À l’origine de Feast, Project Greenlight, une émission quelque part entre le documentaire et la télé-réalité, dont le but était de permettre à des débutants de monter leur premier film avec l’appui de gars chevronnés. La saison 3, autour de Ben Affleck, Matt Damon et Wes Craven, a pour lauréats John Gulager (réalisation), Marcus Dunstan et Patrick Melton (scénaristes), qui accouchent de ce fameux de Feast sans lien de parenté avec celui de la Fistinière.
Le résultat sera un coup d’épée dans l’eau. Un joli coup mais pour rien. Le réal se contentera pour l’essentiel de tourner deux suites à ce premier Feast. Le duo de scénaristes n’accouchera que de travaux affublés d’un numéro, des suites, des suites et encore des suites, de Feast, de Saw et de Saw-likes (The Collector et sa suite The Collection). Bref, les gars à suivre se sont changés en gars à suites.
L’histoire de Feast est simple : des gens se retrouvent coincés dans un bar assiégé par des monstres qui veulent les manger.
Simpliste, donc, que cette trame de western (le fort des Tuniques Bleues encerclé par les Indiens) traitée mille fois avec plus ou moins de bonheur, d’inspiration et de moyens. En général, c’est plutôt moins, même si de temps en temps un petit génie sort du lot (Assaut de John Carpenter).
Codes, personnages, péripéties sont éculés à un point tel qu’on ne voit pas trop l’intérêt de refaire un énième film sur le sujet. Et pourtant… Feast s’en sort plutôt bien.
Impossible de faire original ? Pas grave, on va reprendre toutes les vieilles recettes. Pis on va les bousiller histoire de se marrer un bon coup. Énorme blague à prendre au second degré, Feast détonne et déconne plein pot, réussissant à créer l’impossible surprise.
Dans les séries B, voire Z, on a :
- des gros moyens… ah non en fait. On n’a pas de moyen, tout pue la pauvreté et ça se voit. Bon, Feast n’échappe pas à la règle et le petit budget de 3,2 millions $ ne passe pas inaperçu. Néanmoins, on a vu pire avec mieux loti et le film tente des trucs en utilisant des ficelles (un peu) plus ingénieuses que la moyenne, même si pas toujours originales ni bien maîtrisées.
- des dialogues tout nases. Ici dans l’ensemble, ils tiennent la route, avec quelques répliques cocasses qui pimentent les relations entre les personnages. Les seuls blablas pourris sont volontaires, comme le discours “un pour tous” tenu par le coach, digne d’un séminaire hors de propos sur le développement personnel et top crédibilité dans la bouche d’un type qui harangue la foule en survêtement rose après s’être fait arracher son pantalon par une des créatures.
- des explications foireuses sur l’origine des monstres. Là, aucune. Le fait est qu’on s’en tamponne, puisque préhistoriques, mutantes, extraterrestres ou radioactives, les créatures veulent buter tout le monde, et c’est pour les voir faire qu’on est là.
- des morts et plus y en a, mieux c’est (enfin en théorie). La moitié du casting se fait dégommer en deux temps trois mouvements après dix minutes de film. Jouant avec les codes du genre, un personnage ira jusqu’à dire après un certain délai sans cadavre : “ça ne m’étonnerait pas qu’il soit bientôt l’heure d’une nouvelle tuerie”. Comme si lui aussi connaissait le cahier des charges du genre.
- du sang, qui va de pair avec le point précédent. Dans le genre gore qui tache, Feast fait très fort. Amis du bons goût, passez votre chemin.
- du sexe ! Nombre de films d’horreur sont des teenage movies pour ados boutonneux qui s’émoustillent d’un rien. Loin des productions où fleurissent à l’envi des poitrines aussi opulentes que dénudées, Feast se contente d’un soutif dévoilé au regard béat de deux crétins qui ne sont pas sans rappeler le spectateur acnéique lambda.
- des acteurs minables. Sans aligner le casting du siècle ni la crème des Oscars, l’équipe s’en sort bien, sans contre-performance notable, et propose un jeu au-dessus de la moyenne du genre. Les acteurs, issus pour l’essentiel de la télé – comme Navi Rawat de Numb3rs – ou de la série B, sont en phase avec leurs personnages. Je ne m’étendrai pas sur l’affection particulière que je porte à Navi Rawat, sinon je vais déraper vers les jeux de mots foireux comme Feast-fucking.
- un beau et fringant héros qui sauve tout le monde en faisant passer les autres mecs pour des losers. Ici le héros arrive, il s’appelle “le héros”, balance “je suis là pour vous sauver” et meurt dans la seconde qui suit. Voilà tout le sel de Feast, jouer sur les codes et les archétypes du genre. Au point de ne pas se casser le tronc à trouver des noms aux personnages. Pourquoi faire ? Dans les films d’horreur, la plupart du casting crève, on ne s’attache jamais à eux, on s’en fout de savoir comment ils s’appellent ou ce qu’ils font dans la vie.
