Chronique coup double avec d’un côté Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank, court roman de Stephen King qui ouvre le recueil Différentes saisons, et de l’autre The Shawshank Redemption, son adaptation cinématographique réalisée par Frank Darabont avec Tim Robbins et Morgan Freeman dans les rôles principaux.
Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank, c’est l’histoire d’Andy Dufresne, envoyé en prison à la fin des années 40 pour un double meurtre. Comme tous les prisonniers, il se clame innocent du crime dont on l’accuse. Sauf que lui, c’est vrai. Col blanc sans histoires débarquant au milieu de criminels endurcis, il va connaître des premiers pas difficiles, apprendre, s’adapter… et s’évader (spoiler qui n’en est que la moitié d’un, rapport au film qui s’intitule Les Évadés en VF et t’annonce d’entrée le dénouement).
Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank, c’est aussi l’histoire de Red, autre détenu avec lequel Andy va se lier d’amitié. Une amitié aussi forte que longue, vu qu’en prison, tu as du temps pour nouer des relations.
Trente ans d’univers carcéral autour de ces deux personnages, Andy comme protagoniste de l’action et Red, qui est un peu son docteur Watson, comme narrateur. Deux figures essentielles : sans l’un, il n’y a pas d’histoire ; sans l’autre, il n’y a personne pour la raconter.
Tout différencie Andy et Red. L’un est blanc, l’autre est noir ; l’un est innocent, l’autre est coupable ; l’un est cultivé, l’autre est fruste ; l’un est issu de la bonne société, l’autre d’un milieu populaire. Et pourtant… Une des grandes forces du texte comme du film, c’est de parvenir à peindre avec justesse et profondeur une relation entre les deux prisonniers qui dépasse l’éternel duo que tout oppose.
Le binôme et son alchimie fonctionnent parce que rien n’est appuyé et que beaucoup de choses se passent sans en avoir l’air. Red fournit à Andy les moyens de s’évader mais sans savoir que les objets qu’il lui passe en douce serviront à une évasion. Le même Red sera, sans s’en rendre compte, marqué et influencé par l’état d’esprit d’Andy, qui se contente d’être lui-même sans chercher à donner de grandes leçons à son pote. Cynique, désabusé, le vieux roublard renoue à son contact avec l’espoir (les derniers mots du roman sont on ne peut plus explicites). Cet espoir est la clé qui lui permet à son tour de sortir d’une prison qui est aussi bien physique que psychologique. Chacun fournit à l’autre le moyen de s’évader sans volonté délibérée de le faire.
C’est très bien rendu par le texte qui ne donne jamais l’impression de forcer le déroulement des événements juste par mécanique scénaristique. Adaptation fidèle, le film fonctionne tout aussi bien grâce à sa paire d’as que sont Morgan Freeman et Tim Robbins.
À propos du film, il n’a pas fait beaucoup de bruit à sa sortie, hormis celle d’un échec commercial cuisant en dépit d’une réussite critique indéniable (sept nominations aux Oscars, ça va quoi). Ironie du destin pour une œuvre pénitentiaire, Les Évadés a été réhabilité auprès du public depuis sa sortie en vidéo au point de devenir culte.
Deux heures vingt de pellicule et pas une longueur, pas une scène ni un mot de trop. Il s’en dégage autant de charme à l’ancienne (la photographie rend bien l’ambiance des années 40-50) que de violence (les conditions de détention) et de retenue (dans les personnages comme dans les acteurs qui les incarnent).
Pour souligner la différence temporelle entre la prison et l’extérieur, le spectateur est laissé dans le flou. Des prisonniers, on sait peu de choses, hormis ce qu’ils font à l’instant où ils le font. Pourquoi certains sont-ils là ? Mystère. On ne sait rien des crimes qu’ils ont commis : le spectateur n’est pas là pour juger, d’autres s’en sont chargés avant.
Idem pour le calendrier. On mesure l’écoulement du temps à travers quelques indices, des cheveux gris apparaissent ici et là, les passages périodiques de Red devant la commission de libération conditionnelle, la correspondance insensée de Dufresne avec le Sénat.
Malgré une absence quasi-totale d’action de cette chronique carcérale, on se délecte de ces tranches de vie sans jamais s’ennuyer.
Les Évadés est un excellent film. Si vous n’avez pas eu l’occasion de le visionner, guettez son prochain passage à la télé, il figure au programme d’une chaîne ou l’autre tous les deux, trois mois.
Sur papier ou à l’écran, La rédemption de Shawshank est une belle histoire d’amitié centrée sur l’espoir. C’est aussi l’échec d’un système carcéral où on trouve des criminels des deux côtés des barreaux (gardiens violents, directeur tyrannique et magouilleur). Où la réclusion conduit à voir les prisonniers sortir encore plus inadaptés à la société qu’ils ne l’étaient en entrant (avec pour conséquences de replonger dans le crime ou de se suicider faute de pouvoir se réintégrer). Où la prison, loin d’assagir ses pensionnaires, fait figure d’école du crime, ce qui fera dire à Andy : “À l’extérieur, j’étais un homme honnête. (…) J’ai dû être prisonnier pour devenir un escroc.” À méditer…