Voici le gros morceau du dossier des Chroniques de la Lune Noire, la série centrale qui court des tomes 1 à 14, augmentée de la préquelle (tome 0) et du hors-série (L’Empire de la Négation).
Attention, comme je passe tous les épisodes en revue, même en limitant les spoilers au maximum, il y aura forcément des éléments d’intrigue et des événements importants révélés.
Chroniques de la Lune Noire
Opus I
Saison 1, tomes 1 à 14
François Froideval (scénario)
Olivier Ledroit & Cyril Pontet (dessin)
Zenda, Dargaud
1 – Le signe des Ténèbres
Le Signe des Ténèbres ouvre le bal pour présenter les personnages principaux de la série : le mystérieux demi-elfe Whismerhill, l’elfe roublard et malicieux Pile-ou-Face, le chef de guerre demi-ogre Ghorghor Bey, l’amazone Feidreiva (diminutif Fey, rebaptisée Feydriva dans certains tomes, passée à la postérité sous le nom de Feydreiva).
L’ambiance à la fois truculente et sombre est très marquée par le jeu de rôle : classes de personnages à la Donjons & Dragons, violence, magie, grosbillisme, humour potache…
L’univers esquissé pose les premiers jalons des forces (l’empereur Haghendorf, l’Oracle, la prophétie, la Lune Noire sous la houlette d’Haazheel Thorn) qui entourent et dépassent la petite bande de héros.
Ça va vite, parfois un peu trop puisqu’on ne sait rien ou presque des protagonistes. Leurs relations se nouent vitesse grand V sans construction en profondeur (le lien de Wis avec son mentor Hizin aurait gagné à être développé, idem pour Fey avec laquelle il se contente de tirer des coups). Mais ça fonctionne, grâce au dynamisme et à l’esprit décomplexé de l’ensemble.
Un démarrage péchu et un de mes tomes préférés, celui avec lequel tout a commencé.
2 – Le Vent des Dragons
Après le périple au sein de la compagnie d’écorcheurs de Ghorghor Bey, Le Vent des Dragons redescend à la petite échelle d’un groupe restreint à Whismermill, Pile-ou-Face et Fey, rejoints par le samouraï Murata et les improbables jumeaux Nasha et Goum (une gamine et un Ghorghor bis).
Entre dragons, magiciens, bagarres d’auberge et quêtes, on retrouve les ingrédients d’une fantasy classique mais avec son truc à elle, aussi bien côté graphisme que dans son ambiance torturée.
Outre les aventures rocambolesques de la joyeuse bande, l’intrigue principale se met petit à petit en place en glissant quelques éléments sur la Lune noire, les dissensions internes de l’Empire (ah, Fratus Sinister, fieffé gredin…) et les manipulations démoniaques.
L’histoire parvient à alterner scènes épiques et notes d’humour sans virer à la foire. Recentrée sur quelques personnages, elle sait bien les mettre en valeur. On tient là un des meilleurs tomes de la série.
3 – La Marque des Démons
Dans La Marque des Démons, Whismerhill et sa bande poursuivent leur périple. Après avoir quêté l’Oracle dans le tome précédent, les y voici rendus… et la scène d’ouverture fait pshit. La faute à l’Oracle qui fait ce que font tous ses congénères dans toutes les œuvres : ne rien dire. Ça vaut le coup d’être omniscient ! Marre de ce ressort narratif à deux ronds sur l’air de “je sais des tas de choses mais je ne révèlerai rien” !
Scène courte, par chance, et la suite de l’album rattrape le niveau avec son lot de retrouvailles, de rencontres (dont la succube en couverture) et de pertes (adieu Fey, personnage aussi emblématique que sous-exploité).
La Lune Noire qui donne son nom aux Chroniques occupe de plus en plus d’espace, signe que l’intrigue globale avance. Tous les protagonistes rêvent de se crever les uns les autres, de l’empereur vieillissant aux comploteurs rassemblés autour de Fratus Sinister. Bref, les choses se mettent en place en prélude à un formidable festival de coups fourrés.
