Rencontre avec John Gwynne à Amiens

Ce 27 mai, John Gwynne, auteur des Terres Bannies (Malice, Bravoure, Ruine, Fureur) et de la Confrérie du Sang, venait à la librairie Martelle d’Amiens pour une rencontre-dédicace. Comme le trou paumé qui me sert de ville de résidence ne se situe pas très loin, je me suis dit que ce serait l’occasion d’une grande épopée hors de mes pénates.
En route pour l’aventure !

Rencontre John Gwynne librairie Martelle Amiens
Tout sage au dernier rang… (Crédit photo : éditions Leha)

Cinq ans que je n’avais pas mis les pieds hors de ma ville… Ça m’avait pas manqué. Quand t’es autiste jusqu’au bout des ongles et que ton état se détériore mois après mois, faut admettre que le monde extérieur donne pas envie du tout d’y pointer le bout du nez. Rien que le bruit, déjà, en cinq minutes, j’ai la tête comme une pastèque. Au bout de dix, migraine, vertiges, désorientation. Vingt-quatre heures après ma sortie, j’ai encore mal au crâne. Youpi.
Six semaines qu’il n’est pas tombé une goutte. Je sors, il pleut à verse. Si Dieu existe, de toute évidence, il ne m’aime pas (après, c’est réciproque, je lui jette pas la pierre).
Arrivé à la gare, je demande au guichet un billet de train. Puis j’attends. En fait, il se trouve que le papelard que je croyais être le ticket de carte bancaire était le billet. Tu tournes le dos à peine quelques années, et pouf tout se métamorphose le temps que tu remettes un pied dans la réalité. Autre nouveauté (qui n’en est peut-être une que pour moi et la routine depuis un bail pour le reste de l’univers), y a plus besoin de le composter non plus. Ça change de l’époque des billets qui affichaient “votre titre de transport est déjà composté” et qu’il fallait quand même composter parce que la mention en question c’était tout du flan.
Les tarifs aussi ont changé. La dernière fois que j’ai effectué ce trajet – et j’ai beau pas mettre souvent le nez hors de chez moi, ça remonte quand même pas à dix mille ans –, il devait coûter dans les 7€, maintenant c’est dix balles pour quarante bornes. L’ardoise et l’inflation délirante des tarifs ferroviaires piquent un peu le fion. À nous de vous faire préférer le train, qu’ils disaient… Excusez-moi de me montrer chafouin, mais le résultat ne me semble pas à la hauteur du projet. Tout est préférable au train, des rollers à l’Étoile Noire. Même en fusée, j’ai compté sur mes doigts, le coût par kilomètre parcouru est plus économique.
Sur le quai, je me rends compte que je suis à peu près le seul voyageur à ne pas me promener avec une trottinette ou un vélo (question aux cyclistes : pourquoi vous payez le train alors que vous pourriez rouler gratos jusqu’à Amiens sur votre bicyclette ?). J’attends limite qu’on vienne m’engueuler comme un collégien qui aurait oublié son cahier.
J’ai eu le malheur d’envoyer un SMS à mon frangin qui devait me réceptionner à la gare d’Amiens. Les gens m’ont regardé avec l’air de se demander non pas d’où je venais mais de quand. Alors je détrompe tout de suite ceux qui rêvent d’avoir mon smartphone miniature venu d’un lointain futur, il s’agit d’une antiquité de 2010 à la pointe de la 2G (et pour l’usage que j’en ai, deux pots de yaourt reliés par une ficelle marcheraient tout aussi bien).
Le train arrive à l’heure, ce qui, sur cette ligne, me surprend quelque peu, parce que du temps où je la pratiquais pas mal (1994-2015), la ponctualité restait une notion assez floue, pour ainsi dire un mythe. On avait plus de chances de tomber au détour du quai sur Bigfoot ou Elvis Presley que de partir à l’horaire prévu.
Pendant le trajet, on a droit à des annonces trilingues. Français, british et une langue indéterminée quelque part entre de l’allemand et du flamand prononcé à l’anglaise. Pas sûr de l’utilité de la chose quand 100% des passagers sont picards jusqu’au trognon.

