En mémoire du galion perdu de Gabriel…
Tout gamin, on avait eu pour un Noël avec mon frère le bateau pirate Playmobil. Par contre, on n’a eu aucun vaisseau Lego de la gamme Pirates, le budget parental alloué aux jouets n’étant pas infini. Ça ne nous a jamais manqué, on bricolait nos propres bateaux de bric et de broc avec les moyens du bord et vogue la galère.
Aujourd’hui, je suis adulte (en tout cas, c’est ce que dit mon âge, ma maturité n’est pas toujours du même avis) et si mon portefeuille ne dispose pas non plus des munitions infinies, mon pouvoir d’achat est quand même un cran au-dessus de celui de mes dix ans. J’ai donc pu investir dans un fameux trois-mâts, fin comme un oiseau, hissez haut. Pas un de quand j’étais petit mais plus tardif : le naviral amiral impérial sorti en 2010 sous la référence 10210 au catalogue Lego.
Vu ses coloris, ce navire semble inspiré de l’Hermione, frégate de la fin du XVIIIe siècle connue surtout pour avoir trimballé La Fayette jusqu’en Amérique. Trois mâts, vingt-six canons, trois cents hommes d’équipage, v’là le taxi tout en simplicité du bonhomme.
Le prix de la boîte est du même tonneau : entre 1500€ et 2000€ neuve et scellée, dans les 700-800€ d’occasion (on doit pas avoir la même définition du terme) et dans les 500€ si on veut la reconstituer en achetant les pièces détachées ici et là. Bienvenue dans un monde de droite…
Moi, je suis correcteur dans l’édition, pas actionnaire de Total, ce genre de tarif sous acide ne rentre pas dans mes moyens. Et même si je les avais, jamais je mettrais une somme pareille dans une boîte Lego de 1600 pièces.
Par bonheur, il existe un dieu pour les pauvres. Me demandez pas son nom, il s’écrit tout en pictogrammes et je ne lis pas le chinois. Toujours est-il qu’on trouve sur AliExpress un clone en briques génériques de ce navire vendu entre 50 et 70€ selon les périodes et promotions. Le mien m’a coûté 52 balles, TVA et frais de port compris. Et c’est le même, le foutu même bateau à la foutue brique près que certains tentent de fourguer pour vingt, trente, quarante fois cette somme.
En dépit de ce tarif très avantageux, je me suis pas mal tâté avant de sauter le pas. J’évite en général les sets avec de gros inventaires sur AliExpress, vu l’occurrence des commentaires “il manque des briques”, de quelques-unes à un sachet entier de plusieurs dizaines. En plus, sur ce coup-là, j’avais la trouille que le problème concerne des pièces spécifiques – coque, mâts, voiles, le genre d’éléments qui brillent par leur absence dans ma réserve de matos. J’ai donc jeté un œil avant sur Bricklink pour voir à combien se monterait un éventuel complément et le surcoût restait acceptable.
Bon alors, je me suis inquiété pour des prunes, y avait tout, rien ne manquait, no problemo.
Seul petit gag, deux couteaux de cuisine ne figuraient pas dans l’inventaire et avaient été remplacés par des couteaux de survie sur des plaquettes d’armes anachroniques. Voilà qui promet des pirates modernes, équipés de matraques télescopiques, grenades à fragmentation, pistolets automatiques et lampes-torches à piles.
Au casting de ce set, 9 figurines : l’amiral, sa fille, un sous-officier, quatre soldats, un marin, un capitaine pirate. C’est à la fois beaucoup (pour un set Lego), peu (pour représenter un équipage complet sur ce type de navire) et beaucoup bis (l’agencement mal foutu des lieux empêche de caser des tonnes de figs, on y reviendra plus loin).
Faudra ajouter quelques marins lambda pour la manœuvre ; quant à la troupe, si on veut utiliser les gaziers fournis pour canarder au mousquet depuis le pont, ce sera encore une poignée de bonshommes supplémentaires à prévoir comme servants pour les quatre pièces d’artillerie (voire deux poignées si on comble les trous dans les sabords, autre point sur lequel on se repenchera aussi le moment venu).
Je n’ai pas regardé le temps de montage, à vue de nez dans les cinq heures pour assembler les 1600 et quelques pièces de l’engin.
RAS niveau qualité de ce matériel générique qui vaut du Lego officiel. Pas de passage hyper technique, complexe, ni délicat, ça se monte tranquille. Je suis à peu près resté dans les clous de la notice sans apporter trop de modifications, hormis une paire de bidouilles cosmétiques mineures sur la dunette.
Dans un premier temps, on assemble la poupe, qui accueille les cuisines où rôtit un poulet à la broche. Ensuite, la proue, avec la cellule du prisonnier. Enfin, un fond de cale vient s’intercaler entre les deux. On enfile le tout et hop, la base est prête à accueillir le reste.
On monte les flancs du vaisseau, chacun percé de quatre sabords. Côté proue, un cabestan permet de baisser et lever l’ancre.
On arme le vaisseau avec les canons… avant de les enlever. Parce qu’ils sont munis de roulettes et posés sur une surface lisse. Donc, ils n’arrêtent pas de glisser à la moindre manipulation, ce qui devient vite relou. On les remettra à la fin.
