Après Roadmaster et sa voiture de l’espace, Mile 81 (Le bazar des mauvais rêves) et sa bagnole mangeuse d’hommes, on continue le circuit automobile de Stephen King avec Christine.
En voiture, Simone !
Christine
Stephen King
J’ai Lu
Quatrième de couv’
Christine est belle, racée, séduisante. Elle aime les sensations fortes, les virées nocturnes et le rock n’roll des années héroïques. Depuis qu’elle connaît Arnie, elle est amoureuse. Signe particulier : Christine est une Plymouth Fury, sortie en 1958 des ateliers automobiles de Detroit.
Une seule rivale en travers de sa route : Leigh, la petite amie d’Arnie…
Ah, Stephen King, ce grand obsédé des voitures… Avec moi qui m’en cogne comme de l’an 40, ça fait une moyenne.
Dans ses textes du XXIe siècle, la chose s’explique par son accident de 1999. Mais bien avant, il y a eu Christine en 1983. On peut même remonter un peu plus haut à Cujo et à la cascade automobile de John Smith au début de Dead Zone. Les bagnoles suivent le bonhomme depuis le début de sa carrière, pour le meilleur et pour le pire.
Si tu veux t’aventurer dans les tréfonds du pire, je te conseille Maximum Overdrive, film écrit et réalisé par l’ami Stephen lui-même, une catastrophe nanarde s’il en est. Pour le meilleur, monte à bord de la Plymouth Fury 58 rouge vif, la voiture dont on ne doit pas prononcer le nom.
Bon, le meilleur, tout le monde n’est pas d’accord là-dessus.
Faut reconnaître au roman UN gros défaut : sa construction hyper classique.
Arnie Cunningham s’enamourache de Christine, une bagnole maudite qui va petit à petit le posséder. Christine dézingue un paquet de gens avant de se faire pulvériser à son tour pour de bon… ou pas (un peu comme le méchant mort et enterré, dont la main se dresse hors de la tombe juste avant le générique de fin).
Trame pas révolutionnaire pour un sou. Galerie de personnages avec plein d’ados dedans. Univers d’épouvante classique où l’espérance est cinq fois moindre qu’IRL (parce que les ados meurent beaucoup dans les récits d’horreur…).
On roule en terrain connu, ce qui rend le déroulement de l’histoire prévisible.
Le salut, comme dans Roadmaster, vient en majeure partie du talent de conteur du père King. Le gars sait raconter une histoire et parvient à te garder dans ses filets narratifs même quand tu vois où il t’emmène. Sur ce plan, je renvoie à ma chronique de Roadmaster linkée plus haut, ça m’évitera de me répéter, ça m’évitera de me répéter.
Second point fort : Christine, le meilleur personnage du roman. Les autres protagonistes sont des gens tout ce qu’il y a de plus normaux, souvent stéréotypés (bonne ou mauvaise chose, ça dépend, j’y reviendrai). Une voiture avec un nom, une personnalité, une histoire, des motivations… Bref, la définition canonique d’un personnage. Dans son cas, King frappe aussi fort qu’un semi-remorque lancé à fond sur une mobylette. Des années après ma première lecture, je me souvenais un peu d’Arnie, plus du tout des autres (Dennis et Leigh) mais très bien de la tuture diabolique !
Enfin, les thèmes. Et c’est là que les personnages prennent tout leur sens, qu’ils soient humains ou montés sur roue.
Christine raconte le passage à l’âge adulte : première voiture et premières amours consommées, et surtout rivalités et confrontation avec la mort (c’est pas comme si, dans la plupart des cultures depuis que le monde est monde, tu deviens adulte quand tu atteins l’âge de porter les armes).
Vu que tout le monde y passe à quelques irréductibles Peter Pan près, le choix de lycéens lambda fait sens. Comme le John Smith de Dead Zone, au nom plus neutre que la Suisse. On se retrouve tous dans Arnie, Dennis et Leigh (moi, c’était surtout Arnie, ça n’étonnera personne…).
Fin de l’enfance et de l’adolescence, fin des Trente Glorieuses aussi. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont annoncé que la routourne venait de tourner, comme dirait Ribéry (né l’année de sortie du roman, faut-il y voir un signe ?).
Christine aurait pu être une carabine, une maison bâtie sur un cimetière indien ou n’importe quel autre objet si cher au cœur des Américains. Non, il s’agit d’une voiture.
Gouffre à carburant – ce que d’aucuns appelleraient une “recrue d’essence” – mais pas que. L’histoire de Christine, on l’apprend en cours de roman, commence sur une chaîne de montage.
Et si tu mets tout ça bout à bout, tu obtiens le portrait d’une société de consommation inféodée à ses possessions.
Si le thème de “l’objet que tu possèdes finira par te posséder” n’a rien de nouveau (l’Anneau unique chez Tolkien, l’épée Stormbringer, l’or du Rhin…), il prend une autre dimension après la Seconde Guerre mondiale. Production à la chaîne en quantité infinie, consommation de masse, credo “on est ce que l’on a” vanté comme le top de la réussite… Fini le temps des héros isolés dans la fiction ou la mythologie, la malédiction s’étend à l’ensemble de la planète et des individus.
Et c’est là que réside l’horreur de l’histoire : pas dans les scènes d’épouvante du bouquin mais dans la réalité de notre monde.