Après l’excellent SimulacreS en 1988, Casus Belli récidivait trois ans plus tard en sortant son second numéro hors-série, consacré celui-ci à la ville de Laelith, la cité du Roi-Dieu. Encore une fois, la qualité est au rendez-vous.
Plus de cent pages à se mettre sous la dent, ce qui représente beaucoup pour une seule ville… et peu en même temps, parce que la richesse de cet environnement urbain est telle qu’on aimerait continuer à parcourir encore et encore les descriptions de lieux d’intérêt et d’habitants hauts en couleurs.
En tous les cas, il y a de quoi faire avec le contenu de ce hors-série que j’avais évoqué tantôt à propos de la fantasy en milieu urbain. Assez de matière pour occuper des heures de jeu de rôle et assez de trous dans la raquette pour y ajouter vos touches personnelles (taverne louche, famille noble avec des secrets inavouables plein les placards, commanditaire douteux aux missions foireuses, trafics en tous genres…).
Classique dans sa construction, ce supplément commence par présenter les grandes lignes de la cité avant de partir pour une visite guidée de chaque quartier. Au sein de ces quartiers, quelques lieux marquants sont passés en revue et décrits en détail. Dans les marges des pages, des bonus descriptifs rapides de tel ou tel point, des citations d’œuvres fictives qui mettent dans l’ambiance et des inspis à foison, c’est-à-dire des pistes de scénarios pour mettre en scène les lieux dont vous êtes en train de lire la description.
Un maître de jeu rodé saura tirer un parti avantageux de tous ces bouts d’intrigues qui parsèment les marges. Un débutant, lui, risque peut-être de patiner à développer un scénar complet sur la base d’une seule phrase d’accroche. Cela dit, rien n’empêche d’utiliser ce bouquin pour démarrer, se servir dans un premier temps de la ville comme simple toile de fond ou base de repli pour le groupe de PJ, en arrière-plan des bons vieux scénarios d’escorte de marchands, défense d’un village voisin contre des brigands et exploration de ruines alentours. Et une fois que vous aurez pris de la bouteille et inventé une paire d’histoires un peu plus développées, revenir sur ces bribes d’idées égrenées dans les marges pour les développer à votre sauce.
À noter que ce hors-série propose un scénario complet, ainsi que la liste des scénars parus en encart dans la revue (9 dans Laelith même et 4 dans les provinces avoisinantes au moment de la parution de ce HS2). Faciles à trouver à l’époque, beaucoup moins de nos jours…
Née en 1985 dans le numéro 35 de Casus Belli, Laelith renvoie, sans surprise, à Donjons & Dragons, le jeu le plus populaire de ces temps jadis. Cela dit, dans cette version hors-série, qui regroupe diverses aides de jeu déjà parues dans le magazine étoffées de beaucoup de nouveautés, tout ce qui touche aux caractéristiques et points de règle est réduit à la portion congrue, de façon à pouvoir jouer avec n’importe quel système et intégrer Laelith dans votre univers de prédilection sans passer des plombes à devoir tout adapter.
Donjons & Dragons oblige, classique entre les classiques, on se situe dans un contexte fantasy qui l’est tout autant. Point fort, puisque terrain connu, autant que point faible, parce que pas renversant d’originalité. Cela dit, on peut à loisir moduler la ville. Apporter par exemple une touche steampunk en greffant une tour d’amarrage pour des dirigeables, comme on en trouve dans World of Warcraft ou Olangar est tout ce qu’il y a de faisable. Les romans de fantasy en milieu urbain regorgent de tonnes d’idées, que ce soit en termes de lieux, personnages ou intrigues susceptibles de trouver leur place à Laelith. J’ai cité Olangar de Clément Bouhélier, je pense aussi à tout ce qui tourne autour d’Ankh-Morpork chez Terry Pratchett et à la série Garrett, détective privé de Glen Cook. Pour des aventures orientées polar, ces trois auteurs vous fourniront des ingrédients on ne peut plus goûtus. Beaucoup de choses aussi à piocher chez Fritz Leiber et sa cité de Lankhmar, qui a vu naître la première guilde des voleurs de l’histoire de la fantasy.
En l’état de ce qui est fourni dans cet opus, Laelith parvient tout de même, sous ses airs classiques, à afficher une identité propre. On n’est pas juste sur de la ville générique, le machin posé au beau milieu d’une plaine avec un rempart autour. Laelith a la particularité d’avoir à sa tête un Roi-Dieu et d’être une ville de pèlerinage pleine de temples. Bâtie sur un relief escarpé, qui plus est traversée par une faille, son agencement doit beaucoup à la topographie, utilisée avec intelligence par les concepteurs de Casus pour justifier la délimitation entre les différents quartiers de la cité. On a au final une ville en terrasses, où bien sûr plus on monte vers les hautes sphères, plus il y a d’argent, genre de ruissellement à rebours assez proche de la réalité où le pognon ne descend pas vers ceux qui en ont besoin mais remonte vers les fouilles des accapareurs de richesse qui en possèdent déjà plus qu’il ne leur en faut.
Dernier détail et non des moindres à propos de la géographie, une carte en couleurs format A2 est fournie avec d’un côté l’ensemble de la région et de l’autre le plan de la ville.
J’ai ouï-dire que plusieurs versions de Laelith ont vu le jour par la suite :
– une version “20 ans après” sortie sous la forme d’un hors-série en 2000, qui semble avoir déçu plutôt qu’autre chose ;
– une version 30e anniversaire parue chez Black Book en 2021, qui a l’air plutôt pas mal d’après les avis que j’ai pu en lire, sans atteindre pour autant l’enthousiasme de la première version.
Je n’ai pratiqué ni l’une ni l’autre, je ne pourrai donc vous en dire plus que ces vagues impressions à partir d’une poignée restreinte de sources.
En tout cas, la version d’origine était un must en son temps, elle l’est toujours à mon sens. Si vous pouvez la trouver sur une braderie ou un site de vente d’occasion, n’hésitez pas à vous jeter dessus. Après, n’y mettez pas non plus des fortunes. Le magazine valait 40 francs à l’époque, soit 6€ en conversion brute, et même en tenant compte de l’évolution de la valeur de l’argent depuis lors, ça vaut le coup d’y mettre 10-15 balles grand maximum, pas davantage à moins d’être un collectionneur fou pété d’oseille.
