La maison interdite
Dean R. Koontz
Pocket Terreur
Avec Koontz, on n’est jamais déçu. En tout cas quand on sait à quoi s’attendre. Dès lors qu’on a cerné l’écriture du bonhomme (cf. mes chroniques de Fièvre de glace et Le masque de l’oubli), c’est toujours la même chanson : une bonne prémisse gâchée par l’ajout de couches successives de clichés, de facilités d’écriture, d’éléments sortis de nulle part pour mieux y retourner faute d’être exploités, tout ça pour arriver à un improbable final WTF qui ferait passer les pires trips sous LSD pour d’aimables rêveries.
La maison interdite n’échappe pas à la règle. Ça aurait pu être un bon roman, dans un esprit assez proche de Stephen King. Mais non. C’est un bon gros nanar des familles.
On ne peut pas nier à Koontz d’avoir des idées. Les exploiter en aval, c’est déjà moins son rayon. Quant à les trier en amont, il ne sait pas faire, le gars case tout ce qui lui vient. Sauf qu’écrire un roman, c’est comme cuisiner, tu mets pas tout, sinon la tambouille vire au gloubiboulga.
Il est bon aussi dans la description des scènes d’action. Quand il se passe quelque chose, ça va. Même si là aussi, on peut regretter une écriture trop visuelle, qui lorgne sans cesse vers le cinéma. Koontz confond souvent les deux formats, or ce qui marche sur un écran ne fonctionne pas toujours sur le papier, et vice-versa. L’écriture d’un roman et d’un scénario de film partagent beaucoup de points communs, il n’en reste pas moins que les codes narratifs ne coïncident pas à 100%, puisqu’on parle de deux médias différents, chacun avec son langage et sa mécanique propres. ‘Fin bref, si l’écriture koontzienne assure plutôt bien en termes de dynamique de mise en scène, on n’en dira pas autant des éléments qu’il convoque avec une tendance à faire la part belle aux clichés. Comme le final de La maison interdite qui se déroule “bien sûr” la nuit pendant un orage, histoire de bien marquer la tension dramatique… ou de la foirer bien comme il faut avec cet artifice grossier. On en dira autant des manifestations du pouvoir psychique d’un des personnages, qui s’agrémentent de lumière bleue. Pourquoi de la lumière ? pourquoi bleue ? d’où ça sort ? à quoi ça sert ? À rien. Juste c’est joli et ça rendrait bien à l’écran. Mis à part 1) qu’on a déjà vu le truc mille fois et 2) qu’on n’est pas devant un écran. En résumé, Koontz n’écrit pas de romans, il te raconte la novellisation du film qui aurait pu être tiré de son roman. Il ne faut jamais écrire une histoire en passant à sa possible future adaptation, sans quoi le résultat sera à côté de la plaque (cf. les derniers tomes de Harry Potter où on sent clairement que J. K. Rowling a conçu certaines scènes en ayant en tête ce qu’elles donneraient au cinéma, sacrifiant la narration au spectacle).
À l’inverse, quand il ne se passe rien, Koontz est à la ramasse. Les dialogues sont piteux, naïfs, convenus, creux… La psychologie des personnages est taillée à la serpe, avec des protagonistes basiques, monolithiques et prévisibles. Des gentils bien définis comme tels, des méchants de carnaval très, très méchants, zéro nuances de gris. Ne parlons pas entre deux scènes d’action de ces blablas interminables à s’appesantir sur des trucs évidents qui tiennent en deux phrases mais que Koontz t’explique sur un chapitre entier avec plein de détails, tout bien expliqué en mode didactique comme si t’avais cinq ans.
V’là le schéma général du bousin.
Or donc, on découvre Franck Pollard, un type qui se promène avec un sac plein d’oseille et se retrouve poursuivi par de la lumière bleue qui fait éclater une par une les ampoules des lampadaires dans une rue (premier cliché ciné au bout de quelques pages, bravo).
En plus d’être poursuivi par une invisible entité, dont il sait qu’elle est maléfique parce que… euh… parce que c’est marqué dans le scénario qu’il le sait, Franck est amnésique.
L’amnésie, cette fausse bonne idée de narration… Le concept a l’air attractif sur le papier. En tant qu’auteur, tu te dis que le lecteur découvrira le personnage au fur et mesure que ce dernier se redécouvrira lui-même. Pis, s’il y a des trous dans ta trame, osef, c’est normal, le perso a lui-même une mémoire à trous, la bonne excuse toute trouvée. Sauf que… Déjà, l’amnésie a été utilisée trois mille milliards de fois dans la littérature, la BD, le cinéma, la télé, les jeux vidéo, tous les formats possibles, donc bonjour l’originalité. En plus, si tu t’en sers juste comme d’une astuce narrative de facilité pour poser des bouts d’intrigue à chaque souvenir qui revient comme par hasard au bon moment, ça se voit comme le nez au milieu de la figure que tu te foules pas. L’amnésie a l’air simple, elle est en réalité très difficile à bien manier dans un récit, où elle doit servir à quelque chose (i.e. le film Memento), pas servir de pansement aux lacunes de tes facultés de narration.
