Passé déterré – Clément Bouhélier

Passé déterré
Clément Bouhélier

Éditions Critic

Vernay, petit village tranquille, jusqu’au jour où le poivrot qui officie pour la municipalité comme chauffeur de bus scolaire emplafonne une bagnole qu’il envoie, ainsi que sa conductrice, rejoindre la longue liste des compositions à l’esthétique douteuse, à mi-chemin entre tableau cubiste et compression à la César. Dans la foulée, l’Ayrton Senna local vautre son car dans le fossé, réduisant à l’état de steaks hachés plusieurs de ses passagers. Sept enfants et leur instit ad patres, on peut considérer cette sortie scolaire comme un fiasco.
Six ans plus tard, on retrouve le chauffeur assassiné, comme passé au mixer, et assez vite, tout semble indiquer que certaines victimes de l’accident ne sont peut-être pas si mortes qu’on le pensait. C’est ça, les enfants, jamais fichus de rester tranquilles. Sales gosses…

Couverture roman Passé déterré Clément Bouhélier éditions Critic

Avec Passé déterré, Clément livre un récit d’épouvante solide, efficace, assez court avec ses 370 pages quand la tendance générale du thriller vire au pavé de cinq, six, sept cents pages (pour in fine 370 pages intéressantes aussi, peu importe la longueur).
Lui, il démarre direct avec l’accident. On en connaît qui auraient tartiné cinquante pages sur la sortie scolaire qui précède, suivant le modèle canonique de l’exposition dans une ambiance idyllique pour mieux accentuer la rupture avec l’événement déclencheur tragique. Sauf que l’astuce, on la connaît. Dans ce genre de cas, y recourir ne présente aucun intérêt, d’autant que la plupart du temps elle est mal employée : l’auteur se contente de raconter un épisode dont on n’a rien à battre et point. Encore, si l’intro sert à planter des éléments pour la suite en termes de personnages, d’intrigue, d’univers, d’atmosphère. Mais neuf fois sur dix, non, simple tirage à la ligne.
Donc là, accident, paf. Ça, c’est posé. Vite et bien.
Tout le roman restera empreint de la même efficacité. Jamais d’excroissance bavarde, pas d’intrigue secondaire qui vient pourrir le rythme de la principale, aucun appesantissement sur des points mineurs que d’autres auraient développé sur des pages et des pages en croyant épaissir ceci ou cela avec pour seul résultat d’alourdir le texte de détails inutiles et barbants.

Dans l’ensemble, Passé déterré m’a évoqué le Stephen King d’avant, celui qui savait encore faire court, sans étaler sur un chapitre entier la biographie d’un personnage ultra secondaire qui sert dix minutes dans l’histoire à l’occasion d’une scène annexe. Le Stephen King de Salem. Le bouquin de Clément en est le cousin.
Salem, c’est d’abord la volonté de raconter une histoire, en l’occurrence une réécriture de Dracula, même si à mon avis plus proche du film Nosferatu que du roman de Stoker. Donc moins chargé en thématique et symbolique que Carrie ou Christine mais pas creux pour autant à travers la mise en scène du déclin d’une petite communauté rurale (miroir de la réalité des années 50-60 d’un monde rural américain en crise) dans une ambiance de parano/corruption/infiltration (écho de la vie politique américaine, entre chasse aux sorcières maccarthyste, opérations gouvernementales aussi secrètes que foireuses comme la Baie des Cochons, scandale du Watergate qui marque une rupture de confiance des Américains dans leurs dirigeants).
Passé Déterré, même combat, un récit, du fantastique, et au passage, profiter de l’occasion pour parler du deuil et de la violence qui engendre la violence. Quelque chose en plus, donc, pas juste une histoire de revenants turbulents, ce qui n’aurait pas la moindre espèce d’intérêt dans un genre déjà surchargé de titres dispensables.

Pour ses créatures d’outre-tombe, Clément a eu le bon goût de croiser les effluves (même si on sait que c’est mal d’après Egon Spengler), mixant La nuit des morts-vivants, les traditionnels spectres vengeurs assoiffés de vengeance contre les responsables de leur trépas et la figure du comte vampire qui irradie le mal dans toute la région qu’il contemple depuis le balcon de la plus haute tour de son château dans la nuit noire et glacée. Ouais, parce que le genre, il est quand même pas mal peuplé d’auteurs qui ont élevé à un niveau olympique le réemploi des mêmes clichés sans se casser la tête à les retravailler.
Ici, le recyclage du bestiaire d’outre-tombe se veut plus intelligent qu’une énième redite, on a affaire à des hybrides qui empruntent à plusieurs archétypes – vampire, goule, zombie, fantôme colérique et revanchard – pour proposer, peut-être pas du neuf, mais au moins quelque chose de différent. Et le résultat fonctionne. Tout “fait penser à” mais sans donner d’impression de déjà-vu ou d’“être piqué de”. C’est le principe de l’inspiration – ce qui ressemble à un enfonçage de porte ouverte, mais j’ai lu tant de bouquins qui confondaient s’inspirer et cloner que la chose n’a rien en vérité d’une évidence. Si vous voulez pomper, devenez Shadok ou avaleur de sabres, postulez pour un casting chez Marc Dorcel, c’est peut-être la promesse d’une belle carrière dans un domaine ou l’autre, mais ne vous lancez pas dans l’écriture. Clément, lui, a préféré devenir écrivain, choix peut-être moins glorieux que star du X mais on n’est pas là pour juger son orientation professionnelle, donc il s’inspire – parce que toute écriture n’est qu’inspiration – et ensuite il brode dessus pour obtenir son truc à lui.
Bilan : ses créatures ont “des airs de” mais sans en être tout à fait et il flotte sur le roman un parfum de Stephen King qui reste diffus et permet au texte de développer son identité propre qui n’est pas celle d’un simple pastiche de Stevie ni un sous-ersatz kingien à deux ronds cinquante.