4 – Quand sifflent les serpents
Où en est-on rendu à l’ouverture de Quand sifflent les serpents ? L’Ordre de la Lumière veut trahir l’empereur Haghendorf. La Lune Noire veut abattre l’Empire. L’empereur veut utiliser la Lumière contre la Lune Noire avant de faire le ménage dans l’ordre félon. L’aide de Methraton, faudra pas compter dessus, à l’inverse des Chevaliers de Justice de Parsifal. Ça commence à faire beaucoup de factions, beaucoup de monde… et beaucoup d’armées prêtes à en découdre.
On entre enfin dans le vif du sujet avec des machinations qui passent du stade de palabres aux réalités pratiques. Entre la quête de Whismerhill liée à son père et sa première entrevue avec rien moins que le big boss de la Lune Noire, l’intrigue avance, ça se concrétise !
5 – La danse écarlate
À la fin du tome précédent, moult armées étaient sur le pied de guerre, prêtes pour La danse écarlate, formule bien poétique pour une boucherie sans nom. Ça tabasse non stop du début à la fin dans ce volume grandiose et démesuré où une bataille épique occupe à elle seule la moitié des pages.
On lit ici ou là que le début de la fin des Chroniques a démarré avec le changement de dessinateur au tome 6. Pour d’autres, ce sera à partir des numéros 7, 8, 9 ou 10, quand la série commence à s’embourber dans les redites ou le blabla théologique. J’en viens à me demander si La danse écarlate ne marque pas déjà le virage. D’accord, la confrontation de l’Empire et de la Lune Noire vaut le détour, le dessin en jette, on en prend plein les yeux… mais y avait-il besoin de consacrer la moitié de l’album à une seule bataille qui ne résout rien ? J’aurais compris qu’un tel espace soit accordé à un affrontement décisif dans un dernier ou un avant-dernier tome, histoire de clore en fanfare. Mais là, c’est trop et plusieurs phases du combat (les invocations à répétition de papy Haazheel Thorn) auraient gagné à sauter pour raconter autre chose.
Bel album, belle bataille… mais un premier ralentissement.
6 – La Couronne des Ombres
Changement de dessinateur à partir de La Couronne des Ombres, Olivier Ledroit laisse la place à Cyril Pontet. Je me rappelle, en ces temps jadis du XXe siècle, avoir été désarçonné par le nouveau style sur le moment… et avec le recul, la différence n’est pas si énormissime que ça.
Du côté de l’histoire, ce tome est plutôt pépère comparé à la tonitruance de La danse écarlate. Whismerhill se taille un des plus grands fiefs de l’empire… sans qu’on ait trop l’impression qu’il soit un seigneur si puissant que ça. Un peu de diplomatie et de ruse, un peu de baston, beaucoup de banquets, une tonne de personnages ultra secondaires à l’utilité très relative, tout aurait pu tenir en moitié moins de pages.
7 – De Vents, de Jade et de Jais
De Vents, de Jade et de Jais démarre comme La Marque des Démons. Au lieu de l’Oracle, Whismerhill rencontre le mystérieux Methraton.
Whismerhill : J’ai des questions, pourriez- vous y répondre ?
Methraton : Oui, mais je ne le ferai pas.
Ben ça valait le coup de dessiner cinq pages autour de cette entrevue avec le “mage ultime” (et modeste par-dessus le marché) pour un tel résultat.
Seul passage à ressortir de l’album, l’initiation de Whismerhill à la prêtrise de la Lune Noire. Le reste du temps, il gouverne son fief… comme dans La Couronne des Ombres. Soit deux tomes consécutifs qui s’étirent alors qu’ils auraient pu être condensés en un seul.
8 – Le Glaive de Justice
Le Glaive de justice achève la parenthèse du voyage de Whismerhill au pays des morts-vivants initiée lors du volume précédent. Une dizaine de pages dans De Vents, de Jade et de Jais, une vingtaine ici. Presque l’équivalent d’un album complet pour une chasse au trésor anecdotique !
Le reste du volume est centré sur le paladin Parsifal et sa lutte contre l’ordre corrompu de Fratus Sinister. Il n’était pas besoin non plus de s’étaler autant sur le sujet, périphérique. Pire, dans le sillage du preux se glissent des références à Dieu et même une apparition de l’archange Gabriel. D’où ça sort ?!? L’univers des Chroniques était jusqu’ici certes très inspiré Donjons & Dragons et fantasy classique mais apportait sa touche d’originalité à travers la Lune Noire. Et là d’un coup, on se retrouve avec des bondieuseries ultra conventionnelles, qui amènent à penser que la suite de l’histoire ne sera qu’un énième et bête conflit entre Dieu et le Diable.
