Les fourmis – Bernard Werber

Dans ma chronique sur Dragon Magazine, j’avais évoqué les portes ouvertes par la revue vers tout un tas d’univers, films, auteurs, jeux, livres… C’est par le biais du n°5 de mai-juin 1992, ce qui ne rajeunira personne, que j’avais découvert l’existence des Fourmis (le roman, pas les insectes, eux, j’étais déjà au courant).
En ces temps jadis où les dinosaures gambadaient encore dans nos vertes prairies, j’avais adoré ce bouquin.
Aujourd’hui, moins.

Les fourmis
Bernard Werber

Albin Michel

Couverture Les fourmis Bernard Werber Albin Michel

Dans Les fourmis, trois livres pour le prix d’un.
Dune… Ah non, celui-là ne figure pas dedans. D’une, disais-je avant d’être interrompu par moi-même, un fil narratif autour des Wells, le père, le fils, la femme, un vrai jeu des sept familles avec une seule famille.
Cette partie est nase. Poussive, lente, peu crédible, truffée de ficelles d’écriture énormes… Je veux dire, le mec descend à la cave. Deux jours plus tard, sa femme commence à s’inquiéter de ne pas le voir remonter. Ben, il serait temps… Voilà, donc la partie humaine du roman, c’est “ça”. Et encore, c’est juste le début, après la débilité du truc va crescendo, jusqu’à arriver à une fin douteuse que je ne spoilerai pas ici (mais je trouve quand même un brin malsain de justifier l’organisation d’une communauté sur la base de la séquestration…).
Bref, le bouquin serait mille fois meilleur sans.

De deux, L’encyclopédie du savoir relatif et absolu, à savoir des articles écrits par Edmond Wells, qui émaillent le texte et apportent des explications sur le monde des fourmis, genre de Wikipedia avant l’heure et sur papier (une encyclopédie, quoi).
Alors, c’est pas inintéressant, même si… Bah, c’est quand même une maousse astuce d’écriture pour faire “l’air de rien” (hum…) du worldbuilding sans se casser la tête à l’intégrer au corps du texte. Comme tout procédé grossier, ça marche plus ou moins bien. Parce que parfois trop encyclopédique et didactique, bourré de détails dont on n’a rien à battre, en mode j’étale ma science. Ou, concernant certains articles portant sur d’autres sujets que les fourmis, on sent bien que Nanard en profite pour faire passer son message d’auteur – gros sabots spotted – quand il ne vient pas carrément nous expliquer la vie.
On se retrouve donc avec des envolées théories qui valent ce qu’elles valent – plutôt du mouais bof sur l’échelle de profondeur de réflexion – et une mine d’infos scientifiques sur les fourmis qui ne passionneront pas tous les lecteurs, comme ceux qui sont d’abord venus chercher une fiction, pas un traité d’entomologie. D’autant que certaines infos sont d’une pertinence moyenne, pas super utiles à l’intrigue ou à l’ambiance, parfois même erronées au plan scientifique, et les nombreux inserts hachent les récits qui sont déjà eux-mêmes imbriqués, d’où une impression de texte qui part dans tous les sens, décousu, avec un extrait d’encyclopédie, quelques lignes de trame humaine, un paragraphe sur la trame des fourmis, re les humains, re fourmis, hop encyclopédie, ad lib
Plutôt qu’un roman à la fois tout d’une traite et patchwork frénétique, un découpage classique en chapitres aurait été plus indiqué, avec au début de chaque chapitre UN et un seul extrait d’encyclopédie. Des tas de romans de fantasy et pas mal en SF utilisent le procédé, qui est certes un artifice d’écriture visible, mais qui permet de caser un peu de background sans noyer le lecteur sous trois millions d’infos saupoudrées par petits paquets en plein cours d’un récit où tu passes ton temps à décrocher et raccrocher.
Bref, le bouquin serait mieux structuré dans son ensemble et élagué sur son versant encyclopédique, il n’en serait que meilleur, moins éclaté pour pas grand-chose, moins bavard, mieux rythmé dans sa narration.

De trois, le récit des fourmis. Ici, rien à redire, Werber, en mettant en scène des personnages qu’on n’a pas souvent l’occasion de voir en tête d’affiche et qui donnent son titre à l’ouvrage, propose une excellente histoire.
Ce qui fait qu’on se demande pourquoi il a cru bon de la torpiller avec une intrigue humaine pourrie et des scories encyclopédiques qu’il aurait pu incorporer dans sa narration plutôt que s’écouter parler dans les articles philosophiques fumeux de son Encyclopédie du savoir bidon et dispensable.

