On trouve ce film distribué à l’international sous le titre Escape – logique puisque c’est la traduction littérale du norvégien Flukt. En France, il devient Dagmar, L’Âme des Vikings. Ah…
Dagmar, c’est la blonde avec l’arbalète sur l’affiche. On pourrait croire que mais non. Le personnage principal est en réalité la plus grande des deux gamines coincées sous le titre. Notez que “l’héroïne” miniature est d’une telle fadeur qu’on comprend pourquoi il vaut mieux la remiser dans un coin.
Des Vikings, n’en cherchez pas non plus. L’action se déroule au XIVe siècle juste après la Grande Peste. Aux dernières nouvelles, l’ère des Vikings s’achève au XIe siècle, soit bien avant. Après, oui, à la limite, on peut parler d’“âme des vikings” puisque le dernier l’a rendue trois cents ans avant l’ouverture du film.
L’histoire de cette purge filmique :
Une famille fuit la peste, tombe sur des brigands et se fait massacrer. Sauf la fille qui est ramenée au campement. La gamine s’évade en compagnie d’une autre fillette très laide, genre de Gollum au féminin. Poursuite. Tous les brigands se font tuer les uns après les autres dans une espèce de version médiévale des Horaces et des Curiaces, un survival comme on dit de nos jours (du latin survivalus : film avec des gens qui courent dans tous les sens et butent d’autres gens pour sauver leur peau).
En dépit de moult péripéties, Flukt–Escape–Dagmar ennuie. Que la caméra se promène dans la sylve touffue ou à flanc de montagne déchiquetée, l’impression d’une morne plaine colle aux godasses du spectateur. La faute à la platitude infinie de la mise en scène. En prime, le scénario se montre conventionnel comme pas permis. Sur ce point, Dagmar figure au rang des œuvres majeures ! Ce qui, paradoxalement, peut lui donner un grand intérêt. Pour qui étudie les clichés et les scènes attendues, on tient là une anthologie de premier choix. Par contre, à regarder, c’est chiant.
Rien d’étonnant quand on sait que la joyeuse bande de branquignoles aux manettes de Dagmar avait déjà commis Cold Prey, autre purge où on retrouve les noms de Roar Uthaug (réalisateur), Thomas Moldestad (scénariste), Martin Sundland (producteur), Ingrid Bolsø Berdal (actrice).
Cette avalanche de clichés et de facilités d’écriture, on la prend d’emblée dans la poire en découvrant la tanière des brigands, qui ne sont jamais que des bandits de grand chemin sans rien de très viking. Les malandrins habitent au cœur de la forêt dans un campement sommaire que ne renieraient pas Robin des Bois et ses joyeux compagnons. On y accède par un pont constitué de deux-trois troncs jetés au-dessus d’un précipice. Dès que la poursuite s’amorcera, le pont finira bien sûr au fond du ravin, cédant juste avant qu’un brigand ne parvienne à le franchir. Comme dans un Tex Avery, le malandrin terminera sa course dans le tumulte des flots en contrebas au terme d’un long hurlement. Cette scène à elle seule mériterait l’Oscar de l’imbrication de clichés. Sitôt qu’on voit ce pont de rondins apparaître à l’écran, on SAIT quelle tournure prendront les événements par la suite.
L’ensemble du film est du même tonneau. Rien qu’on ne voie arriver à des kilomètres, rien qui surprenne, que du déjà vu.
En vrac :
– Un des gredins veut tripoter la prisonnière. La cheftaine Dagmar dit non. Dans tous les films de gangsters, bandits, brigands, mafieux, on retrouve cette scène de confrontation entre le big boss et la forte tête. On n’y échappe donc pas ici.
– La gamine poursuivie se retrouve acculée au bord d’un précipice. Pas loin, une chute d’eau. Y en a toujours une cascade. Et on sait d’avance ce que ça va donner. Après avoir reçu la flèche-balle-shuriken règlementaire, vas-y que je vacille dans un ralenti conventionnel avant de faire plouf. Comme on est au cinéma, dans un monde où personne ne meurt malgré un carreau d’arbalète planté dans l’épaule et une chute de trente mètres, la gamine s’en sort comme une fleur. La scène se termine sur le plan classique d’émergence des profondeurs en Vénus meurtrie.
– Les fuyardes rencontrent un chasseur, sans doute échappé du Petit Chaperon Rouge ou autre conte médiéval. Bonjour l’astuce du deus ex machina et le ressort éculé de l’adjuvant sorti de nulle part.
Toto la Perdrix (ou Jojo la Gâchette, je sais plus son nom) raconte aux fillettes l’histoire de Dagmar qui n’était pas si mauvaise dans le fond. Qu’on a accusée – injustement cela va de soi – de sorcellerie. Qui depuis collectionne les gamines, parce qu’elle a perdu son propre enfant dans les sempiternelles “circonstances tragiques”, que c’est original. En l’occurrence, une de ces amusantes épreuves médiévales utilisées pour détecter les sorcières : si tu meurs, t’étais innocente ; si tu survis, t’es coupable, on te brûle… et tu meurs quand même.
Le recueil de lieux communs autour de Coco l’Ami des Bêtes ne s’arrête pas en si bon chemin. Avant sa mort mi-héroïque mi-cliché en essayant de protéger les gamines, Toto/Jojo/Coco a le temps d’expliquer comment on chasse l’ours à l’épieu. Chacun aura deviné qu’un des bandits mourra selon ce procédé.
– La gamine tire à l’arc comme une tanche au début. Mais à la fin, elle manie l’épieu comme d’autres un bâton de majorette, joue du couteau, cartonne à l’arbalète et son niveau d’archère égale pour ainsi dire celui de Legolas.
– Pour les amateurs de détails, un jouet revient sans cesse dans le film. Un petit cheval en bois qui passe de main en main d’un enfant l’autre. À lui seul, il concentre une somme invraisemblable de clichés. Le jouet volé au gamin tué (trop injuste, la vie), donné à Gollumette (les bandits, au fond, ils ont un cœur gros comme ça), perdu dans la débandade et comme il se doit piétiné en gros plan par un poursuivant (l’enfance brisée, quelle finesse pour amener la symbolique !).
Je pourrais continuer l’inventaire à la Prévert… Y a pas une scène, pas un détail, qui ne figure pas dans le manuel aux chapitres lieux communs, poncifs, clichés, scènes attendues, conventions, stéréotypes. Une encyclopédie à sa manière.