Les Terres Bannies, Bravoure – John Gwynne

Les Terres Bannies, T.2 Bravoure
John Gwynne

Éditions Leha

Couverture roman Bravoure tome 2 Terres Bannies John Gwynne éditions Leha

Suite directe de Malice, Bravoure aurait tout aussi bien pu s’intituler Transition et risque de paraître long à ceux qui aiment les histoires qui avancent. On termine ce tome, plus ou moins au même point qu’au début, la principale différence étant que chaque personnage a changé d’emplacement sur la carte. Tout le monde cavale dans tous les sens et s’agite beaucoup mais il n’en résulte qu’une progression assez minime de l’intrigue.
Ce volume ne sert in fine que de palier entre la mise en place de Malice et le suivant, Ruine. Pas loin de 700 pages de transition, c’est un peu long, le propos aurait gagné à être raccourci.

Ceux qui avaient eu du mal avec le lent démarrage de Malice risquent de perdre pied pour de bon pendant le premier tiers de celui-ci. Plusieurs groupes de gens s’enfuient, fuite qui se poursuit sur plusieurs chapitres, traqués par d’autres groupes de gens, qui se rapprochent à chaque chapitre – ce que constatent leurs cibles, à chaque chapitre aussi – mais sans jamais les rattraper.
C’est donc assez redondant d’un chapitre à l’autre ET d’un groupe à l’autre, puisqu’il leur arrive tous la même chose tout du long de ce premier tiers (à savoir pas grand-chose puisqu’ils ne font que cavaler droit devant eux).
Cette structure identique pourrait fonctionner si ces différentes poursuites se répondaient l’une l’autre, si des éléments se faisaient écho. Non. Les trames sont juste posées côte à côte, parallèles qui ne se croisent jamais, chacune vivant sa vie dans son coin, comme si rien de tout ça n’était lié.
Aucune de ces cavalcades n’apporte quoi que ce soit en elle-même à l’histoire globale, qui a contrario de nos infatigables voyageurs parcourant des lieues et des lieues, des pages et des pages, n’avance pas d’un pouce. À défaut de progression dans l’intrigue, ces déplacements pourraient être l’occasion de nourrir les personnages et l’univers. C’est un peu le cas mais à dose homéopathique. On a la confirmation officielle de la nature de Corban… qu’on avait deviné dès le premier tome, donc la révélation ne scotchera personne dans son fauteuil. Quelques infos sur le mystérieux Gar mais très peu, et amenées avec maladresse sur le tard en usant de l’artifice “je sais des choses importantes mais plutôt que les dire maintenant, au moment où on en a besoin, je vais encore faire durer le suspens et les balancer après”, bien sûr renforcé par l’autre artifice incontournable dans ce genre de situation, celui des personnages qui se contentent de dire OK sans insister pour obtenir ces précieux renseignements vitaux pour leur survie. Enfin, une des trames mettant en scène un groupe de géants, on en apprendra un peu plus sur ce peuple mais pas autant qu’on aurait voulu et leur histoire, leur civilisation, leurs coutumes resteront assez floues en dépit de cette belle occasion de les développer.
Une ellipse disant “Après quelques jours de trajet, ils arrivèrent à destination.” pouvait condenser le premier tiers de Bravoure.

Entre deux poursuites, histoire d’animer un peu le vide narratif, prennent place quelques batailles. Je ne reviens pas sur ce que j’avais dit dans le premier tome au sujet des qualités de stratège de Gwynne : chacun de ces affrontements défie toute logique tactique.
Le souffle épique et guerrier de Malice se perd ici dans des bagarres répétitives, avec chaque fois le même coup de théâtre de la troupe sortie de nulle part qui déboule par surprise pour renverser le cours de la bataille. L’invincibilité du mur de boucliers pose aussi problème, tuant tout suspens quant à l’issue des combats où le prince Nathair engage sa phalange, victorieuse quoi qu’il arrive et sans la moindre perte (va dire ça aux Macédoniens qui se sont fait éclater aux Cynoscéphales…).
Et surtout, ces batailles ne sont que des péripéties de conquête liées aux ambitions de tel ou tel souverain des Terres Bannies. Trop détaillées sur des pages et des pages, alors qu’aucune d’elle ne fait avancer cette histoire de fin des temps qui plane sur le monde, de tatane immémoriale entre le Bien et le Mal remise au goût du jour après des siècles de sommeil.
Ces 200-250 pages pouvaient tenir en une petite cinquantaine, avec un seul et unique chapitre condensant les aventures de chaque protagoniste (Nathair, Maquin, Corban) depuis la fin du tome 1. Une autre option aurait été de réduire cette longue introduction de moitié, avec moins de poursuites et combats inutiles, des révélations plus précoces donc plus percutantes (quand elles arrivent, on a déjà tout deviné et elles font pshit), davantage d’éléments de background (introduire un point de vue du côté des géants étaient une bonne idée mais pas assez développée donc pshit aussi).

L’autre gros défaut de Bravoure, et il sera présent, lui, tout au long du bouquin, c’est la surmutiplication des points de vue qui éclate la narration. Malice se focalisait tour à tour sur tel ou tel personnage, ici le récit va surtout sauter de l’un à l’autre, survoler sans creuser, parce qu’il y a beaucoup, beaucoup de gens à passer en revue pas tant à cause de l’arrivée de nouvelles têtes que parce que Gwynne semble avoir décidé de mettre un coup de projecteurs sur TOUS ses protagonistes. Problème : dans le lot, certains se révèlent des plus anecdotiques et des personnages secondaires auraient gagné à rester au second plan plutôt que se voir confier le micro pour n’avoir pas grand-chose à raconter, les intéressés passant plus de temps à rappeler des événements du premier tome qu’à parler ce qui se passe ici et maintenant dans le second.

