Une fin 2018 catastrophique, un début 2019 encore pire, what else? Autant dire que le titre Un parfum d’amertume colle à la période que je traverse. Et la dernière phrase de ce roman rend à merveille mon état d’esprit.
Au milieu de cette “débâcle marmelade”, l’année littéraire démarre bien avec une excellente première lecture qui t’en met plein la figure. Normal, c’est du Colize.
Un parfum d’amertume
Paul Colize
Pocket
Quatrième de couv’
“Le cadavre gisait dans une mare de sang.”
Antoine Lagarde déteste ce genre de cliché, mais il lui faut l’admettre : celui de son père gît à ses pieds, dans une mare de sang. Un père veuf, cafardeux, hypocondriaque, mais sans histoire. Du moins le croyait-il avant de découvrir sur les lieux du crime un indice négligé par la police : une simple carte à jouer, un valet de pique, ou plutôt le premier jalon qui mènera ce bussinessman bien sous tous rapports, fin nez et homme à femmes, dans un jeu de pistes sanglant dont il ignore les règles.
Dans Ça, Grippe-Sou revient tous les vingt-sept ans. Un parfum d’amertume, pareil. Sauf que le cycle est plus court, dans les six, sept ans, et qu’il n’y a pas de clown extraterrestre.
Quatre valets et une dame en 2003. Le Valet de cœur en 2010. Un parfum d’amertume en 2016. À ce rythme, dans quelques décennies, il faudra plus de temps pour lister les titres que pour lire le roman… En attendant la prochaine mouture vers 2022-2023, penchons-nous sur la dernière version en date.
L’éditeur parle de “nouvelle édition revue par l’auteur”, je préfère le terme de Terminator’s cut. Le Colize du futur a corrigé le texte de son moi du passé. John Connor peut pioncer tranquille, le T-800 belge a pour spécialité la traque des adverbes en -ment. Mes yeux l’en remercient.
Une fois n’est pas coutume, il ne me facilite pas l’exercice de la chronique. Un premier roman retouché n’est plus tout à fait un premier roman. Vous savez, le galop d’essai avec ses petits défauts de jeunesse… moins les petits défauts pour le coup.
Ok, challenge accepted, comme on dit dans la langue de Goethe (1622-1673).
Antoine Lagarde est consultant – brasseur de vent, dixit son ex-femme. Il porte sur ses contemporains un regard désabusé, cynique, ironique, sarcastique, …………ique, …………ique (je te laisse compléter). D’aucuns diraient qu’il est un peu connard sur les bords, mais faut lui reconnaître une acuité dans le jugement. Le mal qu’il pense des gens qu’il côtoie, il ne l’invente pas. Après, le gars n’est pas exempt de défauts. Volage, bordélique, condescendant… Bref, du bon et du moins bon, tout ce qu’il faut pour en faire un personnage vrai / authentique / attachant / autre adjectif tarte à la crème à ta convenance.
Première particularité d’Antoine, son sens de la formule, qui rend chacune de ses réflexions aussi piquante que drôle. L’humour caustique donne au roman un ton léger avec une pointe de mordant. Léger mais noir, attention. Un parfum d’amertume reste un polar avec des gens qui se font dézinguer et pas toujours avec des méthodes propres (jamais en fait). Cette légèreté d’ensemble appuie la noirceur du dernier segment. Le trait n’étant pas appuyé outre mesure, le glissement ne donne pas l’impression d’un revirement de la comédie pouet-pouet à la tragédie hollywoodienne vomissant du pathos par hectolitres. La partition évolue sans fausse note. Tout en douceur et en finesse.