Une fois à Amiens, mon frère me récupère et direction Martelle. Le frangin s’étonne que sur le chemin, personne ne nous aborde pour la traditionnelle petite pièce, une clope, l’emplacement de la rue Machin ou un sondage dont les résultats seront pipeautés quoi qu’on réponde. Je suis un répulsif naturel : les gens me voient, ils sont aussitôt mal à l’aise, on a une paix royale. Même le croquemitaine change de trottoir quand il me croise.
Or donc, au terme d’une longue marche que Mao nous envierait s’il était encore de ce monde, nous parvenons au lieu-dit, battu par les vents – j’en ai compté deux, le premier à 8 km/h, l’autre à 6, la tempête du siècle, quoi.
Au moment fatidique de franchir le seuil, rappelons un détail : réservation préalable obligatoire auprès de la librairie pour assister à la rencontre-dédicace. Je n’ai bien sûr rien réservé du tout.
D’une (sans lien de parenté avec Frank Herbert), à mon âge vénérable, je suis fatigué de pas loin d’un demi-siècle d’obligations diverses et variées, je n’en peux juste plus. Une vie de handicap, par contrecoup le plus gros passé au chômage vu que personne veut de toi, plus pauvreté subséquente, c’est à ça que l’essentiel de ton existence se résume : des administrations qui passent leur temps à te dire “fais ci, fais ça”, injonctions formulées sur un ton infantilisant comme si t’avais huit ans et assorties de menaces en pagaille si t’obéis pas. Donc maintenant, les obligations, merci mais ça va aller, j’ai assez donné, surtout vu la gueule des contreparties auxquelles j’ai eu droit jusqu’ici (peanuts).
De deux, je viens de passer trois ans à bosser sur les sept bouquins de Gwynne parus aux éditions Leha. Ça me semble pas mal pour faire figure de ticket d’entrée d’office.
De trois (comme le cheval), je suis de toute façon attendu par Lauren, la chargée des relations libraire de Leha qui a été avertie de ma venue. On se connaît sans se connaître, comme un peu tous les gens qui bossent sur un bouquin. Un livre implique beaucoup de populo pour l’écriture, l’édition, la traduction, la correction, l’illustration, la maquette, l’impression, la communication, la distribution, la diffusion… et tout ce petit monde sait que les autres existent, mais chacun bosse dans son coin, son domaine de compétence et sa zone géographique en une multitude de vases clos sans jamais se croiser. En plus, mon rythme de sortie à peine plus élevé que celui du père Noël n’aide pas à rencontrer les autres gens du livre.
Très bon accueil et rencontre agréable avec Lauren, qui me remet en prime mon exemplaire de La fureur des dieux, le dernier tome de la série La Confrérie du Sang (ouais, parce que j’ai droit à ça aussi, une vraie star, je vous dis, mieux qu’à Cannes !).

Festival de Cannes 2007
À Cannes, il y a bien longtemps, bibi devant le tapis rouge et les fameuses marches. Marrant, je portais le même T-shirt Goldorak hier à Amiens. Coïncidence ? Je ne crois p… Ah si, pur hasard, en vérité.

Ensuite commence la rencontre avec une série de questions pour John Gwynne qui vient de prendre place sur l’estrade, tel Bonaparte surplombant l’Égypte du haut des pyramides, le bicorne en moins, la barbe en plus. John est venu sans sa cotte de mailles, ce que je trouve un petit peu cavalier de sa part, mais comme il n’a pas non plus de cheval, ça s’annule.
Mon niveau d’anglais étant ce qu’il est – aussi haut à l’écrit qu’il est bas à l’oral – je ne pige rien à ce qu’il dit. Ce qui ne m’empêche pas de comprendre ce qu’il raconte. Les questions sont en français, je connais les réponses avant qu’il les énonce, vu que j’ai potassé le sujet en long, en large, en travers et même dans des dimensions qu’on n’imaginerait pas. Et puis j’arrive tant bien que mal à capter un mot par-ci par-là, les termes importants, et c’est bien suffisant pour saisir l’idée globale du propos. Reste plus derrière qu’à compléter les trous avec well au début, get plus une préposition aléatoire au milieu et isn’t it à la fin pour obtenir une phrase qui tient à peu près debout.
Bilan de ma scolarité : deux ans d’anglais au collège, trois au lycée, deux en prépa, je me retrouve capable de lire, comprendre, traduire du Tolkien, de l’Asimov, du Roal Dahl ou du James Ellroy, mais infoutu de tenir une conversation de plus de quatre secondes. Là, j’ai battu un record quand je me suis retrouvé face au grand barbu, avec deux mots. Hello au début de la conversation, thanks à la fin, rien entre deux. Lauren a assuré tout le speech pour me présenter à John, sans même que j’aie à prononcer un mot tant dans la langue de Molière que celle de Shakespeare, merci Lauren !
Nan parce que si l’autisme est considéré comme un handicap, c’est par pour rien. Parler avec des gens, ça vous paraît peut-être évident. Pour moi, ça l’est pas. Du tout. Même dans ma langue maternelle. Du coup, la communication avec autrui s’en ressent un chouïa, on ne va pas se le cacher.

À l’arrivée, en lisant la dédicace de John sur mon exemplaire, il s’est passé trois choses :
1) J’ai savouré le compliment (mérité, sans me vanter). Merci !
2) J’ai regretté d’être venu en rangers en sentant mes chevilles commencer à gonfler (prochaine fois, je porterai des tongs pour laisser à mon ego assez d’espace pour s’exprimer).
3) J’ai bien rigolé en mon for intérieur, au vu de la situation.
Je m’étais mis au bout de la file de lecteurs et lectrices venus faire signer leurs ouvrages, moitié par correction (et ça me connaît !) pour pas abuser du passe-droit “je suis de la maison” et griller tout le monde – même avec mon rapport folklorique aux codes sociaux, je sais que ça se fait pas –, et moitié par hypervigilance (je supporte déjà pas une personne dans mon dos, alors quinze, vingt…). J’ai donc pu entendre tout ce qui se racontait en attendant mon tour, de “j’adore vos livres” à “j’aime beaucoup ce que vous faites”.
Tous les gens avant moi ont remercié l’auteur pour son excellent travail.
Quand est venu mon tour, ça a été l’inverse.

Dédicace John Gwynne Fred Un K part
Je l’invente pas : il l’a écrit noir sur blanc. C’est pas la classe internationale ?

Voilà ce que c’est d’être atypique, ça me suit partout, tout le temps, pour tout.

Publié le Catégories Salons

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