Éloge de la fessée – Jacques Serguine

Éloge de la fessée
Jacques Serguine

Folio

Un titre pareil, on s’attend à un bouquin qui va frapper fort et rester dans les annales. Perdu, il ne s’agit que d’un oubliable coup des pets dans l’eau.

Éloge de la fessée Jacques Serguine Folio

Bon point pour l’auteur, il ne nous délivre pas ici une vibrante apologie de l’éducation au knout ni un manuel pratique de violence domestique. C’est la seule qualité de ce livre.
L’objet du propos est la fessée érotique, considérée ici comme pratique mutuellement consentie par les partenaires, où l’idée n’est pas d’infliger la douleur en y allant à fond les manettes. Faire plaisir et se faire plaisir…
Alors que cette lecture n’en est pas du tout un, de plaisir.
De mon point de vue, la fessée érotique, oh oui ! La pratique demande entre les deux parties de la confiance (surtout pour la personne qui est cul nu), du dialogue (pour fixer les limites), du respect de l’autre (pour rester dans lesdites limites, s’arrêter quand on dit “stop”) et un mélange d’écoute et de feeling (pour sentir quand c’est trop/pas assez).
Voilà, le topo tient en quelques lignes. Je pourrais développer sur deux copies doubles et ce serait suffisant, on aurait fait le tour complet du sujet. Pas besoin de tartiner une centaine de pages, mal qui plus est. Parce que la vache, ça pique pire qu’une torgnole balancée avec trois mètres d’élan !

L’ensemble est on ne peut plus brouillon, mi-essai, mi-autobiographie, mi-guide pratique. Trois moitiés, c’est trop. Surtout qu’elles sont entremêlées au petit bonheur. Cette prose indomptée n’a su se montrer capable de mélanger les trois facettes tout du long, comme c’est le cas dans L’art de la fessée de Manara et Énard, un ouvrage d’une autre trempe qu’on préfèrera de loin à ce poussif éloge.
D’après le découpage, on aurait dû se situer sur de la dissert’ classique avec un plan canonique en trois parties : I) la théorie, II) le manuel pratique, III) étude de cas à travers l’expérience de l’auteur. Choix scolaire peu audacieux mais qui a le mérite de la clarté et d’une organisation aussi carrée que la partie du même nom. Sauf que le plan de bataille est parti en sucette et l’assaut a tourné à la déculottée. Le propos s’éparpille dans tous les sens, un vrai fourre-tout qui s’oriente dans une direction, une autre, revient sur ses pas, repart, va et vient sans trop savoir sur quel pied ni quelle fesse danser. Une espèce de partouze argumentaire qui bande mou faute de savoir où creuser son trou pour développer tel ou tel point de son sujet. Ici ? là ? ailleurs ?
L’anarchie amène une foule de redites et sans elles, on se rend compte que l’auteur n’a qu’une pratique somme toute limitée du sujet, puisqu’il revient toujours sur les mêmes expériences, peu nombreuses. Assez de doigts sur une main pour les compter, v’là l’expert… On finit par se demander dans quelle mesure il écrit à partir de son vécu ou s’il raconte des fantasmes qu’il n’a jamais pu mettre en œuvre. Peut-être que c’est vraiment vrai pour de vrai, tout ce qu’il raconte, mais rien ne sonne concret – ou trop, dans certains cas, on y reviendra –, intellectualisé pour devenir pure abstraction, vers l’infini de l’éther et au-delà…

Sur le fond, le gars avait annoncé un éloge. Quand il te parle du comment, c’est toujours sur le mode de la négation. Alors sur certains points, j’entends bien (ne pas y aller comme un bourrin, ne pas infliger la souffrance), mais le reste ? La personne fessée ne doit pas être habillée ni tout à fait nue. Et pourquoi ça, mon Jacquot ? C’est ton avis, ton fantasme, OK, mais tout le monde ne partage pas le même. Et il en a toute une liste comme ça, d’interdits et d’obligations, “on doit”, “il ne faut pas”, que de l’affirmation gratuite qui n’engage que lui parce que c’est sa vision des choses, ce qui l’excite, lui. Petit rappel, un éloge, c’est “pour”, hein, si tu ajoutes des tonnes de “contre”, ça tue le concept. Et l’idée de l’éloge, c’est de donner envie, tant qu’à faire au plus grand nombre, donc voir un peu plus loin que le bout de son nez ou de queue.
En plus d’une kyrielle de règles à suivre, vas-y que je te liste tout ce qu’il faut pour une soirée pan-pan cul-cul réussie. Telle lingerie, tel jour de la semaine, limite si t’as pas la couleur idéale de moquette en prime, tous les détails réglés au poil de fion, aussi glamour qu’une check-list dans une cabine de pilotage, à vérifier les phares, les volets, le réservoir, l’altimètre, l’astéro-hache, les trains, les arrière-trains… L’ambiance la moins excitante du monde… À côté, même un épisode de Derrick passerait pour le summum du olé-olé. Trop concret, pour le coup, à en devenir terre-à-terre. Où sont la fantaisie ? la spontanéité ? le plaisir ? Aux abonnés absents (voire “dans ton cul” pour rester raccord avec le sujet).
Décrit par Serguine, on dirait moins un cadre qu’un carcan. Si pointu et précis à propos de chaque élément que, sur ce plan aussi, on se demande dans quelle mesure il exprime un vécu ou un fantasme inassouvi, construit des années durant, à accumuler des couches et des couches de scénarisation et de détails. Détails, qui lui plaisent à lui, s’éloignant là encore de l’éloge pour virer sans s’en rendre compte à la confession du maniaque bourré de TOC. Voire à la profession de foi qui ne prête pas à discussion, vu comment les passages sur les travaux pratiques sont bourrés d’esprit “hors cette manière de faire, point de salut”. Dans un cas comme dans l’autre, ça donne pas envie.

Et comme si cela ne suffisait pas, il faut s’enfiler le machin en apnée. Chaque phrase est une ode au Grand bleu. Des phrases interminables à rendre Proust jaloux. Le gars est capable de te mettre dans une seule phrase l’éventail complet de toutes les subordonnées qui existent dans la grammaire française. Un paragraphe, quinze lignes, une phrase… Un paragraphrase.
Le style le moins excitant qu’on puisse concevoir, capable de faire passer ta libido de cent à zéro en trois secondes, le degré zéro du désir et de la sensualité. Éloge de l’asphyxie…

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