Les brumes de Babylone
Michael McDowell
Pocket Terreur
Celles et ceux qui ont déjà essayé de s’enfiler un cactus dans le fondement comprendront l’analogie. Les autres devront faire appel à leur imagination (ou à un fleuriste). La lecture des Brumes de Babylone est une expérience désagréable, douloureuse même, du genre que tu regrettes, beaucoup et longtemps, et t’amène à te demander comment, à un moment, t’as pu penser que c’était une bonne idée. En tous les cas, une chose est sûre : cette purge imbuvable est largement surcotée.
On a connu la collection Terreur de Pocket mieux inspirée dans ses choix éditoriaux qu’avec cette soupe indigeste. À noter que l’ouvrage a été réédité en 2024 sour le titre Lune froide sur Babylon (traduction littérale du titre original Cold Moon Over Babylon). C’est la version Pocket dont il sera question ici.
J’aurais pourtant dû m’en douter dès la quatrième de couverture. Le patelin s’appelle Babylone, la rivière Styx, il y est aussi question de serpents, v’là la symbolique surchargée qui mélange en vrac du mythe grec et du biblique. Menu bien lourd en perspective, qui ne promettait pas une digestion facile.
On y dit dès le premier paragraphe, de cette fameuse quatrième de l’angoisse, que c’est dans ce cours d’eau infernal que “fut retrouvé le corps de Margaret”. Au passé simple, comme si on rouvrait les archives judiciaires du temps jadis, alors qu’elle est tout ce qu’il y a de vivante au début du bouquin, donc que sa mort appartient encore au futur. Lointain, le futur, par-dessus le marché. En vérité, faut se farcir un gros tiers du roman avant qu’elle ne se fasse dézinguer. Et ce n’est qu’à la moitié du roman qu’elle commencera à jouer les revenantes d’outre-tombe, encore un truc que la quatrième te balance comme si ces fantaisies fantomatiques arrivaient vite, alors que non, du tout. La moitié du livre ! Arg…
Avant ça, on s’ennuie – après aussi, mais pas de la même façon. Cent cinquante page d’une interminable mise en place, une intro comak qui ne laissera qu’un espace réduit au développement de cette non-histoire. J’entends bien qu’on se situe dans un patelin peinard de cambrousse, pas une mégalopole trépidante et survoltée. J’entends tout autant que marécage et rivière au cours paresseux se marient bien avec un rythme lent, écrasé par la moiteur et la touffeur des lieux. Mais c’est pas lent, là, c’est long. Longuet. Longuissime. Et c’est mou, mais mou… Cette prose mollassonne donne au lecteur l’impression de pratiquer la copromancie après une gastro. Va prophétiser un avenir radieux avec un matériau pareil…
J’ai vu McDowell être comparé à Stephen King. Ben mon vieux, y en a qui doutent de rien… Alors oui, on peut, pour dire que le premier plafonne dix mille crans en dessous du second. Mais surtout pas une comparaison au même niveau. On a bien le bled paumé, avec sa petite vie en communauté, ses traditions pittoresques, sa galerie de personnages locaux, comme dans du King. OK. Squelette identique mais rien pour l’habiller, à part un manteau de brume qui s’évapore au premier souffle. Le tien, de souffle, un soupir d’ennui, parce que la plume de McDowell en manque cruellement. King peut te brosser des chapitres entiers sur sa petite ville américaine sans te donner envie de sauter les pages concernées. Ça et plus encore Bazaar en sont sans doute les meilleurs exemples. Il parvient ce faisant à donner de la vie à ses personnages, les principaux, les secondaires, les silhouettes, les relations de tout ce beau monde. Il donne du corps à l’endroit, bâtit un décor, un contexte, une ambiance. King crée un univers vivant quand McDowell pose un décor qui affiche ce qu’il est : un artifice théâtral de mise en scène. Dans Les brumes de Babylone, les descriptions des us locaux tombent à plat, comme si un extrait du Guide du routard venait s’insérer en plein milieu, comme ça, d’un coup, pif, paf, pouf. On sent que ces passages ne sont là pour raconter quelque chose de la ville mais qu’ils sont là parce qu’il faut les mettre pour donner l’impression de raconter quelque chose de la ville. Nuance qui fait toute la différence entre un récit et des rouages visibles de stricte mécanique d’écriture.