Deuxième trait distinctif d’Antoine, envié par Voldemort et Michael Jackson, son nez. Pas le tarin standard, non, le modèle avion renifleur. Ce qu’en parfumerie on appelle un “nez” (et on espère que les parfumeurs sont plus doués en fragrances qu’en inventivité linguistique). Bien trouvée et surtout bien employée, cette caractéristique ne sert pas qu’à ajouter une ligne au CV du personnage. Combien de fois j’ai vu des romans vendre un personnage original sur la base de tel ou tel trait… qui à l’arrivée ne dépasse pas l’anecdotique faute d’être utilisé au-delà de l’argument de vente initial. Parfois c’est l’excès inverse du super-pouvoir activé toutes les deux pages au point de ne résumer le personnage qu’à ça. Ici, sens de la mesure. Le pif de Lagarde apporte quelque chose, il définit une partie du personnage, de son rapport au monde (les odeurs du métro) et aux autres (l’intimité de ses conquêtes). Sans son blair, Lagarde n’est plus Lagarde.
Tu l’auras compris, le roman repose d’abord sur son personnage principal, ses relations avec les autres et avec lui-même. En témoignent les apartés qui émaillent le déroulement de son enquête. Ben non, l’intrigue policière n’occupe pas 100% du bouquin, Lagarde parle aussi de sa famille, de son boulot, de ses conquêtes… Après tout, il n’est pas limier de métier – on peut même dire qu’il enquête au pif – et il a une vie à côté.
Dans neuf romans sur dix, ces encarts virent à la digression inutile. Tu lis le bouquin en entier, ensuite tu arraches les pages hors sujet, tu le relis… et tu te rends compte qu’il n’y aucune différence, que tout ce blabla n’apportait rien à l’histoire, aux personnages, à l’ambiance, au décor. Dans Un parfum d’amertume, il s’agit bien d’apartés. Des propos en passant, qui construisent le roman.
Ainsi, les amourettes sans lendemain de Lagarde avec telle ou telle donzelle, sans rapport (sic) direct avec le versant polar, témoignent de son incapacité à s’attacher. Elles n’en donnent que davantage de poids au lien qu’il créera avec un personnage féminin important dans l’intrigue.
Autre exemple, la famille de Lagarde (son ex, son môme, ses sœurs…), ben c’est “un peu” le cœur du sujet vu que Lagarde enquête sur le meurtre de son paternel.
Rien n’est anodin ou gratuit, chaque épisode sert à quelque chose. Avec en plus le bon goût d’éviter l’arrêt sur image en gros plan sur le mode “attention, ceci est un élément important”. Maîtrise et élégance.
Sur la forme rien à redire que je n’ai déjà évoqué dans mes précédentes chroniques (L’avocat, le nain et la princesse masquée ; Back Up ; Concerto pour 4 mains ; Un long moment de silence ; Zanzara).
Un phrasé aérien, gracieux, avec le mot juste et pas un de plus. J’invite encore une fois les grands malades de l’adverbe en -ment et du verbe introducteur à lire Colize.
Un style impérial.
Comme Lagarde.
Je ne crois pas avoir lu du Colize dans ma vie, va peut-être falloir y remédier ! 😀
C’est excellent, aussi bien pour le style que pour sa façon de raconter beaucoup de choses en plus de l’histoire. Je pense que pour toi, “Zanzara” est le plus indiqué. 😉
Hello Fred,
D’accord je ne commente pas souvent, mais je lis régulièrement tes chroniques surtout quand je suis en manque de lectures intéressantes. Me voilà donc maintenant embarquée dans le télécharge(ment) de quelques ouvrages de Paul Colize -ceux qui ont l’heur de plaire à ma CB, dont un minuscule « Distorsions harmoniques » gratuit mais au style prometteur !
Pas lu “Distorsions harmoniques” (et sans Kobo ni Kindle, ça paraît mal parti pour le lire dans un avenir proche). Dans la thématique musique, je te conseille “Back Up” et “Concerto pour 4 mains” du même auteur, excellents l’un et l’autre. 😉
J’ai beaucoup aimé ce livre, mais très déçue et énervée parce que je n’ai pas compris la fin.
Quelqu’un peut-il m’expliquer? ? Merci
Expliquer la fin en commentaire, ça risque d’être compliqué sans spoiler le dénouement pour les gens qui ne l’auraient pas lu. Passez par mail ou Facebook (voir la page Contact du blog), merci. 😉