Dans ma vie d’aventurier à la petite semelle, les occasions de virées montagnardes n’ont pas été légion. Pendant longtemps le seul sommet que j’ai jamais atteint, c’est le mont Caubert qui surplombe ma Picardie natale du haut de ses 83 mètres.
Far far away, a long time ago, comme disait je ne sais plus quel réalisateur américain en ouverture d’un petit film indépendant qui gagne à être connu, j’ai quand même été là-haut :
En deux mots
富士山 ou Fujisan (et pas du tout Fuji Yama) est le point culminant du Japon avec 3776 m d’altitude. Par beau temps, on peut le voir depuis Tōkyō qui se situe à une centaine de bornes au nord-est. Sa formation géologique ne doit rien au très polémique contrecoup du plissement alpin, dont la mention fera marrer deux potes traumatisés par les cours de géo de notre jeunesse faidherbarde.
Tout ce qu’il y a à savoir sur la bête tient sur la photo : une forme caractéristique à peu près conique (une tête de cône donc), un manteau de neige qui ressemble plutôt à un bonnet (s’agit-il du bonnet blanc ou du blanc bonnet, la question reste entière) et tout en haut un grand cratère puisqu’on parle d’un volcan. Le reste n’intéressera que les spécialistes en montagnologie.
En deux dates
Août 2011 (d’où cet article anniversaire pour les dix ans) et août 2012. Lors de la première grimpette, nous étions deux (coucou, Yumi). Pour la seconde expédition, par un prompt renfort, nous nous vîmes quatre, chiffre assez loin des trois mille avancés par l’ami Corneille, que je soupçonne d’avoir gonflé l’effectif pour se la péter en société.
Après, on a arrêté, quand on s’est rendu compte que si on poursuivait la suite mathématique à multiplier par deux l’effectif chaque année, la balade finirait par prendre des allures d’anabase et on ne voyait pas trop ce que Xénophon et sa clique d’hoplites viendraient foutre au Japon.
La répétition du côté estival de la virée tient au fait qu’il est plus que conseillé de se taper l’ascension en juillet-août. Le reste de l’année, tous les refuges sont fermés. Le printemps et l’automne, avec la pluie, c’est très moyen. Et l’hiver, hors zones aménagées pour les sports du même nom, le Fuji peut devenir un piège mortel pour des alpinistes chevronnés, autant dire que les amateurs n’y font pas long feu. Il se trouve toujours des gens pas malins pour tenter le coup par -20°C. Parfois on retrouve leur corps à la fonte des neiges. Y en a qu’on cherche encore…
Pas de danger à craindre côté risque volcanique, quasi nul. La dernière éruption remonte à 1708, ce serait vraiment pas de bol de voir la terre s’ouvrir d’un coup sous vos pieds, tel Amphiaraos sous les murs de Thèbes.
En deux coups de cuillère à pot
Aller jusqu’au Fuji ne pose pas de problème, il suffit de suivre les panneaux, qui sont doublés en romaji, des fois que vous ne seriez pas familier avec l’écriture locale en bâtonnets.
Une fois sur place, il suffit de suivre d’autres panneaux.
Comme on peut le voir sur ce panneau sous-titré à l’usage des buses non-japonisantes – et j’ai constaté la même chose sur pentes du mont Takao – il existe plusieurs itinéraires. Les Japonais aiment bien mettre des chemins un peu partout sur leurs montagnes, ce qui explique bien des choses sur les innombrables routes de la base de Goldorak (située comme par hasard dans une montagne, je dis ça, je dis rien).
La suite du trajet sera tout aussi riche en panneaux.
En deux minutes (plus ou moins, plutôt plus que moins)
Mais on n’en est pas là, on vient juste d’arriver. Retour en bas de la pente.
D’entrée, oubliez la grimpette en amoureux, main dans la main, comme si vous étiez seuls au monde. Si vous ne supportez pas les gens, n’allez pas au Fuji. Fenêtre restreinte d’accessibilité + vacances d’été japonaises propices au tourisme intérieur + afflux de touristes étrangers, le résultat de l’équation affiche un chiffre conséquent de populo. Pendant l’ascension, il faut parfois s’adapter au rythme “file d’attente” de la colonne.
Si vous cherchez à accomplir un exploit, changez de montagne. Un gamin ou un vieillard réussit l’ascension du Fuji. La pente est douce, la progression tranquille, le risque de se perdre nul, y a qu’à suivre le chemin ou une des deux mille personnes devant vous.
Après, faut quand même s’enfiler, selon le rythme de marche et l’itinéraire choisi, cinq à huit heures de crapahut rien que pour l’aller.
Fort de mon expérience millénaire de premier de cordée à rendre jaloux l’inventeur de la pendaison, voici quelques conseils. Si vous ne les suivez pas, vous prendrez les foudres divines sur le coin de la coloquinte et je vous raconte pas la facture d’électricité pour vos héritiers.
- Vu la durée du trajet, sauf à partir équipé de boules Quiès ou d’un taser, évitez de vous encombrer de petites natures geignardes qui chouinent au moindre coup de barre ou point de côté. Nan, parce que six heures de “je suis fatigué, on arrive bientôt ?”, pour les nerfs, c’est juste pas humain. Contentez-vous d’abandonner sur place ces poids morts, ne les poussez pas dans le vide (tuer des gens est assez mal vu en général et illégal au Japon).
- Sur le plan vestimentaire, emportez la collection été-hiver de notre catalogue. Il fait peut-être beau et chaud en été au pied du Fuji, mais à 3700 et quelques mètres d’altitude, vous entendrez une autre chanson, celle de vos dents qui claquent. On en croise toujours, de ces touristes imprévoyants bleuis par le froid, Schtroumpfs distraits qui ont oublié la “légère” amplitude thermique entre la base (25°) et le sommet (0°).