Donc après deux albums un peu moins denses, en voici un troisième vide et hors-sujet. Dans mon cas, ça a été le moment où j’ai lâché quelque temps la série, déçu par l’impression de patauger sans avancer ou alors dans la mauvaise direction.
9 – Les Chants de la négation
Les Chants de la négation sont entonnés par une troupe de choristes auxquels on a coupé la langue. Résultat : le silence, le vide.
Rien que du déjà vu dans d’autres albums.
Un énième rituel offre à Whismerhill un statut supérieur, celui de seigneur de la négation, et de nouveaux pouvoirs. Sauf que des épreuves du même tonneau, il en a déjà passé un paquet, ça fait redite.
Une guerre s’annonce contre l’empire, une de plus. Chacun se cherche une nouvelle fois des alliés dans l’affrontement à venir. Tout le monde fourbit ses armes encore un coup. Et l’album s’achève, comme d’autres, sur des armées en route vers la castagne XXL.
Un tome inutile, compilation de moments déjà présents dans les opus précédents. En plus des doublons à répétition, le dessin accuse des traits brouillons.
10 – L’Aigle Foudroyé
L’Aigle foudroyé n’est pas sans rappeler La danse écarlate avec une bataille qui occupe les trois quarts du volume. Épique et homérique à souhait, plein de mouvements tactiques tout en tension, l’affrontement joue beaucoup des doubles pages pour donner sa mesure graphique.
J’avoue avoir eu un peu peur au long de ma lecture que cette confrontation annoncée comme décisive ne soit qu’une énième baston de délayage. Mais non, il s’agit bien de LA bataille finale, qui s’achève sur un duel entre Whismerhill et l’empereur Haghendorf. À la fin, il ne peut en rester qu’un… et le verdict est inattendu.
11 – Ave Tenebrae
Ave Tenebrae s’ouvre sur un Whismerhill découpé en carpaccio par Haghendorf, lequel casse sa pipe dans la foulée. Haazheel Thorn ressuscite (encore) son champion et le place sur le trône impérial. Tada !
Mouais… Autant L’Aigle foudroyé s’achevait sur une image forte qui prenait le lecteur par surprise, autant là… Mis à part Hizin dans le premier tome et Fey dans le troisième, les personnages principaux ont une tendance à l’invincibilité et à la résurrection qui tue toute tension dramatique. Dur de s’attacher à eux quand beaucoup sont relégués au second plan (Ghorghor, Pilou, Murata…) et qu’en plus il ne peut rien leur arriver de grave.
Suite à la victoire de la Lune Noire, Dieu abandonne le monde, catapultant au passage Parsifal et son royaume de justes dans une autre dimension (ce qui causera une incohérence dans le tome suivant, puisque Parsifal sera là quand même). Il a dû abandonner Pontet aussi, parce que Whismerhill est pour ainsi dire méconnaissable, avec un visage de plus en plus lisse.
La suite du volume verra Whismerhill Ier faire ses premiers pas d’empereur et perdre son temps dans une quêtouse mineure (ladite quête étant un placement produit pour le titre Ghorghor Bey des Arcanes de la Lune Noire). Soit une demi-fin, puisqu’il reste encore le cas de la Lune Noire et des démons à régler.
12 – La Porte des Enfers
Dans La Porte des Enfers, Whismerhill rencontre enfin son père ! Du moins je suppose qu’il s’agit de Wis vu à quel point son visage ne ressemble plus à rien. Quant à son paternel, censé être un prince démon, il lui sort un inattendu “fais ce qui te semble bon et juste, mon fils”. Le Mal à l’état pur, donc… Ou pas… Enfin bon, cette entrevue, on l’attendait depuis longtemps, ça fait plaisir d’y assister, même si elle arrive comme un cheveu sur la soupe en mode deus ex machina.
