Un guerrier errant débarque dans un village sous la coupe de deux clans rivaux. Au gré des alliances qu’il noue avec l’un ou l’autre camp, il nettoie le village à coups de retournements de veste (et aussi à coups de katana).
À la fin, il ne peut en rester qu’un. Et ce sera ce rōnin.
Tout le monde connaît Pour une Poignée de Dollars, excellent western et film fondateur du genre spaghetti. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il ne s’agit “que” d’un hybride mi-plagiat mi-remake, brillant, certes, ce qui est assez rare pour le souligner. D’autres versions alternatives suivront, parmi lesquelles on citera Django (1966), Dernier Recours (1996) avec Bruce Willis ou encore Inferno (1999) avec Jean-Claude Van Damme.
Dans le lot de ces remakes, repompages et films “inspirés de”, plusieurs adoptent souvent une ambiance western. Parce que le Garde du Corps en est un… plus ou moins. Kurosawa a voulu rendre hommage à sa manière au western, les adaptations ultérieures y trouveront leurs aises en retournant aux racines. En mêlant le film de sabre et le western, le tout remanié à sa sauce, Kurosawa crée un “chambara spaghetti” avant l’heure et devient ainsi indirectement le fondateur du western spaghetti, tant au plan thématique que dans la mise en scène. On pourrait se livrer à une longue étude des plans larges, gros plans, travellings, etc., je résumerai en disant que la caméra est efficace et nerveuse au point qu’elle révolutionnera la façon de filmer occidentale. Sa première victime sera un certain Sergio Leone.
À tout point de vue, Yojimbo est un chef-d’oeuvre, très moderne pour son époque et novateur au point de révolutionner le cinéma sur son sol comme ailleurs.
Kurosawa signe ici une œuvre au ton léger comparé à sa filmographie pessimiste. Yojimbo (ou Yōjinbō, selon le système de transcription utilisé) est à la fois drôle et profond, un authentique divertissement intelligent !
La force du film vient du personnage de Sanjuro, héros ambivalent incarné par Toshirō Mifune. Comme beaucoup de rōnin (samouraïs sans maître), il loue ses compétences de guerrier comme mercenaire. En cela, on est loin de l’idéal de servir jusqu’à la mort si cher au Bushido. D’autant que Sanjuro a une conception bien à lui de la loyauté… qui va d’abord à lui-même. Samouraï cynique et pauvre, son seul intérêt semble être l’argent et pourtant… Lorsque l’aubergiste lui expose la situation (un maire faible, un “shérif” corrompu, deux clans qui règnent en despotes et les pauvres villageois au milieu), Sanjuro lance illico l’idée de faire le ménage en éliminant toute la racaille. L’individu va utiliser la force des groupes pour les retourner l’un contre l’autre, idée assez paradoxale au Japon qui fonctionne plutôt sur le mode inverse.
Nonchalant, cupide, versatile et pas très soigné, à mille lieues de la droiture mythique qu’est la figure du samouraï (ou du moins sa version fantasmée), ce héros “à lecture multiple” est interprété avec brio par un Mifune très convaincant pour rendre la profondeur du personnage, ses défauts, son humanité, coincé qu’il est entre les valeurs idéales inaccessibles de sa classe et le pragmatisme d’un guerrier pauvre qui meurt de faim. S’il n’a pas le panache héroïque et sacrificiel de ses collègues des Sept Samouraïs, il a ce côté attachant du roublard avec un bon fond, qui fait ce qu’il peut pour survivre.