- Emportez de la bouffe. En conditionnement pratique, c’est-à-dire pas de cassoulet en conserve et de bleuet pour réchauffer votre casse-dalle. Même chose pour la flotte, s’agit pas de partir avec un pack d’Evian sur les épaules sans quoi vous jouerez un remake de la bataille de l’eau lourde. Au pire, vous pourrez acheter boisson et nourriture sur place à des prix à la fois prohibitifs et défiant toute concurrence (vu qu’en pleine montagne, des concurrents, y en a pas). C’est comme du racket mais légal, ça s’appelle le commerce.
- Faites l’impasse sur les accessoires de survie, cartes, boussole, couteau suisse à douze mille fonctions, fusées de détresse, distille, pièges à loup et arc de chasse, on n’est pas dans Rambo. Appréciable pour la marche de nuit, une lampe frontale. Un bâton de marche n’est pas superflu, on y reviendra plus loin. On en trouve sur place, vendus bien sûr très cher… et parfois munis de clochettes, ce qui devient vite gavant. Ding ding pendant des heures, de quoi devenir dingue avec ce radjaïdjah sonore…
- Organisez votre périple et votre rythme de façon à pouvoir tout vous enfiler d’une traite. C’est la garantie de se dispenser des commodités spartiates mises à disposition du public moyennant finance (de riches). Le tarif des refuges atteint, c’est dans le ton, des sommets pour un repos des plus sommaires, les cahuttes se résumant à des dortoirs où chacun va et vient, bruits du dehors et des gogues en prime. À noter qu’entre les refuges, il n’existe aucun aménagement, pas plus que de végétation derrière laquelle s’installer : il faudra donc se retenir, faire dans son froc ou pisser devant tout le monde. Occasion en or pour réviser la notion de dilemme cornélien…
- Organisez votre périple et votre rythme (bis) de façon à arriver au sommet un poil avant l’aube, souffler deux minutes et admirer le lever du soleil. Ce timing oblige à marcher de nuit. S’agit pas de louper le coche : si vous êtes du genre fâché avec la ponctualité, en retard comme un train de la SNCF, le soleil est toujours à l’heure, lui. Priez (ou gardez votre souffle, l’effet sera le même) que la météo se montre clémente et garde les nuages dans sa besace. Du moins les nuages à très haute altitude, parce que les nuages bas, osef, vous les surplomberez.
- À noter que le Fuji est beau de loin mais loin d’être beau : la pente, c’est caillasse, pierraille et compagnie. Dame nature toute nue sans son manteau de verdure, c’est pas joli joli et l’institut Jean-François Manatane aura fort à faire pour lutter contre sa peau sèche.
Une fois en haut, il faudra bien redescendre. Au moment de repartir, vous serez affamé, épuisé, dégoulinant de sueur, découragé par le fait de vous retaper encore quatre heures de descente, sans parler de la route à s’enquiller derrière jusqu’au home sweet home. La douche et le plumard sont encore très loin…
Gaffe au piège fatal de l’impatience et de la précipitation, sans quoi vous descendrez beaucoup plus vite que prévu… mais sur le ventre. S’agit pas de relâcher son attention, le chemin est plus traître que Judas, tout en petits graviers à la con qui n’ont qu’un objectif : votre chute.
Pour l’appui et le freinage, c’est là qu’on est bien content de disposer d’un bâton de marche (ou d’une ancre marine, mais c’est pas le même poids à trimballer). Si êtes venu les mains vides, on peut vous tailler au pied de la montagne une canne de marche enrubannée de fanions contre espèces sonnantes et trébuchantes. Un objet de belle facture, dans tous les sens du terme, qui vous coûtera la peau des couilles ou des ovaires selon ce que vous avez en magasin. À chaque étape de l’ascension, vous pourrez même faire poinçonner cette baguette magique pour refléter votre montée de niveau comme dans un bon vieux jeu de rôle.
Comme deux ronds de flanc
Vu comme j’ai présenté la chose, une ascension longue, moche et chiante et une descente du même tonneau à la mode Regulus, pourquoi s’infliger un tel calvaire ?
Parce que visiter le Japon sans en passer par là, ce serait ballot. Pour le touriste, ce périple offre une formidable occasion de frimer au retour en montrant des photos de soi au sommet, ce qui en jette un peu plus qu’une séance bronzette, vautré sur une plage méditerranéenne. Vous pourrez balancer à la face de vos amis que vous avez marché dans le cratère d’un volcan en activité ! Inutile de tuer la tension dramatique en mentionnant que la dernière éruption remonte à trois siècles, ce genre de détail pas impressionnant n’intéresse pas l’auditoire. Don’t show, don’t tell, comme on dit dans le métier.
On y va surtout pour voir naître l’aube, à l’heure où blanchit la cambrousse, quand cette coquine d’Éos promène dans l’éther ses doigts humides d’on ne sait trop quelle substance, on ne veut pas savoir. Vous me direz, le soleil qui se lève, c’est comme ça tous les matins depuis des millions d’années, dans le genre phénomène extraordinaire, on a vu mieux. Se taper dix mille bornes à l’horizontale en ligne droite (pour les platistes) ou courbe (pour les globistes), puis trois mille sept cents mètres à la verticale pour un truc qu’on peut voir sans bouger son auguste postérieur de chez soi, ça vend pas du rêve. C’est pas faux.
Cela dit, on n’a pas tous les jours d’admirer un lever de soleil d’aussi près, avec un tapis de nuages sous les pieds plutôt qu’au-dessus de la tête. Le Japon ne s’appelle pas le Pays du Soleil levant pour rien. Donc ouais, la vue valait d’en chier des ronds de chapeaux.