Alors que Whismerhill devrait s’intéresser à la fameuse porte infernale qui crache des légions démoniaques plein son empire, l’album s’offre des apartés sur la gestion de leurs fiefs par Pile-ou-Face et Ghorghor. Bonne idée de Froideval que de remettre en avant des personnages qui étaient de plus en plus laissés en retrait, mais pas le meilleur moment pour ces parenthèses qui cassent le rythme et auraient été davantage à leur place dans le tome précédent.
Parmi les incohérences, on citera la présence de Parsifal venu refermer le portail des démons, alors que Dieu l’a projeté dans une autre dimension au cours du volume précédent. Au rang des passages inutiles, deux pages dispensables sur Methraton qui une fois de plus se contente de faire acte de présence invisible en se tournant les pouces.
Plus que la fermeture de la porte vers les enfers, objet d’une énième bataille, ce sont les premières tensions avec le culte de la Lune Noire qui sauvent ce titre, correct mais en dents de scie.
13 – La Prophétie
La Prophétie n’annonce rien qu’on ne sache déjà et voit l’affrontement des anciens alliés, Whismerhill et ses compagnons versus la Lune Noire d’Haazheel Thorn.
Encore un changement de style dans le dessin de Pontet, plutôt sympa dans l’ensemble, même si le visage de Wis ressemble de plus en plus à celui d’un Michael Jackson gavé de McDo, réussissant l’improbable pari de paraître à la fois osseux et bouffi.
Comme d’habitude, la moitié du volume est consacrée aux préparatifs de l’affrontement et l’autre moitié à la bagarre. Ce qui est, comme d’habitude aussi, trop long dans les deux cas. Ce tome aurait dû être le dernier avec un découpage un tiers appel aux armes, un tiers baston, un tiers conclusion.
Je n’ai pas ressenti des masses de tension. D’une, on se doute bien que Whismerhill l’emportera sur Haazheel. De deux, la mort de tous ses compagnons (Shamballeau, Murata, Pile-ou-Face, Ghorghor, Hellaynnea) ne suscite aucune émotion, moitié parce qu’on les voit à peine depuis pas mal de tomes, moitié parce qu’on s’attend à une tripotée de résurrections pour les relever. De trois, l’intervention de Methraton en deus ex machina – enfin il sert à quelque chose après dix tomes à glander – torpille le caractère épique de la bataille. Quand tu as le “mage ultime” et ses pouvoirs de ton côté, tu triomphes sans difficulté ni gloire.
Un avant-dernier tome ni bon ni mauvais, qui se laisse lire sans atteindre les sommets qu’on était en droit d’espérer après des années à suivre les Chroniques. On se dit que c’est (encore) un tome de plus, qui s’étire (encore) un peu trop en longueur, et qu’il faudra (encore) patienter jusqu’au suivant pour avoir peut-être des réponses qu’on n’attend plus vraiment.
14 – La Fin des Temps
La Fin des Temps marque la fin de… la première saison et non pas de la série qui se poursuivra sans qu’on sache trop pourquoi.
À noter le coup marketing d’avoir sorti ce “dernier” tome sous trois couvertures différentes qui forment un triptyque (voir dessin plus bas dans l’article, avant la partie “Verdict”). Sinon, une couverture XXL sous forme de dépliant, ça aurait été bien aussi. Parce que, sérieux, qui va acheter trois fois le même bouquin ? Les fans ? En reste-t-il à ce stade de la saga ? Les lecteurs de la première heure sont usés depuis des lustres. Quand tu regardes les avis, les critiques, les discussions sur les forums, beaucoup de lecteurs ont commencé à s’essouffler à partir des tomes 6, 7 ou 8 et n’achètent plus les Chroniques que pour avoir le fin mot, sans grande conviction. La lassitude et la déception ont accompli leur œuvre. Quand on en arrive limite à se forcer pour investir dans une BD en craignant un autre tome poussif, c’est pas pour acheter trois fois la même juste pour la couv’ !
Qu’y a-t-il de beau sous cette couverture à géométrie variable ?
La fin du monde approche et la Terre vit des heures sombres. Le lecteur aussi, les couleurs des dessins étant très foncées, limite lisibles. Comme prévu, les personnages importants tués au cours de La Prophétie sont ressuscités. L’évacuation de la planète vers un autre monde (donc encore une suite…) s’organise.