Les personnages, pas mieux que le cadre où ils évoluent, ou plutôt s’agitent, puisqu’aucun n’évolue à proprement parler – soit un énième défaut majeur d’écriture : des personnages figés ne présentent pas le moindre intérêt. Même vivants, ils ont la consistance d’ectoplasmes. Unidimensionnels, clichés – mention spéciale au méchant, une caricature digne d’un nanar hollywoodien de douzième zone –, et pire que tout, insipides. Jamais vu des protagonistes qui donnent aussi peu envie de s’intéresser à leur sort. Quoi qu’ils fassent, quoi qu’il leur arrive, on s’en tamponne le coquillard à plus pouvoir s’asseoir pendant une semaine. J’en suis réduit à écrire cette chronique debout…
Sans surprise, les dialogues sont à l’avenant des coquilles vides qui les débitent : médiocres, creux. Mais pas que, redondants aussi, avec des infos qu’on nous rabâche encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore. Hein, que c’est relou ? Ben voilà. Les brumes de Babylone, pareil, bourré de redites du début à la fin.
Quand on a survécu à cette première moitié de ce qu’on appellera avec indulgence un roman et qui ressemble plutôt à une novella délayée tant bien que mal avec les moyens du bord et rallongée en tirant à la ligne pour finir plus plus noyée qu’un volume de Ricard dans cinq litres de flotte, on se dit avec horreur qu’il va encore falloir une moitié de livre pour que le fantôme se venge.
Ouais, ça s’annonce long, les amis…
Ça l’est.
Tout l’arsenal des clichés y passe, des portes qui claquent aux traces humides de pas en passant par la silhouette vaporeuse qui se tient immobile au milieu de la pelouse. Peut-être que le fantôme veut faire crever son assassin d’ennui. Dans mon cas, la méthode a fonctionné. J’ai failli cramer le bouquin (mais vraiment, j’étais à deux doigts d’y foutre le feu, c’est pas une image).
Je ne m’attendais pas non plus à ce que ça décolle avec le versant outre-tombe, le démarrage aussi interminable qu’abominable, pour ne pas dire minable tout court sans préfixe, annonçait la couleur. Ou plutôt son absence. Récit en demi-teinte, intrigue translucide, enjeux transparents, on savait où on allait en termes de résolution : droit dans le mur, sans avoir la capacité d’un revenant à le traverser. Alors non, à ce stade, je n’avais plus d’attentes, mais je pensais quand même qu’avec les fantômes dans la course, on verrait peut-être s’amorcer un petit début d’embryon de vague soubresaut de quelque chose. Non. La suite est aussi barbante que le début, et on n’en verra pas le bout non plus, de cette ire spectrale qui n’en finit pas de se venger.
Le parfait flop de bout en bout. Rien ne fonctionne. Rien à sauver. Un roman horrible, ce qui n’en fait pas pour autant un récit d’horreur. Juste une horreur tout court.
N’espérez pas avoir peur, trembler, frissonner de terreur. Vos caleçons peuvent dormir tranquilles, on se positionne au niveau d’un épisode de Scooby-Doo, pas de quoi drouiller de trouille dans son froc. Parce que c’est ça, Les brumes de Babylone : les fantômes de Scooby Doo, sur un scénario de L’Agence Tous Risques avec le méchant banquier qui veut arracher sa terre au pauvre fermier travailleur, le tout servi par un casting de personnages falots qui ne dépareilleraient pas dans Les feux de l’amour. C’était déjà dépassé avant même de sortir en librairie sous nos latitudes : 1990 pour la version Pocket, quand toutes les références que je viens de citer remontent à la décennie précédente et étaient déjà considérées comme ringardes.
Sur ces bonnes paroles, je vous laisse, je vais arroser mes cactus.
