À la saint-Valentin,
je te prends la main.
À la sainte-Lulu…
Proverbe navajo
Batman, À la vie, à la mort
Tom King (scénario)
Lee Weeks & Michael Lark (dessin)
Urban Comics DC
Or donc ma chère et tendre avait dit tantôt qu’elle m’offrirait ce bouquin. Chose promise, chose due, elle l’a fait. J’ai laissé éclater ma joie, qui lui a éclaboussé la figure, parce que chose promise, chose dure.
Mais jetons un voile pudique sur les turpitudes grivoises de CatAngélique et BatFred dans les tréfonds de la BatKave-à-part, et penchons-nous sur les aventures de nos homologues de papier.
À la vie, à la mort, tout un programme…
La quatrième de couverture ne se mouche pas du coude – en même temps, t’as déjà vu une quatrième avec des coudes ? – pour annoncer rien moins que “l’histoire d’une idylle qui a traversé les siècles et les dimensions : la rencontre et la romance entre le plus grand détective du monde et la plus redoutable des criminelles. (…) Voici la plus grande histoire d’amour jamais contée. Voici la ballade sauvage de Batman et de Catwoman”. Ne manque que le poum-poum de New York Unité spéciale. Et je te passe la suite de la présentation du produit qui redéfinit la notion de dithyrambe et ferait passer le Panégyrique de Trajan pour un laïus tiédasse et nuancé.
Le Wedding Album des tourtereaux gothamiens avait lui aussi été annoncé à grands renforts de superlatifs, pour un résultat certes très beau mais aussi très frustrant sur un plan narratif.
Et pourtant, sur ce coup, l’émule de Pline le Jeune qui a rédigé ce monument hyperbolique dit vrai. À la vie, à la mort est bien LE récit de la romance entre Batman et Catwoman. S’il n’y en a qu’un à retenir, c’est celui-ci.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, petit aparté… À la vie, à la mort comporte un second récit à la suite de la love story des BatCat. Il s’agit d’un cross-over entre l’univers de Batman et celui… des Looney Tunes. Improbable croisement des effluves qui voit le Dark Knight rencontrer Elmer Fudd le chasseur et Bugs Bunny, dans une ambiance de polar et de roman noir des années 50. C’est excellent, rien à redire sur l’histoire comme sur le dessin, à la fois dans le sujet (une histoire d’amour qui a mal tourné) et très éloigné (pas de Catwoman). Donc une deuxième partie dont le lien tient surtout aux auteurs (Tom King au scénario et Lee Weeks au dessin) et dont la présence sert à étoffer l’album pour justifier son prix.
Maintenant qu’on a évacué la brebis égarée, revenons-en à nos moutons.
Premier bon point de cet album, il s’agit d’un one-shot (the sheriff). Un livre, un seul, rien qui t’obligera à vendre un rein pour financer l’achat d’une interminable série fricophage. En plus, les one-shots, c’est bien, parce que ça oblige l’auteur à raconter son histoire en allant droit au but, sans se perdre en route.
Deuxième bon point, n’importe qui peut se lancer dans la lecture d’À la vie, à la mort. Pas besoin d’être un lecteur assidu de comics, ni de s’être tapé les intégrales du chevalier noir et de la chatte qui fouette des origines à nos jours, ni de connaître sur le bout des doigts l’univers DC et son cortège de reboot-relaunch-reload-renaissance-remake-retruc-remachin. Dès lors que tu sais que Batman, c’est le mec avec les ailes de chauve-souris, et que Catwoman, c’est la nana avec les oreilles de chat, c’est bon, ça suffit comme base de connaissances pour entrer dans le bouquin. À la vie, à la mort se veut une synthèse de la relation entre Batman et Catwoman, dont Tom King rend la quintessence à travers l’ensemble du DC Universe.
En moins de cinquante pages, l’histoire de King balaie son sujet, avec certes beaucoup d’ellipses, mais en se focalisant sur les points clés de ce jeu du chat et de la souris, au propre comme au figuré. Première rencontre aux contours flous, premier rapprochement, premier baiser, le tout autour des différences et similitudes entre les deux personnages. Comme n’importe quel couple. Les super-héros de la banalité, en quelque sorte. Mais une banalité pleine de panache, parce que bon, c’est pas tous les jours que tu te fais faucher la Batmobile par ta future copine…
Là se trouve le gros point fort de cette histoire : les personnages n’ont rien de super-héroïque, ici ils sont avant tout humains. À la vie, à la mort raconte moins l’histoire de Batman et Catwoman que celle de Bruce Wayne et Selina Kyle cachés sous leurs masques respectifs. Beaucoup de drames évoqués, d’émotions, d’humour aussi… Bien plus intéressant et profond qu’un kéké volant en slip rouge qui crame des trucs avec ses yeux laser (coucou, Superman).
Une belle histoire d’amour, pleine d’une passion romantique qui ne brûle pas tout sur son passage, à commencer par les deux intéressés. Pendant que Roméo et Juliette crèvent comme des débiles incapables de mener leurs sentiments ailleurs que droit dans le mur, Batman et Catwoman proposent une relation pas moins dénuée d’emphase mais autrement plus constructive. Dans les dialogues d’À la vie, à la mort – qui vont, comme toujours chez King, à l’économie – le verbe “aider” est celui qui revient le plus souvent. Si le nom de Batman est inscrit en gros sur la couverture, rendons à Césarine ce qui lui revient : Catwoman est la source de tout. Avec à la clé, pour l’un comme pour l’autre, la rédemption de la douleur et de la solitude et la possibilité de raccrocher les gants et le masque pour profiter un peu de la vie. En prime, une belle fin pour Bat et Cat, très émouvante, loin de la grandiloquence pompière des héros qui se sacrifient pour sauver le monde.
(Cette BD a été récompensée par un K d’or.)
Super chronique ! je suis très contente que tu aies apprécié ta lecture, mon Batman !