L’exode se poursuit au fil des pages, sans qu’on voie poindre les réponses aux questions en suspens. Les origines de Whismerhill restent un mystère, on n’en sait pas plus sur sa mère, son paternel n’a toujours pas repointé le bout du nez. La relation dudit paternel avec la succube restera un mystère. (Sur certains de ces sujets, faudra acheter le tome 0, En un jeu cruel.) Lucifer est occupé à… on ne sait pas non plus. Pour Greldinard et ses origines mystérieuses, faudra aussi acheter un tome supplémentaire, celui qui lui dédié dans les Arcanes.
J’entends bien qu’il ne faille pas TOUT raconter et laisser une place à l’imaginaire du lecteur, mais là… Autant Greldinard, chacun pouvait inventer ce qu’il voulait pour combler les blancs, mais pour les interrogations autour de Whismerhill et son père, il fallait des réponses ! Presque vingt ans qu’on les attendait ! En plus, Wis traîne avec Methraton et libère l’Oracle, présentés l’un et l’autre comme sachant à peu près tout sur tout. Les réponses pouvaient être données par leur intermédiaire.
Quand arrive le moment de refermer la BD, on vérifie les numéros des pages des fois qu’il en manquerait à la fin, sauf que non, le compte est bon. Et en même temps, le compte n’y est pas. La fin ne finit rien et ne s’offre même pas le luxe d’être ouverte : elle est juste inachevée.
Tout ça pour ça…
Les volumes bonus
Tome 0 : En un jeu cruel
François Froideval (scénario) & Fabrice Angleraud (dessin)
Dargaud
En un jeu cruel est une préquelle qui revient sur l’enfance de Whismerhill. Même esprit et même construction scénaristique que les volumes des Arcanes de la Lune Noire, à se demander pourquoi ce tome n’y est pas rattaché. Sans doute que c’était plus vendeur de le caser en tête du corpus principal (où il n’a rien à faire) que dans la série dérivée (où il aurait été à sa place).
Enfin quand je dis “en tête”… À partir du tome 19, on peut lire dans la liste récapitulative des titres la mention “L’enfance de Whismerhill, à lire après le tome 14”. Avis aux mathématiciens, vous serez ravis d’apprendre que le zéro se positionne désormais entre les nombres 14 et 15 !
J’ai plutôt bien accroché au dessin d’Angleraud. Comme toujours dans les Chroniques, la pagination fait la part belle aux doubles pages… avec ici un gros défaut : les portraits de Whismerhill à différentes étapes de son enfance sont positionnés en plein dans le pli central, donc tu ne vois rien, sauf à casser en deux ta BD.
Pas de bol, le scénario n’a aucun intérêt. Le jeu initial entre Lucifer et Pazuzu, qui aboutit à la naissance de Whismerhill et change la destinée du monde des Chroniques, est expédié au lieu de former le cœur de l’intrigue. À la place, on se tape une histoire d’enfance brimée et de rapports houleux avec le paternel, ressorts narratifs qui ont déjà servi dans les Arcanes pour d’autres personnages, merci la redite. La trame “Whismerhill se fait un ami, son démon de père tue l’ami” prend vite une tournure répétitive. Le peu d’humour tombe à plat. Si vraiment vous voulez le lire, casez-le entre les tomes 3 et 4 ou entre les 11 et 12.
Cet épisode consacré au personnage principal de la série aurait dû être le plus riche, le meilleur de tous, et au final il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent.
Hors collection : L’Empire de la Négation
François Froideval
Dargaud
Le meilleur moment pour lire cet album, c’est juste après le tome 11, Ave Tenebrae. À noter que ce hors série devient caduc dès que s’ouvre la saison 2 sur Terra Secunda à parti du tome 15.
L’ouvrage fonctionne sur le principe du supplément de jeu de rôle, ou plutôt de l’aide de jeu comme on en trouvait des tonnes dans Casus Belli à la grande époque. Ce tome documentaire m’a donc beaucoup plus sur son concept. Un volume gadget, certes, mais bien fichu sous la forme d’un rapport d’espionne. Netsharine, une houri venue du royaume d’Hishtarland, visite l’empire de Whismerhill et le décrit à son commanditaire. Peuples (elfes, nains, orques…), forces militaires et machines de guerre, religion de la Lune Noire, palais impérial, Seigneurs de la Négation… Un joyeux bazar livré pêle-mêle, qui n’apprendra pas grand-chose de neuf aux briscards de la saga mais permettra de visiter l’empire à tête reposée, loin du fracas des batailles.
