J’avais promis à Sophie Jomain une chronique de Quand la nuit devient jour… Moi et ma grande gueule… C’t’idée de gland, je vous jure ! Il aurait mieux valu que je me pète une guibole… Ah ! on me la copiera, madame Jomain, son talent d’écrivain et tout le tralala !… J’ai chié des ronds de chapeau sur cette critique, je vous raconte pas ! Ou si, tiens.
Bon… On inspire, on se détend. Et comme dit la pub, en route pour l’aventure !
Quand la nuit devient jour
Sophie Jomain
Pygmalion
“La plupart des gens ne meurent qu’au dernier moment ; d’autres commencent et s’y prennent vingt ans d’avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre.”
Petite citation de Céline en exergue pour se mettre dans le ton. Un excellent condensé de Quand la nuit devient jour. Faut dire que le bonhomme en connaissait un rayon sur la nuit et les sombres voyages au bout du bout.
Parce que les maths et moi, ça fait trois, si je devais décrire Quand la nuit devient jour en deux mots, je dirais : un très bon roman.
Paradoxe qui rend l’exercice critique aussi pénible que stimulant : parce que c’est un bon bouquin, il est difficile, vu son sujet très sombre, de l’aimer, verbe quant à lui très lumineux et synonyme de choses mimis tout plein. Ze big paradoxe avec un grand pet… Attention, ne pas “aimer” ne signifie pas détester, je recommande au contraire cette lecture. Entre les deux extrêmes, ce roman ne m’a pas davantage m’a laissé indifférent.
Le flou… On n’a pas de mot en français. Ni oui, ni non, ni ne se prononce pas, il manque une quatrième option au questionnaire de satisfaction.
Or donc, un calvaire niveau critique pour la partie subjective. La partie objective (style, construction et mécanismes d’écriture), pas de souci. Entre les deux une zone nébuleuse, nourrie de l’une et de l’autre. Le bouquin tient-il son pari ? Atteint-il son objectif ?… Il vaut quoi dans l’ensemble ?…
Camille et moi partageons beaucoup. Frère et sœur dans la douleur, si vous voulez… J’ai vécu quand le jour devient nuit, puis sa suite quand la nuit devient l’enfer. Là j’en parle au passé pour la partie “climax”, mais en pratique la souffrance morale fait partie de mon quotidien depuis aussi longtemps que ma mémoire remonte. Fi d’un 3615 MaVie dont le détail ne regarde pas grand-monde et n’intéressera personne. Toujours est-il que, vu les points communs avec l’héroïne, l’identification n’a posé aucun problème. Je dirais même que, dans mon parcours de lecteur qui chiffre en milliers de titres lus, Quand la nuit devient jour est LE bouquin où je me serais glissé dans les pompes d’un personnage avec le plus de facilité. Logique, on porte les mêmes godasses.
L’auteure signe ici un excellent travail, le meilleur et le plus ambitieux de sa bibliographie. J’ai lu peu d’ouvrages capables de rendre la souffrance à travers les mots avec autant de justesse et d’humanité.
Parce que je connais le sujet. Tout ça je l’ai vécu. À ma façon, avec des différences par rapport à Camille sur certaines situations (i.e. en France, l’euthanasie est un sujet balayé sous le tapis, donc faut se rabattre sur le do it yourself), mais sur le fond de la douleur, la façon de la vivre, l’attrition qu’elle cause jusqu’à en arriver à la volonté de mourir, je sais ce que c’est. Si j’écrivais ma biographie, elle ressemblerait à un plagiat de l’ouverture de Quand la nuit devient jour.
D’où une lecture difficile, chaque phrase me rappelant mon cortège privé de saloperies et de souvenirs horribles. Veni vidi reviendi d’entre les morts, je suis trop bien – donc mal, parce que sans recul – placé pour juger de sa portée émotionnelle sur un lecteur lambda.
D’où aussi une sensation de déjà-vu. Et c’est bien la première fois qu’un livre ne m’ennuie pas alors que je connais déjà tout ce qu’il raconte.
Pour que j’éprouve cette sensation de déjà-vu, fallait réussir l’exploit d’une extrême justesse. La fameuse impuissance des mots à décrire la souffrance a beau appartenir à la grande famille des clichés, elle n’en reste pas moins LA difficulté majeure sur ce genre de texte. Trouver les mots et les bons, éviter les envolées éthérées poético-lyrico-tsoin-tsoin, les formules prêtes à l’emploi, les tonnes de pathos à deux ronds, les torrents de mélo facile… Je ne compte plus dans mes lectures les romans pleins de douleur, de dépression, de suicide, où je me suis ennuyé bien comme il faut, parce qu’ils ne ressemblaient à rien. Trop littéraires, trop cliniques, trop outranciers, trop artificiels…
Le tour de force jomanien, c’est de sonner juste. La souffrance de Camille s’exprime à travers les mots appropriés. Pas besoin d’en faire des caisses, il suffit d’un style simple et direct (donc très construit en amont pour aboutir à ce ton spontané). Et Jomain excelle pour se montrer directe. Elle écrit drôlement bien, la bougresse… Sans doute la meilleure description de la dépression qu’il m’ait été donné de lire. Pas juste crédible, non, ça a l’air vrai au point que dans certains passages, on se sent moins devant un roman qu’un témoignage biographique.
