Kaamelott
Tome 9, Les Renforts Maléfiques
Alexandre Astier (scénario) & Steven Dupré (dessin)
Casterman
Particularité de ce tome 9, il fonctionne en diptyque avec le numéro 8, L’Antre du Basilic… que je n’ai pas lu. Pas un mal au fond, ça m’a permis de vérifier si ce que disait Astier en interview était vrai, à savoir qu’on pouvait attaquer Les Renforts Maléfiques sans avoir lu le volume précédent, comme on peut le faire avec certaines aventures de Tintin. On peut tout à fait se lancer dans Le Trésor de Rackham le Rouge ou On a marché sur la Lune, sans avoir mis le nez respectivement dans Le Secret de La Licorne et Objectif Lune.
Et ça marche ici. En démarrant Les Renforts Maléfiques, on prend le train de la quête en marche et on sent bien qu’il s’est passé des choses avant. En ignorer le détail n’empêche pas de profiter de cette aventure, on peut très bien reconstituer mentalement le parcours antérieur de la clique chevaleresque. Comme pour Il faut sauver le soldat Ryan qui, passé sa scène d’ouverture contemporaine, lance le spectateur direct sur les plages de Normandie en plein D-Day sous le feu ennemi. Y a pas de nécessité d’avoir un film complet avant pour te raconter la période 1939-1944, les préparatifs du Débarquement et le trajet à travers la Manche. Tu devines, tu construis ce cheminement dans ta tête, tu recrées sur la base de tes connaissances de la Seconde Guerre mondiale. Kaamelott en BD, pareil. On ne part pas là-dedans sans connaître déjà la série télé. À partir de là, on peut réinventer son propre tome 8 en imaginant la réunion farfelue autour de la Table Ronde pour annoncer la quête ou encore le trajet dans les souterrains pleins de mobs qui offrent l’occasion à Bohort de chier dans ses caleçons et au duo Perceval-Karadoc de déployer leurs techniques de combat débiles.
L’histoire elle-même fait la part belle aux thématiques de la pause et de la claustration. Les personnages prennent le temps de prendre le temps, bon gré mal gré, au rythme de leurs enfermements. Cette temporalité étirée sur la longueur, avec ses phases de frénésie et d’attente, est inscrite dans les gènes de Kaamelott, entre soubresauts des sorties et délais d’attente de plusieurs années entre chacune d’elle.
Prison magique, gêoles de donjon, jusqu’à se retrouver prisonniers sous leurs propres casques pour éviter le regard mortel des basilics, les personnages sont souvent enfermés. Et on sait qu’Astier n’aime pas être enfermé. Suffit de voir les évolutions des épisodes de Kaamelott, dans la durée, le format, le ton, le narration pour s’en convaincre. Sans parler à une échelle plus globale du parcours d’Astier, virevoltant entre théâtre, ciné, télé, animation, spectacle, musique, astrophysique, et cetera, et cetera. Impossible de rentrer moins que lui dans une petite case étriquée (cocasse quand on parle de BD). Et en même temps, un Astier coincé par la mention “fin de la première partie” à la fin de L’Antre du Basilic, obligé de donner suite.
Ce qui donne du bon et du moins.
Tout ce qui est dessin, découpage, dialogues, rien à redire. Les temps de pause, surtout celui de la geôle magique, c’est bien pensé.
Mais l’ensemble manque de tension. Dans L’Armée du Nécromant, les faux périls ne mettaient pas en danger les personnages – on sait qu’ils vont survivre – et ça fonctionnait à travers l’approche décalée et parodique de l’invasion de morts-vivants. Ici, les dangers sont plus sérieux – un basilic, ça ne pardonne pas – et la confrontation est davantage amenée sur un mode premier degré qui fonctionne moins en termes de tension dramatique avec des protagonistes destinés à survivre quoi qu’il arrive.
Reste le cas de la guerrière, dont je ne sais trop quoi penser. Pas assez de consistance, pas très bien utilisée… Sa présence ressemble à un clin d’œil de rôliste : on dirait un de ces PNJ random que le meneur de jeu sort de sa manche pour les besoins du scénario, sans cacher que cette intervention n’obéit qu’à un mécanisme de ressort narratif. Le statut de PNJ de la donzelle est pour ainsi dire écrit noir sur blanc et en même temps pas assez appuyé dans les scènes pour marquer le jeu sur certains codes du JdR.
À l’arrivée, lecture agréable à travers ses choix d’écriture intéressants, pas impérissable à cause de ses petits défauts.