Engrenages et sortilèges – Adrien Tomas

Engrenages et sortilèges
Adrien Tomas

Rageot

Engrenages et sortilèges est un bon livre. Ça me frustre un peu, parce que s’il avait été mauvais, j’aurais pu commencer la chronique par “ô Rageot, désespoir”, embrayer sur la critique d’une prose qui d’ennui fait bâiller, ô Corneille, et conclure sur la fameuse citation de Mac Mahon (ou Pauline Réage) “que d’ô, que d’ô”.

Engrenages et sortilèges Adrien Tomas couverture Rageot

Après cette action de grâce à la déesse Paralipse, soulevons le capot de l’engin.
Or donc, à Celumbre, Grise et Cyrus étudient l’une la mécanique, l’autre la magie. Voici leur histoire. Tin ! tin !
Suite à concours de circonstances où ils remportent le gros lot, voilà les duettistes pris dans un tourbillon d’aventures rocambolesques, racontées par le menu dans les presque 500 pages du bouquin et que je ne vais pas spoiler (ou divulgâcher, si on aime les néologismes débiloïdes).
Avec ce duo que tout oppose, Engrenages et sortilèges baigne dans un esprit buddy movie1. Grise et Cyrus ne peuvent pas se piffrer, mais, embarqués dans la même galère, se trouvent contraints de collaborer et apprennent à se connaître d’une péripétie l’autre. Cette recette éprouvée permet de jouer sur l’opposition entre les personnages, les échanges piquants pour la touche humoristique, bref La Grande Vadrouille mâtinée de steampunk2 et de fantasy3.
L’air est connu, la partition fonctionne. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce bouquin. Dès lors qu’on connaît le fonctionnement du récit et les mécanismes de narration, la lecture se fait en pilote automatique. Le déroulement est rodé et a déjà fait x fois le bonheur de Hollywood et de la république des Lettres. La trame narrative est à mon sens trop évidente, les engrenages d’écriture trop visibles, à l’inverse d’un Moitiés d’Âme qui camoufle ses rouages avec beaucoup d’astuce.
Reste l’indéniable maîtrise de saint Tomas. Si les grands adultes resteront sur leur faim côté innovation – en même temps, le bouquin ne s’adresse ni à eux ni à moi, ceci explique cela –, les “jeunes adultes”4 y trouveront leur compte avec l’histoire rythmée et échevelée du duo Cyrus-Grise, auquel ils pourront sans peine s’identifier.

Pour son public cible, Engrenages et sortilèges est un titre de très bonne tenue. Je citais plus haut Moitiés d’Âme, même combat pour Hauchecorne et Tomas : ils écrivent pour les ados en les considérant comme des êtres cérébrés, pas des nourrissons avec le QI d’une huître et trois mots et demi de vocabulaire. On est loin des foutriquets qui accouchent de torchons au motif que “c’est du jeunesse, on ne va pas se casser la nénette pour des débiles”. Tomas construit ses phrases au-delà du sujet-verbe-complément simpliste. Il utilise les ressources du dictionnaire au lieu d’un lexique qui tient sur un timbre-poste plié en quatre. Son univers a été pensé en profondeur pour ne pas se limiter à une poignée de façades avec rien derrière. En prime, son roman ne se borne pas à une gentille historiette, il aborde des thèmes comme le rapport magie/technologie (l’éternel “entre tradition et modernité”) ou le pouvoir (à un niveau adapté à son public, la lecture de Machiavel attendra encore un peu). C’est ce que j’ai le plus apprécié dans Engrenages et sortilèges : l’auteur ne tire pas l’écriture vers le bas.

Une bonne pioche si vous avez plus ou moins l’âge des protagonistes. Au-delà, ça dépendra de votre bagage en matière de duos sur papier et pellicule.

Notes de traduction :
[1] Copain film.
[2] Vaurien à vapeur.
[3] Terme intraduisible sous peine de s’embarquer dans trois heures de débat stérile sur l’appellation du genre.
[4] En langue vernaculaire, on appelle ça un adolescent. Si les éditeurs considèrent qu’on est adulte à partir de 12 ans, un conseil : ne leur confiez pas vos enfants à garder…

3 réflexions sur « Engrenages et sortilèges – Adrien Tomas »

  1. « (…) je ne vais pas spoiler (ou divulgâcher, si on aime les néologismes débiloïdes). »
    « Déflorer », c’est très bien aussi pour désigner la même chose, vous savez. » 😉

  2. @Zazie : je sais, je sais, c’est juste que comme l’article comporte plusieurs fantaises de traduction, l’usage de “spoiler” permettait d’en caser une de plus. 😉

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