Je vous invite à lire Quand la nuit devient jour avec la plus grande attention. Surtout si vous êtes un de ces pignoufs bien-pensants bien-gentils qui croient que la positive attitude et deux-trois formules creuses suffisent pour “aller de l’avant” et “remonter la pente”. Si la solution était si simple, ça se saurait. J’espère que cette lecture vous mettra un peu de plomb dans la cervelle, comme disait Kurt Cobain…
Reconnaissons aussi à Jomain une belle paire de balloches métaphoriques (ou autre formule un peu plus gracieuse). Une Française qui aborde la question de l’euthanasie, quelle drôle d’idée… Par curiosité – et parce qu’une chronique passe par un peu de recherches –, j’ai tapé “euthanasie en France” sur Google. Résultats qui remontent à Mathusalem, 2014, 2015, une éternité sur le oueb. Les seuls articles d’actualité pour cette année mentionnent le “tabou français”. Consternant mais sans surprise. L’euthanasie appartient à la catégorie des sujets relous qu’on balaie sous le tapis. Thème qui fâche, hop, autruche. Penchons-nous plutôt sur les nibards de Marianne, gros sujet d’actualité en ce mois de septembre 2016. Palpitant. Top classe…
“Il n’y a pas de dignité dans la mort”, disait à juste titre le docteur House. Les dernières lignes droites “indignes”, par contre, ne manquent pas dans les chaumières ni les hostos. Mais on va faire comme si et surtout ne pas porter le débat en place publique ou dans l’hémicycle. Eh, les gars, vous pouvez évacuer la mort en déployant des trésors d’imagination, de camouflage ou de cécité sélective, un beau jour… ou peut-être une nuit… couic. Reculer pour mieux sauter, nos gouvernements successifs s’y emploient à merveille. Mais on y viendra, tôt ou tard. Il faudra bien si on veut de l’euthanasie propre, un luxe aujourd’hui.
Après, je comprends les hautes sphères… Elles ont la manie liberticide de légiférer sur tout et n’importe quoi, mais là… Non, surtout pas ! Donner à certains le choix dans la date de leur mort, vous n’imaginez pas !… La liberté ultime… qu’est juste dictée par une contrainte ultime, la Douleur, qui pour le coup mérite une majuscule. Je n’invente rien, notez. Au fond, le débat sur l’euthanasie relève du spin-off de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave.
Là encore, le bouquin de Jomain mérite d’être lu. Pour comprendre pourquoi et comment on en arrive à la décision de mourir. Parce que la mort volontaire peut sembler la meilleure (ou “moins pire”) solution, et que dans certains cas elle l’est. La seule issue, point. Les tenants des grands discours sur la “volonté”, la “lâcheté” ou la “facilité” balanceront peut-être moins d’âneries après avoir lu Quand la nuit devient jour. Sinon, avec toute la méchanceté qui me caractérise, je leur souhaite de s’y trouver confrontés, pour comprendre ce que c’est…
Reste la fin… Perso, je sucrerais les 26 dernières lignes du dernier chapitre ainsi que l’épilogue. Que dire de plus sans pas spoiler le dénouement ?… Non, n’insistez pas, je ne révèlerai pas que derrière Keyser Söze se cache en réalité le colonel Moutarde avec le chandelier dans la bibliothèque.
Sans aller jusqu’à dire que le roman se termine sur une scène facile ou téléphonée, je trouve qu’elle pèche par sa rupture avec les 230 et quelques pages qui précèdent. Trop semblable à une fin de cinéma alors que tout le roman baigne dans le réalisme. Je l’ai ressentie comme un artifice littéraire, un mécanisme narratif visible. D’autant plus dommage que cette conclusion torpille une bonne partie de la démonstration sur le chemin qui mène de la souffrance à l’euthanasie.
Pourquoi, Sophie, pourquoi ce choix ? Je ne doute pas que tu te sois posé la question de l’autre fin possible. Meilleure à mon avis, encore plus d’intensité, une émotion hénaurme !… Le pire, je ne peux même pas te reprocher cette fin, parce qu’elle est cohérente avec ton travail pris dans son ensemble, cet état d’esprit général qui traverse tes textes.
Seul petit bémol à mon goût, compréhensible cela dit pour coller aux impératifs narratifs et éditoriaux, et qui n’entache en rien la très haute qualité d’écriture du roman, sur le fond comme sur la forme.
Un livre à lire. Qui aura une réception aussi variable que variée, vu qu’il en appelle à l’intime du lecteur. Son vécu de petites ou de grandes épreuves, son regard sur la douleur, sur la mort, sur soi. Sur la vie, quoi.