour des créatures surnaturelles). Quant au volet des sorcières, les autres publications de l’auteure se composent pour beaucoup de redites d’un titre à l’autre et le contenu inédit ne présente pas grand intérêt (la palme revenant à L’Almanach de la Sorcière, énorme grimoire qui est à l’image du Necronomicon édité par Bragelonne : joli mais creux et cher).
Or donc, ce Livre secret des sorcières, je l’avais acheté à sa sortie en 1994 pour l’utiliser comme supplément de jeu de rôle. Dès lors que les balais, chapeaux pointus et sortilèges sont de la partie, ce bouquin marche avec tout, historique, heroic fantasy, médiéval, moderne ou contemporain, et m’a servi à nourrir des parties d’Ars Magica, Les Terres de Légende, AD&D, In Nomine Satanis / Magna Veritas, L’Appel de Cthulhu, Capitaine Vaudou ou encore Vampire (aussi bien La Mascarade que L’Âge des Ténèbres).
Le livre secret des sorcières est une mine d’infos sur le sujet. Notez qu’il n’y a pas de quoi s’esbaudir, c’est ce qu’on attend d’un tel ouvrage. M’enfin, pléthore de titres dans cette veine promettent monts et merveilles sans que le résultat soit toujours à la hauteur. Ici, mission accomplie avec un contenu riche et dense.
L’engin se présente sous la forme d’une encyclopédie – ce qui, soit dit en passant, aurait constitué un meilleur titre que “livre secret” – avec des entrées par ordre alphabétique accompagnées du petit exposé qui va bien. On peut reprocher à cette présentation son côté fragmenté en mode “je balance mon bazar en vrac et débrouillez-vous avec”. Pour avoir jeté un œil à d’autres livres de Quenot organisés selon un plan thématique pas du tout convaincant, ce choix du format encyclopédique était la meilleure option pour tenir la route. Ce découpage en articles courts fonctionne sans rien forcer dans le rapport contenu/agencement. Au final, on prend plaisir à naviguer entre les articles au gré des renvois et des termes qu’on rencontre, à picorer çà et là un peu de nécromancie, quelques brins de plantes magiques, deux, trois questions de l’Inquisition…
Le texte est fourni au niveau informatif, pas exhaustif mais bien condensé pour apprendre l’essentiel. Après, les curieux auront toujours la possibilité de compléter tel ou tel point avec d’autres livres sur le sujet, par exemple les travaux des historiens Robert Mandrou (Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle) et Robert Muchembled (La sorcière au village, XVe-XVIIIe siècle et, pour les rapports entre les sorcières et leur idole cornue, Une histoire du Diable).
Le charme de cette encyclopédie vient de son cachet graphique, qui justifie l’achat à lui seul. Les illustrations de Guillaume Aretos sont aussi nombreuses que réussies, avec un style très particulier qui colle au sujet. Les paraphes cursifs dans les marges apportent une touche d’ambiance supplémentaire sur le mode du carnet de notes ayant circulé de main en main.
V’là un livre qu’il est beau et qu’il est bon !