Encouragé tout jeunot à l’écriture par Lovecraft, adapté par Hitchcock (Psychose), nouvelliste prolifique, romancier, scénariste pour le cinéma et la télévision, Robert Bloch aura eu une carrière bien remplie. Il reste pourtant un quasi inconnu en France jusqu’au milieu des années 70, période à laquelle il va déferler sur l’Hexagone pire qu’une vague épidémique, ce qui lui vaudra une quinzaine d’années d’heure de gloire.
Particularité de ces Contes de terreur, l’anthologie relève de l’exception culturelle française, conçue exprès pour le public franchouillard (et plus largement francophone, la Belgique subira aussi de plein fouet le tsunami Bloch).
Trente nouvelles, sélectionnées par Bobby himself, autant dire qu’il y a de quoi se mettre sous la dent.
Contes de terreur
Robert Bloch
Pocket Terreur
Le chasseur de têtes, premier texte, donne le ton. Le “héros” de l’histoire n’est rien moins que le bourreau officiant pour le IIIe Reich en 1937. Bob tape fort d’entrée. La suite sera à l’avenant : terreur à foison, soit dans la veine fantastique avec plein de surnaturel dedans, soit orientée thriller avec des monstres tout ce qu’il y a d’humains. Parfois on nage entre les deux, dans les eaux de la folie, avec l’une ou l’autre interprétation possible (La dame en rouge).
Nouvelles à chute, souvent prévisibles, en partie parce que beaucoup de textes remontent aux années 40-50 et que certaines ficelles ont été beaucoup utilisées depuis. Mais comme on dit, la destination importe moins que le voyage. Bon, là, le voyage, on le voit aussi arriver à l’avance dans certains cas. Ce qui me fait dire que le plus important, c’est le moyen de transport : comment l’auteur embarque le lecteur dans son récit. La façon de développer le récit l’emporte sur le développement lui-même (et sur le dénouement). Et Bloch sait aussi surprendre, en témoignent les nouvelles Cours du soir (tout du long, on n’a aucune idée d’où on va et ça fonctionne très bien) et La reconnaissance du diable, avec son double twist final, un qu’on voyait venir, l’autre non.
L’épouvante de Bloch reste plutôt dans les clous du conte, comme annoncé en titre. Avec le même côté moral, classique dans le genre de l’horreur, assez conservateur sous ses airs outranciers de trublion rebelle (cf. ce que Stephen King en dit dans Anatomie de l’horreur). On ne s’aventure pas dehors à des heures pas chrétiennes, on ne désobéit pas à ses parents, on ne viole pas les Commandements, on ne se drogue pas, on ne copule pas avant le mariage, ce genre d’interdits qui rendent la vie bien ennuyeuse… et, dans les récits horrifiques, bien courte.
On retrouve cet esprit de contes chez Bloch, moral sans être trop moralisateur non plus, le bonhomme étant un fieffé garnement, plus moderne aussi que nombre de ses contemporains empêtrés dans le modèle patriarcal des années 50 (le pater familias d’un côté et bobonne à la cuisine de l’autre). Alors moral, parce qu’on voit beaucoup de méchants punis pour leurs mauvaises actions et leur karma peu reluisant (meurtriers, voleurs, adultères…), ce qui n’empêche pas quelques innocents de morfler au passage (Un retour au pays natal) ni certains assassins de s’en tirer à bon compte (À chacun son hobby, un bijou amoral). Et moderne, parce que les motifs de châtiment incluent le racisme (L’intouchable), le viol (Bobo, un des meilleurs textes du recueil), les violences conjugales (L’improbable vêtement).
Si Bloch sait se montrer sérieux (Bobo se pose là dans le registre horreur dramatique), la plupart des nouvelles montrent sa conscience d’une épouvante pour de faux. On joue à se faire peur, rien n’est vrai, l’auteur le sait, le lecteur le sait, il n’y a donc pas à se prendre au sérieux. D’où un parfum d’impertinence constant (i.e. la revanche du “sauvage” sur les “civilisés” dans Une épouse modèle, récit de deux pages d’une rare efficacité, très mordant). Amateur de jeu de mots, Bloch s’amuse plus d’une fois avec le double sens de certains termes : l’adieu se fera aux armes ou au bras selon comme on traduit le titre Farewell to arms d’Hemingway dans Cours du soir. Jeu sur la littéralité et le sens figuré, avec une approche au pied de la lettre de la pin-up girl dans la nouvelle éponyme. La machine à écrire a pour titre original le bien meilleur Ghost Writer, qui joue sur la double interprétation du prête-plume et de l’auteur revenu d’entre les morts. Au passage, La machine à écrire égratigne certains délires d’auteurs qui en font trop dans l’excentricité au point de devenir des caricatures sur pattes. Vous savez, le genre d’olibrius qui se promène en public et au premier degré avec cape, haut-de-forme et canne à pommeau en forme de crâne, en y croyant à fond, à leur rôle gothico-macabre, au point de s’y perdre jusqu’au ridicule.
Beaucoup de fantaisie, donc, sous l’horreur apparente. Toute sa vie, Bloch est resté ce galopin qui, dès ses premiers textes, s’amusait à assassiner son mentor Lovecraft (Le visiteur venu des étoiles en 1935), qui lui rendit la pareille juste pour rigoler (Celui qui hantait les ténèbres, 1936). Ce même Lovecraft qui soupçonnait ledit Bloch d’avoir fait paraître dans un journal une fausse annonce pour des exemplaires à vendre du Necronomicon, histoire de donner davantage de crédit à l’ouvrage fictif.
Puisqu’on parle d’inspirations, L’improbable vêtement rappelle certaines nouvelles de Lovecraft externes au mythe de Cthulhu (à compléter avec les lovecrafteries cthuliennes de Bloch comme L’embarquement pour Arkham et Étranges éons). L’homme qui collectionnait Poe et Le crâne du marquis de Sade sont dans la même veine, mi-HPL mi-Poe, et pas les meilleurs textes du recueil soit dit en passant, trop à essayer de marcher sur les traces des prédécesseurs plutôt qu’à chercher une voie propre. À l’inverse, parmi les meilleures nouvelles, on trouve Une imagination fertile, relecture tout en sarcasme et ironie de La barrique d’amontillado du gars Poe en version banlieusarde américaine.
L’ami Roderick tient, lui, de l’auto-inspiration, avec plusieurs éléments (personnalités multiples, imitation de voix féminines) qui préfigurent Psychose, écrit deux ans plus tard.
À l’extérieur, s’il ne fait aucun doute que Sam Raimi a été influencé par Lovecraft, il semble tout aussi évident qu’il a lu Bloch. On ne peut s’empêcher de penser aux deux premiers Evil Dead en lisant La hache et, encore plus avec Surgelé, dont le ton de comédie horrifique et la main baladeuse sont sans équivoque.
Bloch, enfant terrible et goguenard de la littérature d’épouvante, dont la plus grande qualité est de réussir à faire passer son amusement dans les textes les plus horribles. On sent qu’il se fait plaisir à écrire, alors on a plaisir à le lire, avec le même petit sourire en coin qu’il devait avoir derrière sa machine à mots.