La conclusion, au moins on n’est pas embêté de ce côté-là, c’est toujours la même avec Werber.
Si vous êtes ado, sautez dessus (ses bouquins, pas lui). Quand j’ai lu celui-ci et d’autres de lui dans mes vertes années, j’avais kiffé. Son niveau de pensée colle à cet âge où on a encore beaucoup de choses à découvrir et beaucoup de sujets sur lesquels réfléchir. J’en garde un très bon souvenir de lecture à l’époque.
Si vous êtes adulte, c’est mieux de lire autre chose, mieux écrit, mieux construit, plus mature, et c’est pas forcément une bonne idée de remettre le nez dedans. Je ne garderai pas un excellent souvenir de ma relecture…

Le jour des fourmis

Les choses auraient pu (et dû) en rester là, mais non, il y a une suite : Le jour des fourmis.
C’est le même bouquin que le premier tome mais en beaucoup moins bien. Construction identique avec une trame narrative chez les humains et une autre chez les fourmis, le tout parsemé d’extraits de L’encyclopédie du savoir relatif et absolu, donc rien de nouveau sous le soleil en termes d’écriture.
Côté humains, on écope d’un polar plus téléphoné que l’annuaire, thriller du pauvre à peu près du même niveau que le film Le pharmacien de garde qui sortira dix ans plus tard (avec ses inénarrables coccinelles tueuses pour prendre la relève des fourmis).
Côté fourmis, mouais… D’une part, suite oblige, on perd l’attrait de la nouveauté et de la découverte de ces personnages si particuliers. D’autre part, le but de Werber étant de parler de l’humanité, il va introduire dans la fourmillière des concepts bien de chez nous, par exemple la religion. Sauf qu’à humaniser ses fourmis, elles perdent leur spécificité, ce qui fait qu’on se demande l’intérêt de les mettre en scène si c’est pour ne pas les employer en tant que telles. Pour faire ça, autant écrire une histoire avec directement des humains, plutôt qu’une métaphore ratée qui force pour insérer des éléments dans des contextes qui ne s’y prêtent pas. C’est comme les jeux d’éveil : si tu t’obstines à vouloir mettre le cube dans le trou en forme d’étoile, au mieux ça passera pas, au pire tu vas tout bousiller. Bon ben là, c’est tout pété et les fourmis finissent par ne plus ressembler à des fourmis pour perdre une bonne part de leur intérêt.
Quant aux inserts encyclopédiques… Ayant épuisé dans le premier volume ce qu’il y avait à raconter sur les fourmis, Werber a décidé d’axer davantage son propos sur ce qu’on appellera faute de mieux la “réflexion philosophique”. Ne soyez pas effrayé par l’appellation, on est loin des Platon, Kant, Descartes et autre Nietzsche. Aucun risque de se fouler le cerveau, cette Encyclopédie du savoir tiré par les tifs et farfelu reste très accessible au commun des mortels – première lecture du bouquin à 16 ans, je peux pas dire qu’à l’époque j’avais été ébloui par la puissance de la réflexion… Camouflé sous la plume d’Edmond Wells, le fond de la pensée de Werber se révèle in fine basique et dispensable, parfois même prétentieux à nous imposer sa vision en mode “je viens vous enseigner la vérité, pauvres ignorants”, en plus de plomber le rythme narratif déjà pas folichon.
Bilan des courses, je me suis pas mal ennuyé au cours de la lecture de ce Jour des fourmis qui m’a semblé durer un mois.

La révolution des fourmis

On pourrait le qualifier de tome de trop si ce n’était pas déjà le cas du Jour des fourmis. Refroidi par ce dernier, je n’ai pas acheté l’opus 3, juste emprunté à la bibliothèque, parce que je sentais l’investissement à perte.
On retrouve les ingrédients habituels agencés de la façon habituelle (trame narrative des humains entrelacée avec la trame des fourmis, le tout haché d’extraits de l’Encyclopédie du savoir de l’auteur qui s’écoute parler). Confortable. On n’est pas bousculé dans nos petites habitudes de lecture. Par contre, on s’ennuie de la redite et du degré zéro de renouvellement.
Côté intrigue, tout est sous acide. Quand on en arrive à des fourmis qui essaient de danser et marcher sur deux pattes… Chez La Fontaine, ça passerait. Là, non. L’image n’est même pas humoristique, juste WTF.
Ici, Werber a pris le parti de nous enseigner comment faire la révolution. Objectif aussi ambitieux que raté. J’entends Bakounine se retourner dans sa tombe alors qu’il est enterré à 800 bornes de chez moi, c’est dire si on s’embarque dans de la révolte pas piquée des hannetons. Sans dec’, même les Rebelles de Star Wars, qui sont pourtant de sacrés Bisounours, passeraient pour des bolcheviques hardcore, couteaux entre les dents, blaster derrière l’oreille, en comparaison de la vision wébérienne qui redéfinit les adjectifs candide, naïf, immature. Trois tomes pour arriver à sa gentille révolution qu’on croirait conçue par un théoricien de CE1. Ben la vache, ça valait le coup… L’ordre établi doit trembler de trouille dans ses caleçons face aux hordes de sans-culottes gavées de Mon petit poney qui déferlent dans les rues en chantant le pouvoir de l’amour… Wouhouhou…
Paresse d’écriture, longueurs, incohérences, idées plus débiles les unes que les autres, auteur qui se prend pour un philosophe et nous le fait bien savoir, v’là le pensum qui échoue tant sur la fiction que la réflexion.
Il n’y a RIEN à sauver dans cet opus.

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