Le suspect est un homme blanc, à cheval sur la quarantaine et la cinquantaine, bien intégré socialement. Il possède un van à bord duquel il fait monter ses victimes.
On dirait un profil de tueur en série dans Esprits criminels. Sauf que non, on parle d’un libraire en camionnette. Notez que l’un n’empêche pas l’autre, le double cursus assassin-bouquiniste existe et a fait l’objet d’une nouvelle de Robert Bloch (Cours du soir).
Or donc, j’accueille aujourd’hui Denis Albot, qu’on a déjà pu croiser ici à l’occasion de l’événement Les auteurs en vacances et de la chronique de son roman Blacklight. Il va nous parler de Carpe Diem, sa librairie itinérante.
Un K à part : On démarre avec la question rituelle de présentation : qui es-tu ? que fais-tu dans la vie ? tout ça, tout ça…
Denis : Ce que je fais dans la vie ? À part être un adorateur du fabuleux blog Un K à part tu veux dire ? Alors, comme j’ai pris la liberté de lire toutes les questions avant de m’y coller et que je ne veux pas spolier le lecteur, je ne vais pas m’attarder sur mes autres casquettes. Je vais donc répondre que j’essaie de faire venir les livres dans quelques-uns des nombreux sites désertés par les librairies tentant ainsi de freiner, à mon petit niveau, le futur quasi-monopole des plateformes en ligne.
K : Pour ta librairie itinérante, tu as choisi Carpe Diem plutôt que Moriturus te salutat. J’en déduis que soit tu vends des livres en latin, soit la philosophie de ta libraire est davantage portée feel-good que 1984. C’est quoi l’état d’esprit Carpe Diem ?
Denis : Le nom Carpe Diem s’est imposé comme une continuité logique de celui de ma maison d’édition Même Pas Peur. Quand l’opportunité de vivre de ma passion s’est présentée et malgré les mises en garde, j’ai foncé ! Bref, la librairie aurait pu s’appeler “Go go go !” ou “Allez hop !” mais je trouvais que ça sonnait quand même beaucoup moins bien.
Quant au contenu, Carpe Diem est une librairie généraliste même si, avec mon parcours de polardeux, les romans policiers et les thrillers ont fatalement une place prépondérante. On trouve donc aussi du feel-good ET 1984, dont une superbe édition BD ! Il y a donc environ 700 références de tout genre, du livre-peluche pour tout-petit au thriller bien gore, en passant par de très beaux livres.
K : Ça fait quoi d’être l’héritier d’une longue tradition de colportage de livres (né pour rappel au XVe siècle juste après l’imprimerie et quasi décédé mi-XXe) ? À l’heure de la vente en ligne, sillonner les routes à bord d’une roulotte, est-ce que c’est pas un peu dépassé comme concept ?
Denis : Grosse pression ! Mais la vie n’est-elle pas un éternel recommencement ? Pour être un peu sérieux, je pense (j’espère ne pas être le seul) que beaucoup de nos concitoyens aspirent à plus de contacts humains. Commander un livre sur Internet est certes pratique, tout comme un mouchoir en papier ou un joint de culasse sont pratiques. Franchir le seuil d’une librairie permet d’éveiller les sens. De toucher, d’humer, de vivre une expérience plus intense qu’un simple clic et, au besoin, de se faire conseiller. Être itinérant offre en outre un côté ludique de pouvoir “monter dans le camion” ! Quant à ma roulotte, elle affiche 135 bourrins et m’a coûté un bras et la moitié d’un rein, merde !
K : En pratique, tu fonctionnes comment ? Mis à part que l’une bouge et l’autre non, c’est quoi les différences entre une librairie itinérante et une librairie sédentaire ? Les avantages/inconvénients de ta formule par rapport à une libraire “en dur” ?
Denis : Au rayon des avantages, et fort logiquement : la mobilité ! Si un emplacement ne convient pas, il est très facile d’en changer. Évidemment, aller au-devant des lectrices et lecteurs, les passionnés de livres, même les moins mobiles qui ne se rendraient pas facilement dans une librairie en dur, comme c’est le cas dans les résidences séniors avec lesquels des partenariats se nouent. Idem pour les actifs me trouvant sur leur route en rentrant du travail. L’absence de loyer à payer est aussi intéressant même si s’installer sur un marché, par exemple, n’est pas gratuit. Pour les inconvénients, le principal est bien entendu le manque de place. Il impose de faire des choix plus pointus dans les commandes et interdit d’avoir le dernier best-seller en cinquante exemplaires. J’ai également dû me creuser la tête pour trouver une solution lors des déplacements pour que les livres ne risquent pas de tomber des étagères. Problème qui s’est résolu grâce à quelques plaques de mousses de polyuréthane.
K : Collectionneur de casquettes à rendre jaloux le chapelier fou, tu es aussi auteur et éditeur. Est-ce que ça a un impact sur ton activité de libraire ?
Denis : L’avenir nous le dira mais j’ose l’espérer ! Après avoir pas mal bourlingué dans les salons et les librairies pour des séances de dédicaces, l’auteur a appris qu’il était plus à l’aise pour vendre les livres des autres que ses propres ouvrages. Je me sentais bien plus apte à vanter les romans de mes voisins (quand je les avais lus) que de faire l’article du mien… L’auteur en dédicaces ne peut être un bon vendeur que s’il laisse de côté sa modestie.
L’éditeur, quant à lui, a découvert les méandres de la chaîne du Livre. Ce qui n’a cependant pas empêché le libraire de se casser les dents et s’arracher les quelques cheveux qu’il lui restait. Heureusement, j’ai quelques amis libraires qui m’ont aiguillé. Je profite de cette tribune pour remercier une fois encore Aline et Arnaud.
K : Le mot de la fin ?
Denis : Merci à toi pour ton soutien indéfectible et cet entretien moins décalé que je l’imaginais. Pour finir, j’aimerais lancer un appel solennel à tes lecteurs en les incitant, autant que possible, à privilégier les achats de livres en librairie. Je me rends compte en l’écrivant du pathos induit dans cette déclaration mais tant pis ! Je les invite également à rejoindre le groupe Facebook “Librairie Carpe Diem : les livres viennent à vous !” pour simplement suivre la vie de la librairie ou y participer activement, même s’ils ne vivent pas dans le Var.
Liens utiles :
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– Sur les internets : www.meme-pas-peur-edition.com
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