Une faille dimensionnelle s’est ouverte dans le Pacifique. Les enfants cachés de Godzilla et Shub-Niggurath en sortent et bousillent tout. Les cousins germains de Goldorak vont leur asticoter les tentacules.
Avec Pacific Rim, Guillermo del Toro voulait rendre hommage à l’imaginaire japonais et ses déclinaisons à travers le cinéma, l’animation et le manga. S’il n’est pas le premier à tenter le coup, il est l’un des rares à l’avoir réussi.
Ici, Del Toro a pioché la moitié de son inspiration dans le genre kaijū (怪獣, litt. “bêtes étranges”) et ses gros monstres piétinant des villes, dont le plus connu est le Godzilla de 1954 réalisé par Honda Ishirō. Il a croisé les effluves avec Lovecraft pour l’origine extradimensionnelle slash extraterrestre des créatures et tout le côté marin du film, qui rappelle que Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn, à savoir que papy Cthulhu pionce et attend dans sa demeure sous-marine de R’lyeh, située “comme par hasard” dans le Pacifique. Rien d’étonnant à la présence de cette teinte lovecraftien dans Pacific Rim quand on sait Guigui bataille depuis 2002 pour réaliser Les montagnes hallucinées.
L’autre moitié de l’inspiration et des références se situe du côté des mecha, ces robots géants dont la SF nippone raffole (Goldorak, Gundam, Macross, Evangelion). Habitude ayant été prise d’associer Allemagne et Japon depuis le pacte anti-Komintern de 1936, ces robots sont ici appelés Jaeger (de l’allemand Jäger, chasseur).
Résultat de ce coktail : Pacific Rim mérite d’être vu pour le spectacle magistral.
Tu es scotché dans ton fauteuil.
Dans un premier temps.
Parce qu’après vient le deuxième effet Kiss Cool, quand tu commences à analyser certains aspects du film. Et là… Ben y a quelques défauts notables qui apparaissent, à commencer par sa structure hyper classique dans la narration, les personnages, les péripéties. Soit une masse importante d’élément convenus, téléphonés, prévisibles. On sent que Pacific Rim(e) avec blockbuster, concocté dans un vieux pot grâce à des recettes éprouvées. Héros brisé, rivalités entre pilotes, savants déjantés, discours de motivation du boss avant l’assaut final, sacrifice des uns pour la réussite des autres : rien qui ne relève du topos.
Air de déjà-vu, florilège d’archétypes, narration linéaire et sans surprises, dialogues d’une morne platitude waterlootoise, casting mollasson dans son ensemble, tout pour accoucher d’un machin insipide et pourtant le film fonctionne. Oui, quand même ! Pacific Rim parvient à emporter son spectateur. C’est divertissant, on ne s’ennuie pas, on en prend plein les mirettes grâce aux effets zolis tout plein. Mais pas que.
Guillermo del Toro sait jongler avec ces lieux communs pour pondre un film, pas juste une bouse à la Transformers. Suffit de voir l’intro pour s’en convaincre : del Toro (par les cornes) réussit en cinq minutes ce que Michael Bay a peiné à faire sur le premier volume des gogo-gadgetto-robots. L’art de la concision et, au fond, toute la différence entre le spectacle, au sens noble du terme, et l’esbrouffe aussi creuse que facile.
Del Toro sait filmer. Vous me direz, d’un réalisateur, c’est la moindre des choses. Vous avez vu Cloverfield ? Quand je repense à cette caméra en roue libre, j’ai encore le mal de mer et les yeux qui saignent. Une mise en scène dynamique ET lisible, c’est possible. Avec en prime le sens de l’esthétique propre à Guigui.
J’avais un peu peur du mélange “Cthulhu vs Goldorak”, surtout hors de sa terre natale, le Japon. Sorti des bestioles “normales” taille XXL (araignée, serpent, requin, tique, abeille, crocodile et un raton laveur… l’arche de Noé complète), les films de monstres géants ne sont pas légion en Occident. Les films de robots géants encore moins. Pour un Cloverfield, un King Kong ou un Transformers qui sort aux USA, il fleurit au Japon douze variantes de Godzilla et du mecha par paquet de dix en mangas, films et séries d’animation ou live.
Bref, au Japon, le cinéma de monstres géants (怪獣映画, kaijū eiga) et plus encore le genre mecha (メカ) sont profondément ancrés dans la culture populaire. Chez nous, non, ou en tout cas moins, dans le sens où il s’agit d’un import, pas de racines.
Del Toro a su utiliser son double fonds d’inspiration nippone sans tomber dans le grand n’importe quoi. On m’aurait dit que le film était japonais et que le réalisateur s’appelait en réalité Guillermo no Torosawa, ça ne m’aurait pas choqué. Raison pour laquelle le film m’a plu. Guiton respecte son matériau et se place dans la lignée des Godzilla, Goldorak et Gundam comme un Japonais l’aurait fait. Avec en prime ses propres apports pour proposer plus qu’un simple pastiche.
Rien que le choix du terme jaeger s’inscrit dans l’habitude japonaise de coller des références germaniques dans les oeuvres d’anticipation (Jin-Roh avec la division Panzer, Harlock/Albator et les Nibelungen, Casshern et ses décors made in Naziland…). C’est le genre de petit détail qui fait la différence entre un bourrin comme Emmerich, qui pond un Godzilla sans rien avoir compris à ce qu’il représente, et Del Toro qui maîtrise son sujet parce qu’il l’aime.