Parlons aujourd’hui de Tokuda Shigeo (徳田重男), figure majeure du cinéma japonais.
Je n’ai pas encore eu l’honneur de rencontrer ce petit vieux à l’air bonhomme et amateur de pintes. C’est bien dommage. L’idée est en projet, cela dit, et j’espère que maître Tokuda rejoindra mon palmarès de rencontres glorieuses où figurent déjà Angelina Jolie, Brad Pitt, Benoît Poelvoorde, Katsuni (du temps où elle s’appelait encore Katsumi), Bernard Minet, Carlos (le chanteur, pas le terroriste) ou encore sa consœur et compatriote Yui Hatano – liste non exhaustive mais représentative d’un certain éclectisme…
Né en 1934, Tokuda suit un parcours des plus ordinaires. Nanti d’un diplôme universitaire, il exerce d’honorables professions, d’abord chez un fabricant de machines de pachinko puis dans une agence de voyage jusqu’à sa retraite.
Comme il le dit lui-même, sa génération, dans l’après-guerre, n’avait d’autre préoccupation qu’étudier, travailler, reconstruire le Japon et lui faire remonter la pente de la défaite. Si bien qu’une fois retraité, il se retrouve désœuvré. Il s’ennuie ferme.
C’est là qu’il décide de s’offrir ce qu’il appelle “sa seconde vie” et d’embrasser au propre comme au figuré l’honorable profession d’acteur X. En quelques années, il accumule une filmographie vertigineuse de plus de 350 titres, soit autant que Christopher Clark. S’il ne rattrape pas encore Rocco Siffredi, crédité comme acteur dans plus de 500 films, Tokuda le surclasse par son rythme de travail. L’étalon italien ayant une carrière du double de durée à son actif, je vous laisse faire le calcul de ce que pourra être le chiffre final du papy nippon.
Tokuda est LA star X de sa génération. Les raisons d’un tel succès ? Ni sex symbol ni pourvu d’un outil de travail aux dimensions hors du commun, Tokuda a pour lui d’être un petit vieux comme les autres. 1,60 m, 78 ans, chauve, un retraité comme on en croise des millions au Japon. Tokuda est emblématique de ce Japon vieillissant, où les plus de 65 ans représentent le quart de la population, où le taux de fécondité rikiki mène l’archipel droit vers l’hospice. Emblématique aussi de cette génération qui a galéré à rebâtir le Japon d’après-guerre pour en faire une des plus grandes puissances économiques mondiales et, ce faisant, laissé de côté l’épanouissement personnel.
Sa staritude répond à deux facteurs, l’un commercial, l’autre social.
Le producteur-distributeur Ruby Productions, qui commercialise ses œuvres, répond, on s’en doute, à une demande pour un marché. Si la tranche des jeunettes dans la vingtaine a toujours eu du succès depuis que le porno existe, d’autres s’y sont ajoutées avec le temps en repoussant toujours plus loin les limites d’âge.
Plus qu’ailleurs, le genre mature a toujours eu son petit succès au Japon pour des raisons socio-culturelles. Le nippon lambda, perpétuel angoissé, cherche à l’écran comme dans la vraie vie la sécurité maternelle d’une femme plus âgée que lui (Freud, si tu me lis…). Concernant Tokuda, sa fanbase est surtout issue de sa génération… qui cherche tout autant à se rassurer. “Si lui peut le faire, moi qui suis un petit vieux retraité tout pareil, je peux aussi.” Ce n’est pas juste une question de sexualité florissante à un âge où le corps commence à lâcher de partout, mais aussi l’image d’un papy qui mène une retraite épanouie, là où beaucoup s’ennuient une fois passée le cap du “tout travail” à “qu’est-ce que je vais bien foutre de toutes ces journées qui me restent à vivre ?”, le revers de la médaille quand on habite le pays qui a une des espérances de vie les plus élevées au monde. Pour l’avoir vu à l’œuvre (bah ouais, c’est du travail de recherches tout ça…), il a encore la forme, pépé !
On pourrait dire poétiquement que Tokuda ne vend pas que du cul, mais aussi de l’espoir. Sauf que la poésie et moi, ça fait deux.