J’avais dit qu’on reparlerait des canons, c’est maintenant. Petite déception quant à leur nombre. Huit sabords, quatre canons, la guerre à l’économie… Que ce soit Lego ou son cloneur chinois, qu’est-ce que ça coûtait d’ajouter quatre pièces d’artillerie pour que le compte tombe juste ? Est-ce que vous pensez que les artilleurs n’ont que ça à foutre de charrier des pétoires de plus d’une tonne et demie d’un bord à l’autre du bateau au gré des besoins ? Bref, faudra compléter l’arsenal en investissant dans quatre canons supplémentaires et prévoir du renfort pour manier les pièces. Vu l’espace disponible, une dizaine de figurines feront illusion (en vrai, le 12 livres nécessite une huitaine de servants, mais bonne chance pour caser une soixantaine de fous furieux de la canonnade dans la cale).
Pour préserver mes nerfs mis à rude épreuve par les canons tamponneurs, j’ai ajouté à l’arrière de chaque emplacement une tile modified 1 x 2 with bar handle (2432) pour caler les pièces et éviter les glissades.
On met en place le beaupré et la figure de proue, en l’occurrence un requin-scie.
C’est au montage de la section centrale avec les deux mâts et la première écoutille que je me suis vraiment rendu compte de la taille mousse du bestiau. Parce qu’il y a une seconde écoutille plus loin, soit une longueur plus grande d’un quart par rapport à ce que j’imaginais. Ne parlons pas de la hauteur vertigineuse cuminant à 62 cm.
Alors tant mieux d’avoir un énorme bateau pour une bouchée de pain. Mais j’avais pas prévu le stockage d’un mastard pareil.
Le plus drôle, c’est qu’il aurait fallu qu’il soit encore un chouïa plus grand. J’avais annoncé qu’on reparlerait de l’agencement foireux, on y est ! En effet, une seule rangée de tenons libres longe chaque côté du pont. Les figurines y tiennent face à la mer, par contre c’est plus compliqué de les orienter dans le sens de la longueur du bateau. Après, on a aussi de la place sur le pourtour des écoutilles, mais il aurait été plus inspiré de réduire la largeur de leur structure d’un tenon de chaque côté ou d’agrandir le pont d’autant à bâbord et tribord.
Deuxième écoutille et dunette avec la cabine de l’amiral. J’aime beaucoup la priorité du mobilier : un coffre, une table avec carte et carafe mais pas de chaise, un orgue (essentiel sur un navire de guerre), pas de plumard. Où dorment le boss et sa fille ? Mystère…
Sur cette cabine vient se poser un toit sans hussard dessus parce qu’il n’aurait rien à foutre là. À la place, la barre avec tout le nécessaire de navigation à portée de main (longue-vue et sextant).
À noter que toutes les parties restent dissociables du reste une fois la construction terminée : on peut soulever le toit pour accéder à l’intérieur de la cabine, idem chacun des deux tronçons de pont pour pouvoir tripatouiller dans la cale.
La notice hisse les voiles au fur et à mesure. Perso, je déconseille. D’une, les voiles arrivent pliées, donc vaut mieux les déplier et les laisser un moment sous une pile de bouquins pour les aplatir. De deux, des fois qu’il y aurait des trucs à bricoler entre deux (pièce oubliée à insérer ici ou là, modif maison ou simple manipulation pendant la suite du montage), on est emmerdé avec, à devoir faire hyper gaffe de ne rien décrocher, froisser, déchirer, abîmer. J’ignore la qualité des voiles en vrais Lego à l’aube des années 2010, celles du fabricant chinois sont en tout cas très correctes, mais ces éléments restent fragiles, accrochés en plus sur des structures délicates tout en vergues arachnéennes.
Faute de goût des plus graves, la seule de ce naviral impérial qui en jette, l’absence de nid-de-pie. L’élément me semble pourtant indispensable au réalisme pour pouvoir placer un guetteur (dont le destin sera de tomber de son perchoir pour s’écraser comme une merde sur le pont). J’y ai remedié et le fleuron de la flotte pourra connaître son lot de chutes tragiques comme tout navire qui se respecte.
En attendant d’étoffer l’équipage de marins, les premières recrues sont arrivées pour s’occuper de l’artillerie. Je suis parti sur du bicorne, qui me semble plus opti pour grenouiller dans la cale que les shakos classiques des troupes impériales. Quatre canons supplémentaires viennent armer les sabords vides.
Il ne reste plus qu’à hisser les voiles pour finaliser l’engin.
Le bestiau en impose avec ses 73 cm de long. Que ce soit la taille, la qualité, l’expérience de montage, en a largement pour son argent. En tout cas à 50 balles. À plus de 1000 euros, non. Ne mettez pas plus de 200, très grand maximum 300 balles dans un bateau comme ça. Au-delà, c’est du vol. Surtout que depuis que la firme danoise a lancé sa gamme Icons pour ressortir en les modernisant de vieux sets qui ont marqué leur temps, pas impossible qu’il soit réédité un jour, à un prix sans doute trop élevé parce que c’est Lego (entre 300-400 à mon avis) mais quand même moins fumé que ce que certains spéculateurs en demandent. Et si vous n’êtes pas trop fan du concept de clone à l’éthique douteuse, il existe tout un tas de navires originaux pas chers en briques chinoises qui n’ont rien à envier à leurs cousines danoises.
Je ne regrette pas mon petit investissement. Pour la somme, même un truc moyen serait déjà bien. Là, il est parfait. Pour un vieux modèle de près de quinze ans, il n’accuse pas trop son âge en termes de technique de construction. Il reste pas mal de tenons apparents sans que leur présence ne choque. Les maniaques de la patinoire pourront toujours tartiner de tiles pour lisser l’ensemble. L’avantage, c’est qu’il subsiste pas mal de possibilités pour personnaliser le vaisseau en s’appuyant sur les tenons disponibles, que ce soit sur le pont, la dunette ou dans la cale (cette dernière offre de quoi se faire plaisir pour peaufiner l’aménagement).