Sur la qualité d’écriture, presque rien à redire. Comme dans Olangar, le roman suivant de Bouhélier, on trouve déjà ici un très bon sens du rythme dans la narration. Savoir quand se poser pour entrer dans la tête d’un protagoniste, y passer assez de temps pour le développer et l’épaissir sans s’y encroûter en interminables introspections soporifiques. Mener l’action tambour battant, sans pour autant négliger le reste (le fond, l’ambiance, l’évolution des personnages…).
Certains éléments auraient pu être développés davantage, je pense à quelques points de l’histoire passée du village. Mais le fait de ne pas avoir tous les détails sur tout ne gêne en rien. En vrai, y a que dans les bouquins et dans les films que les héros récoltent des brouettes d’infos pour brosser un tableau complet parfait des tenants et aboutissants étalés sur des siècles sans le moindre trou dans la raquette de l’histoire. Dans le monde réel, c’est plus compliqué. Les informations, faut pouvoir y accéder et selon leur nature, elles ne sont pas ouvertes aux quidams. Avant ça, faut savoir quoi chercher, où et comment, et tout le monde n’a pas un parcours de doctorant affûté en recherche documentaire ni un diplôme d’historien qui lui ouvrirait toutes les portes des bibliothèques universitaires et des archives départementales. Et puis, faut le temps aussi. Ce dont les personnages ne disposent pas dans le cas présent, pressés qu’ils sont par les événements d’un passé qui se déterre très vite et ne leur laisse aucun répit pour souffler encore moins pour aller jouer les rats de bibliothèque pendant des semaines. Enfin, même avec le temps, les compétences et les contacts requis, encore faut-il que les traces du passé aient survécu au passage des années voire des siècles, à la dégradation et à tous les risques auxquels sont exposés les vestiges (documents perdus, incendies, bombardements…). Bref, certaines infos historiques auraient pu venir étoffer le background des lieux pour apporter un petit plus concernant les épisodes du XVIIIe et du XIXe, mais le contexte justifie qu’il n’y en ait pas à foison. Celles fournies suffisent à se faire une idée. Le reste, on l’imagine.
Y a peut-être que le château qui aurait gagné à un traitement différent, avec un peu plus de corps, de détails et de présence, en forçant moins le trait sur le fait que personne ne sache rien à son sujet. Trop de mystère tue le mystère et là, c’est un chouïa too much (mais pas caricatural non plus, on n’en est pas au stade de la vieille bâtisse en ruines au sommet d’une colline battue par les vents avec volets qui grincent, orage en surplomb et tout l’arsenal des lieux communs).
Seule autre réserve, le personnage de Carine, une des parentes d’élèves transformés en ketchup. Je ne l’aurai pas traitée de la même façon non plus, trop baroque en foldingue illuminée, et j’aurais davantage focalisé sur elle avec une paire de passages supplémentaires à son sujet. Après, il s’agit d’une mère en deuil, domaine dans lequel toutes les réactions sont possibles, chaque individu y faisant face à sa façon. J’ai assez pratiqué le sujet pour le savoir… C’est d’ailleurs une des grandes forces du roman de très bien rendre l’état d’esprit des endeuillés et les différentes trajectoires de chaque parent dans les années qui ont suivi l’accident, avec beaucoup de justesse, sans pathos à outrance, sans non plus verser dans le catalogue qui se croirait obligé de passer en revue tous les cas de figure comme un manuel de psychologie (ce que n’est pas un roman).

À l’arrivée, c’est un beau roman, c’est une belle histoire, avec des gens qui se font dézinguer par des créatures d’outre-tombe (ce qui manquait cruellement à la chanson de Michel Fugain, il faut bien le reconnaître). Bien écrit et bourré d’idées malignes, Passé déterré est le livre type de la catégorie “allez, juste encore un chapitre et après dodo” et comme après chaque chapitre, il y en a un autre… Bref, la nuit est courte, tu dors pas beaucoup, mais c’est de la bonne fatigue.

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