Une lecture teintée de nostalgie, puisqu’elle m’a renvoyé à l’époque où je voyageais parmi les mondes fantastiques dépeints dans les magazines de jeu de rôle. Avec dix lignes de texte, j’en avais pour des heures et des heures à imaginer des aventures…
Verdict
La saga est excellente à ses débuts, sur les cinq premiers tomes. Elle ralentit aux numéros 6 et 7, pour patiner dans la semoule du 8 au 10. Les volumes 11 à 13 tentent des choses pour relancer la machine mais à vitesse réduite. Le dernier volume représente de loin ma pire déception sur une fin de série, quel que soit le format (BD, romans, TV, ciné).
La faute à quoi ? L’appât du gain éditorial de la maison Dargaud à étirer autant que possible une série qui avait trouvé son public, donc sa clientèle ? Un scénariste dépassé par sa création à l’ampleur dantesque ? Un lecteur, bibi, avec trop d’attentes ?
La base rôlistique a fini par tourner à la caricature de quête du toujours plus d’XP et de super-pouvoirs sur un mode répétitif. L’entourage immédiat de Whismerhill (Ghorghor, Pile-ou-Face, Hellaynnea, Murata, Goum, Nasha) est sous-exploité à partir du tome 6 et ces personnages hauts en couleur ne deviennent plus que des PNJ relégués dans des coins de case pour balancer des vannes. L’humour, qui fonctionnait bien au début dans une ambiance décomplexée et picaresque, ne fait plus mouche quand la série s’aventure de plus en plus dans la dark fantasy. La dimension mystico-religieuse de l’affrontement entre Dieu et Lucifer, peu inventive au demeurant, apparaît en décalage complet avec cet univers de fantasy. Elle n’apporte que verbiage et grandiloquence pompeuse, comme toujours lorsqu’il s’agit de puissances supérieures. Et le constat vaut pour Methraton, utilisé comme simple deus ex machina – un comble pour une entité qui hait les dieux. D’ailleurs, où sont-ils ces dieux au pluriel, alors qu’un seul, Dieu tout court, est mentionné au gré des errances de Parsifal ?
Le cas de Methraton est symptomatique du “je pose ça là vite fait”. Évoqué à intervalles réguliers à partir du tome 4, il est sous-exploité et ne sert à rien avant le tome 14. Idem les seigneurs de la négation, les Nazguls du pauvre : un foin pas possible dans le tome 9 pour élever Whismerhill à ce rang sans qu’on sache de quoi il retourne. Pas d’infos ou à peu près, aucune utilité de ces entités qui ne font que passer en de rares occasions.
Donc un paquet de choses qui clochent… ce qui ne m’empêche pas dans le même temps d’adorer la série prise dans sa globalité. D’autant que certains défauts ont été gommés avec le temps. Le problème du rythme narratif est moins gênant maintenant qu’à l’époque, où il était dû en partie aux délais de parution. On attendait un an, deux ans qu’un album sorte, donc s’il ne faisait pas avancer des masses l’histoire, on l’avait un peu en travers d’avoir patienté autant pour si peu et de devoir poireauter encore autant derrière jusqu’au suivant. Aujourd’hui que tous les titres sont disponibles, on peut les enchaîner coup sur coup sans cette impression de lenteur, ce qui change pas mal de choses dans le ressenti, je le vois quand je relis l’intégrale.
Il était certes difficile de conclure une série pareille, mais il fallait la conclure. Soit happy end avec un Whismerhill régnant pépère une fois la Lune Noire annihilée, soit cataclysmique avec la destruction totale du monde. Aucune n’aurait été satisfaisante, mais au moins la boucle aurait été bouclée. Mais pour cela, il aurait fallu un vrai dernier tome qui réponde aux questions sur les origines de Whismerhill, son père et sa mère. J’entends bien qu’un auteur raconte ce qu’il veut dans son histoire et que son travail n’a pas juste vocation à répondre aux attentes des lecteurs. M’enfin là, on parle quand même d’attentes centrales du lectorat, attentes qui duraient depuis presque vingt ans (1989-2008).
