Pete, Henry, Jonesy et Beaver font des prouts dans une cabane au fond des bois. Ces quatre garçons dans le vent vont se trouver confrontés à une menace extraterrestre…
Bienvenue dans Dreamcatcher, une histoire qui prend aux tripes. À sa façon particulière…
Dreamcatcher
Stephen King
Le Livre de Poche
Après un grave accident qui a failli l’envoyer ad patres, l’increvable Stephen King passe sa convalescence à pondre Dreamcatcher. Pas une bonne idée, il aurait mieux fait de se reposer – ce qui est le but d’une convalescence, dommage d’avoir perdu ce détail de vue. La douleur (dont King parle dans ses remerciements en fin d’ouvrage) et les antidouleurs (dont il ne dit pas un mot) ont pesé de façon perceptible sur l’écriture de ce roman. Certains passages hors sol, où les personnages rêvent pour ne pas dire qu’ils délirent à plein tube, sentent bon les opioïdes. Alors, Stevie, je lui jette pas la pierre, parce que je sais ce que c’est, étant moi-même sujet à des douleurs lombaires chroniques assez aiguës pour devoir taper dans le haut de la pharmacopée, bien au-dessus du gentil paracétamol. Par contre, son erreur, c’est d’avoir voulu aller contre la douleur et les médocs, sans avoir l’humilité de reconnaître que quand on est défoncé, on peut pas bosser, en tout cas pas bien.
Voilà ce qui arrive quand on pèche par orgueil, on accouche de Dreamcatcher. Et Dreamcatcher, il est tout pourri comme livre. Et le film aussi d’ailleurs.
Près de 900 pages en poche, dont une grosse moitié pourrait dégager sans qu’on y perde quoi que ce soit.
Le démarrage est long, au-delà de toute mesure, d’autant plus qu’il ne sert à rien. Une info, dans un roman, doit être utile. Elle doit nourrir le texte, apporter quelque chose à l’intrigue, aux personnages, à l’univers et/ou à l’ambiance. Sinon elle n’a pas lieu d’être. Aussi simple que ça.
Or, ici, King tire à la ligne. Il met en scène une bande de quatre potes d’enfance lors de leur partie de chasse annuelle. Le premier tiers du roman va consister pour l’essentiel à nous déballer leur biographie dont la plupart des éléments n’ont aucune utilité. Ça ne sert à rien de pondre des chapitres entiers de détails censés construire les personnages et leurs relations si en contrepartie tu perds l’intérêt du lecteur, assommé par la quantité d’informations, surtout quand ces dernières relèvent en majorité du hors-sujet. Prendre son temps pour installer ses protagonistes, créer une attente chez le lecteur en différant le moment où tu entres dans ton sujet, ces procédés ne fonctionnent que jusqu’au moment où le lecteur se demande : “quand est-ce que ça va démarrer ?” et là, ça doit démarrer, dès le mot suivant. Pas cent cinquante pages plus tard.
Tout ce blabla introductif interminable a d’autant moins de raison d’être que King nous ressort une tambouille qu’on connaît : la bande de copains, le rapport à l’enfance, le secret qui les lie et qu’ils traînent depuis des années, les forêts du Maine, les allusions aux autres œuvres de l’univers étendu de Stevie… Du déjà vu délayé et étiré à l’envi.
Les deux tiers suivants souffriront du même travers logorrhéique. Les personnages rêvent beaucoup, souvent, ils passent aussi beaucoup de temps enfermés dans leur propre tête. Avec pour résultat des envolées oniriques sous acide, des passages à la fois imbitables, ennuyeux, inintéressants, inutiles… On sent bien l’influence des médocs sur l’écriture. Et encore, c’est presque pas la faute de King. La vraie question est surtout : pourquoi son éditeur n’a réalisé aucune direction littéraire sur le texte ? Ouais bon, il aurait fallu retravailler la totalité du manuscrit, mais ça n’empêche, c’est son boulot d’éditeur. Après, c’est sûr, pourquoi se casser la tête quand on sait que le bouquin se vendra sur le seul nom de l’auteur, peu importe qu’il soit bon ou mauvais ?
Sauf que c’est pas avec ce genre de raisonnement que tu gagnes des nouveaux lecteurs et tu risques même d’en perdre d’anciens à force de te laisser pousser un poil dans la main à faire pâlir Raiponce de jalousie. Perso, les King, avant les années 2000, je les achetais et lisais tous. Passé quelques déceptions (Dreamcatcher, justement, Cellulaire, Peur bleue…), j’ai arrêté les frais. Sur l’ensemble de ses titres publiés ces vingt dernières années, la moitié, je les ai pas, et la moitié que j’ai, c’est pour l’essentiel des bouquins qu’on m’a offerts (et sur lesquels je ne me suis pas précipité pour les lire). Ite missa est.
À part raconter la vie de ses protagonistes, Dreamcatcher essaye (et loupe le coche) de t’embarquer dans une histoire d’invasion extraterrestre. Après le fleuve des Tommyknockers, est-ce que King avait encore besoin d’écrire sur le sujet, pas sûr.
Ces aliens présentent une particularité, censée constituer le sel du roman pour se borner à n’en être que les selles. Plutôt qu’une infection à base de morsure, piqûre, ingestion ou fécondation, ils se glissent dans ton cul. Cette infestation comme on n’en croise pas tous les jours donne lieu à d’incroyables et pléthoriques séances de pets. On n’avait pas vu ça depuis La soupe aux choux. Et ça ne manquait à personne.
