Mais sinon, tout va bien ! – Max Deloy

Mais sinon, tout va bien !
Max Deloy

HarperCollins / &H

Couverture Mais sinon tout va bien Max Deloy Maxime Gillio HarperCollins Harlequin

Premier roman signé Max Deloy, je me suis donc livré à quelques recherches sur cet auteur, histoire de mieux le connaître.
Jeune écrivain inconnu ? À voir. Le bonhomme ne fait pas son âge, mais il est en réalité très très vieux. Quant à son œuvre, tout le monde en a entendu parler à défaut de l’avoir lue. Car c’est à lui que Napoléon Ier confia jadis la rédaction du Code civil, ouvrage qui rassemble un max de lois.
Deloy prit des tripes pendant la restauration et le chemin de l’exil sous la Restauration. On le vit arpenter la terre de Flandre, de Dunkerque à Anvers, en passant par Hallennes-lez-Haubourdin, Coxyde ou encore Saint-Folquin. Un périple tout à pinces, en hommage aux preux chevaliers Yvain et Gauvain, surnommés “les petits pédestres” dans les chroniques d’Astier de Lyon (1274-1312). Impressionné par la démarche caractéristique du père Max, le général prussien von Etick obligea ses troupes à défiler de la même façon. À cause d’une maîtrise approximative du français, von Etick transcrivit l’expression en “pas de l’oie”, ce qui ne rime aryen à rien puisqu’on n’a jamais vu d’oies avec des casques à pointe.
Lassé de courir les routes, le randonneur décida de poser ses valises. Son choix de résidence se porta sur San Antonio, où il fonça dare-dare. L’ennui aidant, il finit par succomber au démon du jeu, Deloy. Pour éponger ses dettes, il se lança dans la fabrication de buvards, expérience infructueuse qui le conduisit à enchaîner les petits boulots : gardien du cimetière des morts qui chantent, cureur de nez, guichetier de péage sur l’A16, équarrisseur aux abattoirs dans la dune, réducteur de fractures, sosie de Freddie Mercury.
Mais sinon, tout va bien ! est (plus ou moins) son premier roman.

Si c'est sur Internet c'est que c'est vrai
Si c’est sur Internet, c’est que c’est vrai.

Pour Georges, tout ne va pas aussi bien que le titre l’annonce. Sa carrière d’acteur se résume à cachetonner pour trois fifrelins dans des pubs de douzième zone. L’école de théâtre qu’il dirige menace de mettre la clé sous la porte, parce que la tune commence à manquer sévère. Sa vie sentimentale est un fiasco, entre une ex-femme qui l’a lourdé et… et… et rien d’autre, vu que sa vie sociale est un désert. Son gamin, atypique et scolarisé à la maison, épuise tous les profs particuliers, qui finissent par rendre leur tablier. What else? demanderait un autre George.

Là, tu dois être en train de te dire que tu as lu ce bouquin mille fois. L’énième tranche de vie d’un contemporain lambda, avec un quotidien pas terrible, destiné à aller de mal en pis comme Io après sa rencontre avec Zeus, avant de se dénouer comme par miracle lors d’un happy-end où tout il est bien qu’il finit bien (en bon fransé dan le text).
D’un côté, c’est pas faux. Le bouquin est publié chez HarperCollins dans la collection &H, avec ce que cela implique au niveau de certains attendus et passages obligés.
D’un autre côté, Mais sinon, tout va bien ! est bourré de choix d’écriture, ceux-là mêmes qui manquent à bien des titres insipides. Déjà, l’histoire fait l’impasse sur les parigoteries germanopratines en se déroulant à Wazemmes, un quartier de Lille, plutôt que dans la capitale. Et au lieu du sempiternel bobo qui cherche le sens de la vie dans du marc de café à 7€ la tasse, le roman met en scène un père célibataire avec des problèmes d’emploi, de famille, d’argent, qui parleront au plus grand nombre.

Au cas où tu penserais que suivre au fil des pages un type normal avec des problèmes normaux sent l’aller simple vers l’ennui, laisse-moi te dire que tu te mets le doigt tellement loin dans l’œil que ça ne va pas arranger tes hémorroïdes.
Deloy a choisi la voie de la différence à travers un casting pas piqué des hannetons. Une vieille, une obèse, un gamin surdoué, une punkette-autiste-psychopathe, un épicier arabe, une lesbienne et j’en passe. Bref, le club des laissés-pour-compte qui ne collent pas au profil, trop handicapés, pas assez français, hors des canons de beauté, etc. Tous ceux qui à un moment ou un autre atterrissent dans une phrase qui commence par “ces gens-là”, prononcée en baissant la voix des fois qu’“ils” entendent. Mais sinon, tout va bien au pays de l’égalité et de la fraternité…
Galerie de personnages comme n’en voit pas assez souvent, chacun rendu avec justesse et profondeur. Plus que les aventures de Georges dans la jungle de la vie quotidienne, ce roman raconte la différence. Et il le fait bien, à travers un mélange d’émotion, d’humour et surtout d’humanité qui fait honneur à ces fameux “gens-là”.

