Juste avant le crépuscule
Stephen King
Le Livre de Poche
Hello, my friend, stay awhile and listen.
Celle-là, si je ne l’ai pas entendue douze mille fois dans Diablo… Deckard Cain attaquait chacun de ses speechs sentencieux avec cette ouverture aussi invariable que des haut-le-cœur provoqués par des vol-au-vent.
Fallait rester planté là comme un radis et écouter le baratin de l’ancêtre, alors qu’il y avait tant de choses plus constructives à faire. Par exemple semer des tas de pognon sur la grand-place du village et élever Tristram au premier rang des paradis fiscaux.
J’y suis repassé la semaine dernière. Le coin n’a pas changé : un patelin quasi désert avec un vieux au milieu. On se croirait à la Table Ronde, quand Perceval raconte ses aventures.
C’est bien parce que j’ai besoin des lumières de papy Deckard…
Fidèle à son habitude, l’ancêtre bavouille à proximité de l’unique point d’eau. L’affable de la fontaine a beau mériter l’Oscar du gros relou et ne pas payer de mine, faut admettre que dans le domaine du pas ordinaire, le gars est une pointure.
Connaissant l’oiseau, surtout ne pas lui laisser le temps d’en placer une. Je lui balance direct un hello old ganache, ah, ha, ha, ha, stayin’ alive and open your esgourdes. On excusera mon allemand approximatif.
Je lui sors mon machin. Non, pas celui auquel tu as pensé mais un recueil de nouvelles de Stephen King, Juste avant le crépuscule. Sauf qu’en américain, il s’intitule Just after sunset. Sur la couv’, une tête de canidé, genre entre chien et loup. Soit pendant le crépuscule. Bref, cette histoire sent le paradoxe temporel à plein pif. Ou la traduction aléatoire – d’autres phrases dans le bouquin laissent la même impression, sans pouvoir trancher qui de l’auteur ou du traducteur était à côté de ses grolles.
Je pensais que Cain allait me déballer une explication de folie en police Exocet, cinématique 4K-3D-2Be3 à l’appui.
Tout ce que ce vieux débris a trouvé à me sortir, je te le donne en mille, Emile ! Hello, my friend, stay awhile and listen.
La prochaine fois, je ferai appel à la Brigade d’Intervention des Traqueurs d’Esprits. Parce qu’ils sont sérieux, eux, déjà. Et puis ils ont un acronyme rigolo.
Après la déception du Bazar des mauvais rêves, le souk des nouvelles pas terribles, dire que je ne partais pas confiant relève de l’euphémisme. In fine, ce recueil crépusculaire se situe un cran au-dessus, ni génial ni immonde. Assez moyen pour du King, avec trop de textes pondus sur l’inspiration du moment et pas assez médités en amont et/ou retravaillés derrière. Ou peut-être que son éditeur ne s’enquiquine plus à lui demander de retoucher ses brouillons, qui se vendront de toute façon.
A l’image de Rocco Siffredi, il s’agit d’un fourre-tout. Aucune unité de genre, on trouvera du fantastique, de l’épouvante, du thriller, du conte gentillet. Loin de l’obscurité annoncée, la tonalité penche plutôt vers l’optimiste, le mélancolique, les happy ends.
Pas davantage de lien thématique, sauf à considérer que maladie, mort et vie après la mort en fassent office. Mais bon, vu les genres concernés, ce sont un peu les sujets de base.
Quant à la qualité des textes, mêmes montagnes russes, avec une sensation de prédominante de “c’est pas mal mais ça aurait pu être mieux”.
Dans l’ensemble, les défauts tournent autour des classiques de King dans sa période années 2000. Phrases alambiquées avec leur lot d’incises et de parenthèses inutiles… Mise en place à rallonge… Faculté assez phénoménale à prendre le lecteur pour un demeuré et torpiller la chute en insistant trop sur certains détails des fois qu’il ne comprenne pas… Impression générale de ne pas savoir où on va, sans doute parce que la plupart des récits sonnent creux, faute d’un propos qui les sortirait de l’histoire anecdotique…
Le recueil démarre avec Willa, un conte fantastique gentil, sans rien d’horrifique. Pas la meilleure nouvelle du lot de l’avis de King – donc pourquoi ouvrir dessus avec le risque de perdre le lecteur d’emblée ?… Perso, j’ai trouvé que c’était au contraire une des mieux écrites. Pas d’exposition délayée, on plonge direct dans un contexte inconnu, flou. Et ça fonctionne, parce que les personnages se trouvent dans la même situation.
La fille pain d’épice et Un très petit coin apportent une touche de thriller.
La première est la meilleure des deux, un bon texte qui aurait gagné à être un peu plus ramassé sur son exposition et beaucoup moins explicite sur le personnage du tueur en série. Ce dernier n’est pas entré en scène qu’on a déjà subi QUATRE pages entières de sous-entendus sur les filles qu’il ramène chez lui et qu’on ne revoit jamais. Zéro pointé pour la subtilité. Par chance, la nouvelle se rattrape dans sa deuxième moitié.
La seconde part sur une idée intéressante de type coincé dans une sanisette renversée (et couvert de caca, ça, j’ai adoré, vu mon âge mental de trois ans). Un bon développement gâché par une fin à chier – tu me diras, c’est de circonstance. Le dernier segment est dépourvu de sens, de réalisme et de crédibilité, du pur WTF.