Pour essayer de comprendre ce qui lui arrive, Franck s’adresse aux époux Dakota, un couple de détectives privés. Ils ont droit à une des plus présentations de l’histoire de la littérature, une des plus inutiles aussi, à travers une de leurs enquêtes qui tourne à l’affrontement au fusil d’assaut, puis à l’interrogatoire à la Jack Bauer. La mise en bouche n’en finit pas, sans construire grand-chose des Dakota.
Tout ça pour nous présenter madame Dakota comme une femme hyper badass qui dégomme les méchants avec un Uzi dans chaque main et n’hésite pas à leur soutirer des informations en menaçant de leur crever les yeux. Pourquoi pas ? Une héroïne qui tabasse, OK. Par contre, je me pose une question : pourquoi elle ne fait plus du tout ça pendant les 400 pages suivantes ? Elle se contente d’enquêter, tranquille, pas plus remuante que miss Marple, qui ne représente pas ce qu’on pourrait appeler le sommet du punch et de la badasserie. Monsieur Dakota aime quant à lui balancer des vannes, même et surtout quand ce n’est pas le moment. Pourquoi pas aussi ? Sauf que ce trait ne fonctionne jamais. Au lieu de créer un décalage comique, on a juste l’impression d’un gars à côté de ses pompes qui lâche des répliques random dont on se demande ce qu’elles viennent foutre là. Du pur absurde.
Les Dakota sont par ailleurs fans de musique rock des années 50 et vas-y que, grand gimmick d’écriture à l’époque (le roman date de 1990), je te tartine une demi-page pour parler de tel ou tel morceau. Tirage à la ligne gratuit, utilisé par je ne sais combien d’auteurs, encore un cliché. On n’en a rien à battre de ce foisonnement de détail de leurs goûts musicaux. D’autant que ce trait ne définit pas plus les personnages que ça, puisqu’il ne revient jamais par la suite. On en dira autant de leur amour pour les films classiques de Disney au point de tartiner d’affiches les murs de leur bureau. Rien qu’un élément artificiel pour donner des traits distinctifs aux Dakota, le plus WTF possible, mais qui ne sert à rien. Une fois la présentation passée, plus question de Disney, un élément qui n’a aucun intérêt pour l’intrigue et qui ne bâtit rien de l’identité des personnages.
Koontz ne sait pas construire ses protagonistes, c’est tout ce qui en ressort.
Il ne sait pas non plus les utiliser, puisque Franck, à partir de sa rencontre avec les Dakota, passera au second plan jusqu’à disparaître pour que l’auteur puisse se focaliser sur les héros qui lui importent, les Dakota. Négliger le perso de Franck, grosse erreur d’écriture, une de plus…
À la place, on aura droit à d’interminables longueurs sur des personnages secondaires qui ne servent à rien. On peut les enlever de l’histoire, la trame générale ne change en rien. Idem la plupart sinon la totalité des scènes du grand méchant de l’histoire. Alors OK, faut bien parler de lui un peu, mais là il s’offre des chapitres entiers dont on ne voit pas le bout pour ne pas faire ni raconter grand-chose. La moitié du bouquin pourrait dégager sans qu’on y perde quoi que ce soit.
Le casting le plus inutile de l’histoire et sans doute un des plus barrés. Passons sur les acolytes des Dakota, tout droit sortis d’une série télé, donc aussi hétérogènes que possibles, avec les looks et les tronches les plus marquantes possibles, mais des rôles insipides et une utilité toute relative. Penchons-nous plutôt sur l’obsession du handicap qui traverse tout le bouquin dans des proportions inédites (hors manuels de médecine consacrés au sujet). La femme d’un des sbires des Dakota est muette. Elle pourrait bien ne pas l’être. Elle l’est. Pourquoi pas ? Pourquoi ? Un trait caractéristique qui en vaut bien un autre, elle aurait pu être borgne, unijambiste, valide… À noter qu’il s’agit de la seule handicapée dépourvue de super-pouvoir. Là aussi on peut se demander pourquoi elle puisque tous les autres en ont. Bref.