Dreamcatcher relèverait de la comédie ou de la parodie, on se dirait pourquoi pas. On sait les Américains friands d’humour pétomane et scatologique, omniprésent dans les teen movies (American Pie, Sex Academy, American Party…). Moi, la scatologie, je suis bon client. Pour peu que ce soit bien fait (i.e. certains passages de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit). Là, on a juste droit à des gros prouts qui sentent très, très fort. À tous les niveaux, ce roman pue du cul. C’est même marqué dedans.
Ce détail mis à part, les extraterrestres de Dreamcatcher n’ont rien de spécial. D’énièmes vilains aliens lancés dans une énième invasion de la Terre.
Leur méthode peu commune pour prendre leurs quartiers chez leur hôte pourrait être exploitée au-delà du pipi-caca-prout. Elle ne le sera pas, ne restant qu’au stade de l’anecdotique et du pittoresque. Pourtant, avec quatre bonshommes, entre mecs, à la chasse, soit un contexte plein de testostérone, un creusement thématique pouvait être développé autour de la virilité et du rapport des hommes à leur trou du cul, ce sacro-saint sanctuaire impénétrable sous peine d’y laisser son identité masculine. Y avait de quoi dire sur l’angoisse masculine de la pénétration anale qui te ravalerait au rang de sous-homme, héritée d’une éducation de genre qui n’a aucun sens, une pure construction culturelle foireuse. Alors non, à la place on aura des concours de pets. Des hommes, des vrais. Un auteur, un bon. Ou pas…
Pas grand-chose à sauver de cette histoire d’alien qui abonde en scènes téléphonées. La version rectale d’E.T. veut infester la zone à grande échelle en se répandant dans un réservoir d’eau. La méthode se tient, même si pas originale. À partir de là, course poursuite pour savoir si les méchants atteindront leur but, si les gentils parviendront à les arrêter. Enjeux vus et revus… Y arrivera, y arrivera pas ? Suspens qui n’en est pas un, on se doute bien que la Terre sera sauvée in extremis, comme à chaque fois. Là-dessus, habituelle course contre la montre pour savoir si l’hôte survivra assez longtemps pour que son locataire atteigne l’objectif. Tout aussi habituelle, la lutte mentale entre l’infecté et son parasite qui se bagarrent pour la possession du territoire. Un corps pour deux, sûr qu’ils doivent se sentir à l’étroit.
Encore une petite couche de cliché par-dessus avec les éternels militaires qui sont là parce que c’est écrit dans le scénario. Caricaturaux au possible avec leur credo “tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens”, la palme revenant au colonel Kurtz. Oui, mêmes nom et grade que celui d’Apocalypse Now, film inspiré d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Seul change le prénom, Abraham, à la symbolique évidente (très biblique, Sodome et Gomorrhe, sacrifice d’Isaac, tout ça, tout ça). Sauf qu’il est bien difficile pour King de se réclamer d’un héritage aussi prestigieux après le festival pétomane dont il nous a gratifiés à travers sa chevauchée gastrique des valkyries, quelque part entre Au cul des ténèbres et Analpocalypse Now. Tu peux pas placer la barre aussi haut quand tu as le cul bas, dirait Fidel Castro.
Dreamcatcher essaye d’être un peu tout à la fois : Alien, Rencontres du troisième type, X-Files, The Hidden, Stargate (pour les symbiotes Goa’uld), The Thing (pour la parano du qui est qui) ou encore L’invasion des profanateurs (moins la dimension politique, donc une coquille vide). À force de vouloir être partout, le roman ne va nulle part. Il pioche ici et là des idées, des références, qu’il se contente d’aligner. Tout est déjà vu, rien n’est creusé. On sort de ces 900 pages avec une question : mais ça parlait de quoi au fait ?
On aura beau chercher, jamais on ne trouvera dans ce texte le moindre semblant de début d’amorce d’embryon de fond qui rattraperait le récit pas bien folichon. Pas de thématique, pas de questionnement, pas de réflexion, Dreamcatcher est creux comme un trou de balle.
Quant au film adapté du roman, il a pour seule qualité d’être fidèle à son matériau d’origine en lui restant très proche. Il est donc tout aussi nase. Un chouïa pire, quand même, en faisant de Duddits, le pote trisomique du quatuor pétomane, un extraterrestre. Comme pour dire qu’un handicapé, au fond, c’est pas un vrai être humain. Avec en prime la petite touche homophobe, qui était absente du livre, consistant à modifier le surnom de Mister Gray du vilain E.T. en Mister Gay – et aussi bien la prononciation, l’intonation et le contexte de certains emplois (i.e. “Mister Gay, go away” lors de l’affrontement final, tout un programme…) ne laissent planer aucun doute sur la connotation d’insulte.
Sur papier comme à l’écran, l’attrape-rêves de King aura capté ce qui se fait de pire en matière de cauchemar. Bavard mais vide, brouillon, grossier dans tous les sens du terme, vulgaire, chiant comme pas permis, il mériterait, plutôt que figurer dans une bibliothèque, de rejoindre les missiles Stinger de Rambo III.