Le rêve d’Harvey et Le New York Times a un prix spécial sont assez proches, partageant téléphone, prémonitions… et chute prévisible. Pas trouvé d’intérêt dans la première qui se traîne en longueur. La seconde est mélancolique et gentillette, correcte sans casser des briques.
Aire de repos se classe dans les “oui mais”. La part des ténèbres du pauvre, vu que le côté sombre du personnage ne fonce pas plus loin que le gris pâle. Aurait pu donner quelque chose de mordant niveau thriller ou horreur mais fait plouf.
Vélo d’appart, il y a un peu de ça aussi. Bon texte dans l’ensemble, qui aurait pu donner du lourd en fantastique/horreur/épouvante et qui s’achève le nunuche et la guimauve.
Un chat d’enfer est très bon (sans doute parce qu’il s’agit d’un texte vieux de trente ans) mais avec une fin attendue dès les premières pages.
Muet propose un récit sympathique, avec pas mal de notes d’humour… sauf qu’il manque un propos, une direction, bref un truc un peu solide au-delà de l’histoire-anecdote.
Laissés-pour-compte, nouvelle intéressante sur le 11-septembre. A la base, ce thème ne m’emballe pas du tout, gavé que je suis par la surreprésentation de l’événement dans les films et séries pendant les dix années qui ont suivi. Le texte a le défaut de se perdre dans les redites mais reste une bonne étude sur la notion de souvenir à travers les objets de nos “chers disparus”.
Tout recueil comporte son étron, ici, c’est Fête de diplôme qui s’y colle. Peut-être que la nouvelle aurait pu faire mouche dans les années 50 (avant de vieillir bien comme il faut et se voir qualifiée de “datée”), pas au XXIe siècle.
Ayana n’a pas été loin de me laisser la même impression. Tu prends La ligne verte, tu enlèves tout ce qui en fait un excellent roman-feuilleton. Il te reste une histoire de miracle sans queue ni tête, coquille vide sans intérêt.
J’ai gardé pour la fin N. qui est de loin LA nouvelle du recueil. Bonne… sans atteindre l’excellence à cause d’éléments bancals qui la fichent par terre si on les regarde d’un peu trop près. En fait, elle résume mon sentiment sur le bouquin : toujours quelque chose d’insatisfaisant. Je ne sais pas si, comme l’annonce King en préface, il a perdu un temps le mode d’emploi de la nouvelle et éprouvé du mal à s’y remettre, mais le fait est que tous les textes présentent des défauts qu’on ne devrait pas trouver chez un auteur de sa trempe.
Quand tu lis N., tu penses à Lovecraft. D’après King, elle est inspirée d’Arthur Machen et son Grand dieu Pan, qui est d’ailleurs cité dans la nouvelle. Sauf que non, Stevie, désolé de te contredire sur ton propre terrain, mais N. tient plus de Lovecraft (qui t’a beaucoup inspiré et aurait mérité d’être cité aussi) que de Machen (qui a beaucoup inspiré HPL, c’est sûr). La créature que tu mets en scène s’appelle Cthun, c’est pas lovecraftien, ça, comme nom ? Et surtout, ton récit autour de ce cousin du C’thun de World of Warcraft est construit comme ceux de Lovecraft. Machen, oui, mais pas que…
Là-dessus, défaut classique de King, l’étalage, qui ne pardonne pas sur une nouvelle. Nonante pages au total, dont les soixante premières sont excellentes avant de partir en vrille dans un dernier tiers pesant. Le manuscrit du Dr Bonsaint n’avait pas besoin d’être aussi long, moitié parce qu’on sait comment il finit dès la première page de la nouvelle, moitié qu’il fait redite avec le récit de son patient.
Et comme si ça ne suffisait pas, les deux dernières pages (l’article et le mail) sont clairement de trop. Inutile d’enfoncer le clou avec un marteau XXL, on avait compris. Pourquoi en rajouter, pourquoi tant de N. ? Conclure sur la dernière phrase de Sheila aurait été beaucoup plus percutant.
Sans parler d’un défaut logique majeur : Cthun a plus de chances de se libérer de sa prison cosmique s’il a un gardien que s’il n’en a pas. Déjà, bonjour le concept débile. Pire, les gardiens le savent et s’obstinent à faire ce qu’il faut pour assurer leur relève. L’art de plomber une nouvelle avec un postulat d’une crétinerie abyssale…
Recueil moyen, moyen plus, avec de bonnes idées mais un manque de finition, de punch, d’ampleur, c’est selon. D’un débutant, je l’aurais trouvé prometteur pour la suite. De Stephen King, je trouve l’ensemble léger comparé à Danse Macabre ou Brume.
Pas assez angoissant, trop dans le conte moral lénifiant. Moins un recueil de nouvelles que de maximes en version longue : la curiosité est un vilain défaut dans N., profite de l’instant présent dans Willa, garde le sens de la mesure dans Vélo d’appart, méfie-toi de l’eau qui dort dans Muet… Rien de nouveau sous le soleil crépusculaire.
Juste avant le crépuscule ne restera pas dans les annales. Sauf pour Deckard Cain qui m’a gavé en sortant le stay awhile de trop. Au moins il ne manquera pas de papier quand il ira aux petits coins.
et bien non,pas du tout d’accord… j’ai adoré fête de diplome,que je considère comme une excellente nouvelle.la qualifier d’étron est une insulte…