La série aurait dû se condenser en neuf ou dix volumes. Tout ce qui concerne Methraton ne sert à rien et peut dégager. La bataille intermédiaire de La danse écarlate peut être réduite de moitié, comme à peu près tous les combats ultérieurs qui s’étirent sur des pages et des pages pour raconter peu ou prou la même chose, à savoir que la guerre est violente et tue des gens. Les volumes 6 et 7 peuvent tenir en un seul et couvrir l’arc “Whismerhill, baron de Moork”. La virée chez les morts-vivants à cheval sur les tomes 7 et 8 n’apporte rien et peut être supprimée (presque un volume plein à elle seule !). En fait, le tome 8 n’apporte rien, vu que les aventures parallèles de Parsifal gagneraient à être amputées des trois quarts. Toute la partie Lune Noire des tomes 7 et 9 (Whismerhill prêtre de la Lune Noire et Whismerhill seigneur de la négation) peut n’en former qu’une, raccourcie de moitié. Idem les tomes 12 et 13, en un seul volume voyant Wis et son armée affronter la Lune Noire au niveau de la porte infernale, faisant d’une pierre deux coups. À l’arrivée, on économise facile quatre à cinq tomes pour arriver à :
1) Présentation
2 et 3) Aventures
4) Petit seigneur, grandes machinations
5) Affrontement infructueux contre l’Empire de Lyhnn
6) Whismerhill, baron de Moork
7) Montée en puissance au sein de la Lune Noire
8) Affrontement final contre l’Empire
9) Pulvérisation de la Lune Noire et de la porte des démons
Avec un tome 9 qui apporte des VRAIES réponses par le biais de l’Oracle, ou d’Haazheel Thorn qui en bon méchant mettrait six pages à crever en racontant sa vie et en balançant des révélations à la pelle, ou encore du père de Whismerhill venu faire un coucou une fois le bordel terminé.
Colère un peu, déception beaucoup. J’adorais cette bande dessinée à ses débuts. Cette saga m’a fait rêver et voyager. Il y a longtemps.
Les sept premiers tomes, j’ai attendu chaque nouvelle sortie avec impatience. Je rentrais de la librairie chez moi comme un fou pour découvrir la dernière mouture après avoir relu les précédents. Jusqu’au Glaive de justice. À partir de là, j’ai marqué une pause, je ne guettais plus les nouveaux épisodes, je tombais dessus par hasard au rayon BD, les achetant par deux, parce qu’il m’arrivait même d’en rater.
Pourtant, j’y suis quand même toujours revenu. Je me suis quand même embarqué dans Les Arcanes de la Lune Noire, des fois qu’il y ait des réponses. J’ai quand même suivi Whismerhill et ses compagnons dans le nouveau monde de la saison 2. Parce que Les Chroniques.
Cette saga aura toujours une place à part dans mon parcours de lecteur. Même avec ses défauts, je l’aime. Je dirais même que je l’aime aussi pour ses défauts, qui m’ont donné à imaginer mille versions de l’histoire complète comme de chaque album, mille façons de creuser les relations entre les personnages, mille développements alternatifs, mille fins différentes… Et une œuvre d’imaginaire qui fait travailler l’imagination, on peut dire qu’elle a réussi son coup.
Cette saison 1, même s’il y a certaines choses auxquelles je ne n’ai pas accroché ou qui m’ont déçu, contient des tonnes d’éléments que j’ai adorés. Elle reste une série de cœur, que j’aime pour ce qu’elle a été et ce qu’elle m’a apporté a long time ago. Encore maintenant, chaque fois que je remets le nez dans Le Signe des Ténèbres, le petit frisson des débuts se manifeste, intact comme au premier jour.
Dossier Chroniques de la Lune Noire :
– Présentation
– Saison 1 (novélisation) : De Gueules ; De Sinople
– Saison 2 : Terra Secunda
– Saison 3 : Chroniques du Trône d’Opale (coming plus ou moins soon…)
– Les Arcanes
– Methraton