- des personnages caricaturaux jusqu’au ridicule. Les archétypes sont de sortie, stéréotypés juste ce qu’il faut pour ce genre de films mais traités avec une certaine originalité. Ainsi, la serveuse blonde et bête ou le gros moche qui d’habitude meurent au début ne meurent pas au début justement. Il y a bien sûr un beau gosse avec un caractère pourri dont on espère chaque fois qu’il va crever tellement il est exécrable ou encore la vieille du coin vers qui tout le monde se tourne parce que… elle est vieille et doit donc connaître d’anciennes légendes sur l’origine des monstres. Bref, tous les codes sont respectés sur le contenu pour être ensuite mieux malmenés. Le héros meurt comme un gland, le sacro-saint gamin intouchable se fait bouffer tout cru au lieu d’être l’inévitable survivant, la blonde a un trait de génie… Très maîtrisé en termes de parodie.
Quelques défauts toutefois. Le budget miséreux limite pas mal les perspectives visuelles. On verra donc très peu les créatures, un bout par-ci, une ombre par-là. Les rares fois où on les aperçoit en entier sont trop rapides à mon goût. La suggestion plutôt qu’un tape-à-l’œil permanent, c’est bien, mais dans un film de monstres, ben faut bien à un moment ou un autre prendre le temps de montrer les bestiaux un bon coup pour qu’on puisse voir l’horreur dans son ensemble. Mais bon, il valait peut-être mieux ça qu’un plan fixe dévoilant un monstre nanar miteux en caoutchouc.
Par contrecoup, les attaques des créatures sont filmées souvent de trop près, parfois floues ou saccadées, avec une caméra parkinsonienne qui rend certaines scènes illisibles. Cache-misère à deux ronds que la shaky cam en cadrage serré, c’est le seul gros défaut de ce film. Ce point mis à part, la réalisation est honnête et efficace pour un débutant, ni mauvaise ni géniale.
Loin des images numériques à gogo, le film fait la part belle aux trucages à l’ancienne pour le sang et à des maquillages très bien réalisés. Ces derniers sont signés Gary J. Tunnicliffe, vieux briscard des plus compétents qui sait faire beaucoup avec peu.
L’ensemble est bien rythmé, sans réel temps mort malgré une accalmie en milieu de film. Plutôt qu’installer une tension délicate à maintenir avec ce genre de films où chaque péripétie est téléphonée, Gulagen, Dunstan et Melton se lancent dans une ambiance délirante qui tient la distance, aussi bien dans sa partie monstres que dans le huis clos entre les protagonistes.
Si le réalisateur et les scénaristes sont des débutants, on sent qu’ils ont derrière une solide connaissance du sujet pour éviter de s’enliser dans le réchauffé. Ils tentent des trucs pour surprendre le spectateur, comme déjouer les pronostics sur l’ordre des victimes à périr sous les griffes des créatures. Le trio esquive les passages habituels où le spectateur s’ennuie, comme l’exposition aussi longuette que vide. Combien de fois j’ai vu des films d’horreur où on devait attendre vingt, trente, quarante longues minutes avant d’entrer dans le vif du sujet… Ici, la question est régle en dix minutes avec un rapide tour de table des protagonistes présentés de façon originale – et, non sans ironie, proche de ce qui se fait dans les émissions télé-réalité – en allant jusqu’à afficher leur espérance de vie probable.
On retrouve avec bonheur une jovialité et un esprit eighties tout en délire grand-guignolesque et mauvais goût. Aujourd’hui, on essaie de faire du film d’horreur propre sur lui (ouaip, c’est concept…) pour la distribution vidéo la plus large possible ou, à l’inverse, du torture-porn aussi dégueu que creux juste pour jouer sur le malsain. Mais dans les années 80, on osait tout pour peu que ce soit fun. Dans Feast, quand les créatures copulent joyeusement sur le capot d’une voiture, à l’instar de la madeleine de Proust, le parfum revient, d’un temps où on savait se lâcher et où les cervaux bouillonnaient au propre (ah, Street Trash…) comme au figuré.
Série B déjantée et sanglante, Feast est à mi-chemin entre les créatures de Tremors et le bistro d’Une Nuit en Enfer, saupoudrée d’une ambiance Braindead. Il tient son pari de divertissement d’horreur et réussit dans le même temps à parodier le genre avec beaucoup d’à-propos. La richesse de son inventivité fait oublier la pauvreté de son financement, prouvant encore une fois que de bonnes idées valent mieux qu’un paquet de blé. Dans un genre qui n’offre plus beaucoup de surprises, un film bourré de trouvailles bien employées est on ne peut plus rafraîchissant.