Fort de son club de bras cassés, Georges doit monter Phèdre. En italique, parce qu’on n’est pas dans du Dorcel : on parle de la pièce de Racine, pas du personnage. Si tu ne l’as pas lue ou vue sur scène, pas d’inquiétude, tu trouveras les infos nécessaires dans le bouquin, qui se trouve être le meilleur travail de vulgarisation que j’aie pu lire. Comme quoi un roman de divertissement peut aussi tirer son lectorat vers le haut et pas juste se contenter de raconter du vide en laissant les neurones inoccupés (c’est le boulot des animateurs télé, ça).
Planquer de la littérature classique sous une lecture de plage, c’est vicieux, j’aime bien l’idée. Et ça marche, parce que Deloy se montre pédagogue. Les personnages issus du théâtre expliquent la pièce comme des profs… tandis que les acteurs amateurs, avec leur bagage scolaire plus ou moins étoffé et leurs facultés plus ou moins affûtées, te la racontent comme un pote le ferait. C’est parlant, loin de la conception élitiste traditionnelle de la littérature classique et tout le monde s’y retrouve.

Alors après faut pas s’attendre à des masses de suspense quant au dénouement. Un défi impossible, les personnes les moins qualifiées sur le papier pour en venir à bout, on sait comment ça se termine dans la fiction. C’est le genre qui veut ça.
Quel genre au fait ? Bonne question. D’aucuns diront (à tort) littérature contemporaine, sauf que c’est un critère chronologique hors sujet avec le genre. Certains parleront (à tort) de feel-good. À moins d’être le dernier des sadiques, y a quand même pas de quoi se réjouir de la situation de Georges et des tuiles qui lui pleuvent sur la tête chapitre après chapitre. D’autres le rangeront (à tort) en romance mais, vu la place mineure qu’elle occupe dans ce livre, on n’a pas dû lire le même ou ils confondent avec un autre. Les mamours de Georges et sa babysitter représentent d’ailleurs le gros point faible du bouquin, tant elles puent l’artifice narratif forcé, sans parler du côté glauque de la chose qui lorgne vers l’inceste et la pédophilie… Enfin, à ceux qui le caseront (à tort) dans la blanche, je réponds que cette catégorie aussi fourre-tout qu’une soirée échangiste n’est qu’un classement par défaut de ce qu’on n’arrive pas à mettre ailleurs, donc pas un genre défini en soi. Au final, ça sent bon le complot ourdi par les prêtres du temple de Dendérah : avec eux, c’est toujours Hathor.
Après cet aparté (comme au théâtre, c’est dire si je suis raccord avec le sujet), j’en reviens à ce que je blablatais à propos de la fin. Deloy a eu le bon goût de garder le sens de la mesure. Il a évité le final à l’américaine, avec brouettes de Molière, fauteuils à l’Académie et places réservées au Panthéon pour la troupe d’amateurs. C’est la force de ce bouquin de savoir rester juste. Les passages obligés de cette littérature, oui, les clichés et facilités, non (enfin, pas trop). Et sans excès délirant par-dessus le marché (de Wazemmes).
Les scènes chargées d’émotion ne versent pas dans le sentimentalisme à deux ronds, le pathos outrancier, le tire-larmes racoleur. Les pages regorgent de traits d’humour, des phrases qu’on a sorties dans des situations analogues, entre rire jaune, dédramatisation et parfois cynisme de grand blasé du coup dur. Moyen de défense classique : en chaque clown sommeille un écorché (sauf Grippe-Sou qui est un cas à part).
Deloy sait y faire sans trop en faire. La bonne formule au bon moment, la petite goutte au coin de l’œil quand il faut plutôt que des torrents de larmes à chaque phrase, la phrase marrante qui fait mouche plutôt qu’un festival ininterrompu de feintes moyennes. En un mot, du relief.
Un relief qui doit autant à la construction de l’ensemble et au sens du timing qu’à la forme. Ça se lit bien, parce que c’est bien écrit. D’autres auteurs dans la même veine m’ont consterné, soit par leur tournure scolaire niveau CE2, soit à l’inverse par un académisme pétri de naphtaline, de Proust et de somnifère (le cocktail fatal…). La plume Deloy, c’est frais, aéré, décontracté. Et comme la décontraction n’a rien de spontané en écriture, je te laisse imaginer comment il a dû bosser et suer pour ciseler chaque phrase.

Gandhi citation Kojak Le sage se méfie des apparences

Avant d’attaquer Mais sinon, tout va bien !, j’avais un peu peur de m’engager dans une lecture pas trop pour moi. Sûr qu’on est loin de mes dragons, robots de l’espace et crimes en série habituels avec ce roman ancré dans un quotidien à dix mille milliards d’années-lumière du mien. La distance n’a pas empêché un rapprochement à travers certains personnages (Margot et Henrik, les deux surdoués avec zéro sens social) et certaines scènes (le râteau de Georges, c’est du vécu). Je ne regrette jamais une sortie hors de ma zone de confort de lecteur quand l’auteur assure le job avec intelligence. C’est le cas ici.
Tout va bien, ça baigne dans l’huile, pour reprendre un mot prononcé le 14 février 1779 par James Cook, expert en friture.

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