Après un premier tiers poussif, Bravoure va heureusement redresser la barre et retrouver la pêche. Même si…
Le très gros bon point de ce roman, c’est Maquin. Personnage très, très secondaire du premier tome, dans lequel il formait un binôme avec Kastell (de loin le meilleur perso), on s’attendait à ce qu’il disparaisse des radars vu comment finissait Malice. Eh bien non, Gwynne réinvente Maquin et lui offre une place de premier plan, au point qu’il va éclipser tous les autres dans Bravoure.
D’où mon “même si”, parce que même si j’ai adoré ce que Gwynne avait fait de Maquin en termes d’évolution du personnage, on peut se poser la question du bien-fondé de la démarche et de ses conséquences. Que les aventures de Maquin en viennent à être plus intéressantes à suivre que l’histoire principale est bien le révélateur que cette dernière patine dans ce volume. Que le personnage de Maquin remporte davantage les suffrages que Corban, Gar, Camlin ou encore Veradis, qui sont les plus charismatiques, montre bien que les grandes figures du récit sont laissées ici de côté. Les péripéties de Maquin, tant en quantité qu’en qualité, forment à elles seules un roman dans le roman. Ce volet maquinien est une belle leçon d’écriture sur l’évolution d’un personnage au sein d’une saga (et aussi un bon exemple de ce qui arrive quand un auteur se perd dans une intrigue secondaire au point d’en oublier la principale).
Donc après un tiers d’introduction, on a un tiers de spin-off. Qui est très bien, vraiment – c’est même lui qui justifie le titre Bravoure et le sauve en lui donnant l’essentiel de son intérêt –, mais qui aurait gagné à faire l’objet d’un tirage à part.
Alors ça passe, parce que déjà dans Malice le binôme Kastell-Maquin se situait à la marge sans rejoindre l’un ou l’autre camp et baguenaudait en passant entre les gouttes. Ça passe, parce que Gwynne offre ici un beau récit, plein de souffle et de dynamisme, avec un personnage qui envoie la sauce face aux épreuves pas piquées des hannetons sur sa route.

Hors Maquin, il faut bien reconnaître que le groupe de héros autour de Corban fait un peu pâle figure, au point que quand certains d’entre eux cassent leur pipe, leur mort ne fait ni chaud ni froid. C’est surtout au niveau des seconds couteaux qu’on trouvera les éléments les plus intéressants. Je pense par exemple à Camlin le renégat et ses cas de conscience, Dath sans cesse en lutte contre sa peur. Bref, comme toujours, les personnages qui sortent du lot sont ceux qui présentent des failles. Et comme toujours, à trop vouloir miser sur les têtes d’affiche tonitruantes mais classiques (i.e. Lykos), on perd de vue les petits rôles qui apportent beaucoup plus de sel à travers leur particularité (i.e. Brina et Herb).
Au rang des nouvelles têtes – ou des nouveaux points de vue autour de visages connus –, on trouve à boire et à manger. Les chapitres de Lykos, on pouvait faire sans. Ceux de Coralen me laissent sur un mouais dubitatif, la faute à une figure hyper classique de personnage-féminin-qui-rejoint-un-groupe-de-guerriers-très-masculins-et-très-virils-pour-échapper-à-son-destin-tout-tracé-de-femme-au-foyer-et-montrer-sa-valeur-au-reste-du-monde. Il manque à ce personnage un petit quelque chose pour sortir de son archétype et acquérir une identité propre. À voir comment elle sera développée au prochain tome en fonction des événements… Les chapitres autour de Tukul sont quant à eux très sympas, parvenant à mélanger urgence, tension et légèreté autour de ce nouveau venu, dont l’arrivée permet au passage d’en apprendre un peu plus sur Meical, qui perd en mystère mais gagne en épaisseur (son caractère mystérieux était de toute façon trop appuyé).
Côté révélations, on n’apprendra pas grand-chose de neuf. Tout étant posé déjà dès le premier tome qui prenait le temps de le faire, il s’agit davantage de confirmations de ce qu’on supposait plutôt que de scoops fracassants et surprenants. Pas de coups de théâtre au programme, il se passe et se dit exactement ce qu’on attendait – ou qu’on attendait plus, dans le cas de révélations sans cesse repoussées à plus tard au point de ne plus en avoir grand-chose à faire, la patience du lecteur étant soluble dans le délayage narratif.

Donc Bravoure, quand on arrive à la dernière page, je dirais que tout est prêt pour le tome 3. Les personnages à introduire sont introduits, ceux à réunir sont réunis, la nature des uns et des autres et leur place dans le camp des gentils ou des méchants sont révélées. Pas loin de 700 pages depuis la fin de Malice juste pour envoyer les personnages du point A au point B et préparer Ruine, ça représente quand même une longue transition (ne faites jamais ça dans vos dissertations !).
On en ressort sans trop savoir sur quel pied danser. D’un côté, on ne s’ennuie pas pendant la lecture, parce qu’il se passe toujours quelque chose. De l’autre, si on supprime l’agitation un peu vaine de poursuites et de bagarres pas toujours indispensables, il ne reste que des avancées mineures de l’histoire qui attend encore de se décanter pour de bon.
Reste à voir ce que donnera Ruine, le troisième tome de cette épopée des Terres Bannies, sachant qu’il y a encore un quatrième volume derrière pour boucler la saga. Considérant que c’est dans ce dernier qu’aura lieu l’affrontement final des gentils contre les méchants, qui sont désormais connus et affichés comme tels, je me demande bien ce qu’on trouvera dans Ruine pour nous faire (encore) patienter jusqu’à la conclusion…

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