Franck l’amnésique est capable de se téléporter dans l’espace mais aussi dans le temps. Ce dernier point fait à un moment tourner le roman vers la SF, prendre une direction pleine de promesses qu’on n’attendait pas… pour n’aller in fine nulle part, puisque ce ne sera jamais exploité et que la SF repartira vers le néant. Son frère Candi est un sociopathe asexué buveur de sang qui a le don de télékinésie-qui-fait-de-la-lumière-bleue (ouais, ça fait beaucoup d’info à assimiler d’un coup) et au bout d’un moment il peut se téléporter parce que le scénario le requiert (petite incohérence au passage, vu qu’il en était incapable au début du roman). Les frangins ont deux sœurs autistes avec des tendances limite zoophiles, qui passent leur temps à se tripoter l’une l’autre et peuvent envoyer leur esprit dans celui d’un animal pour en prendre le contrôle. Sacrée famille !
Et là-dessus ajoutons Thomas, le frère de madame Dakota, un trisomique télépathe qui passe la moitié du roman à annoncer que “le Mauvais arrive”. Ben il doit venir de loin pour mettre autant de temps à se pointer…
V’là le casting de l’espace. Je vais passer sur le cliché récurrent en fiction des personnages dont le handicap est compensé par un super-pouvoir. Perso, je suis autiste, je ne me téléporte pas, je ne lis pas les pensées, je ne peux pas devenir invisible, je n’ai pas d’yeux laser, je suis tout ce qu’il y a de normal. Au-delà du cliché, le problème vient surtout de l’inutilité de ces personnages ou de leur mésemploi. Les deux frangines biclassées druidesses/autistes ne servent à rien d’autre que caser un érotisme incestueux des plus glauques, certes pas sans lien avec leur passé familial mais l’insistance de Koontz sur la question est trop lourdingue pour ne pas être avant tout de la putasserie. Thomas, zéro utilité aussi, puisque le Mauvais viendra, qu’il l’annonce à longueur de chapitres ou pas, donc c’était pas trop la peine de bourrer le texte de longueurs pareilles. Il n’est présent que pour sa fonction de personnage à pathos chargé de susciter la pitié du lecteur.
Résultat, rien ne fonctionne, presque rien ne sert à quelque chose. Le roman met un temps fou à décoller. Faut attendre la page 123 pour que Franck rencontre enfin les Dakota, la page 210 pour que son pouvoir de téléportation se manifeste. Et ça traîne, et c’est long, et c’est répétitif au bout de la énième scène avec Candi qui ressasse la même chose, ou les jumelles qui ressassent la même chose, ou Thomas qui ressasse la même chose. Certains chapitres concernant ces sous-personnages pourraient être intervertis entre eux, le déroulement de l’intrigue ne s’en trouverait pas modifié, c’est dire s’ils ne racontent rien d’important, voire rien du tout.
À cent pages de la fin, quand la comédie du tirage à la ligne a assez duré, le rythme s’accélère pour boucler l’histoire. Sans raconter grand-chose de plus. Je ne vais pas spoiler ici les péripéties diverses et variées, elles sont de toute façon prévisibles et n’apportent rien que le quota d’hémoglobine requis pour du thriller d’épouvante. Les révélations finales ne révèlent rien qu’on ne sache déjà ou qu’on n’ait deviné, on prend au moins plaisir à voir un Koontz en roue libre totale s’enfoncer sans limites, repousser le délire toujours plus loin comme un sale gosse dont on devine qu’il est content de lui, fier de sa trouvaille… mais qui n’a en vérité pas inventé l’eau chaude comme il semble le croire (Robert A. Heinlein dans sa nouvelle Vous les zombies avait déjà exploré le truc bien avant – en 1959 – et à un bien meilleur niveau d’écriture).
Koontz ne fait montre dans La maison interdite que d’un seul talent. À deux ou trois reprises, il parvient à te faire croire qu’à partir de là il va t’emmener dans une direction originale et raconter quelque chose d’intéressant (voire quelque chose tout court vu que l’essentiel du texte est constitué de vide logorrhéique).
Le reste, soit environ 400 pages sur les 476 du bouquin, est un manuel de tout ce qu’il faut éviter dans la rédaction de fiction, donc un très bon bouquin si on est auteur, genre de boussole qui indiquerait le sud et te pousse dans l’autre direction. Clichés, incohérences, longueurs, facilités d’écriture, fusillade gratuite, amnésie, lumière bleue, personnages sous-exploités, idées pas menées à terme, caractérisation ratée des protagonistes, bref tous les ingrédients pour torpiller une bonne histoire en faisant n’importe quoi n’importe comment.
Merci Dean, pour cette grande leçon d’écriture.