Ashlon
H. Roy
J’ai Lu
Quatrième de couv’
À Aurora, chaque citoyen a sa place, mais une place se mérite. L’avenir de Sigal, destinée à transmettre le Savoir, semblait tout tracé avant que sa sœur ne fasse une chute fatale. Contrainte de la suppléer au cœur de l’Essaim, le bras armé de la cité, la jeune femme de 18 ans est propulsée dans un univers impitoyable et lutte chaque jour pour se montrer à la hauteur de sa mission.
Lors d’une ronde, le destin met sur sa route un inconnu dont la présence sur le territoire est sans doute illégale. La loi voudrait qu’elle le dénonce, voire qu’elle le tue. Or, pour une raison obscure, Sigal n’est pas certaine de pouvoir s’y résoudre. Et cela pourrait lui valoir de très gros ennuis…
Ashlon raconte…
Ben ça dépend du lecteur en fait.
Pour la grille de lecture la plus immédiate, tu peux juste prendre ce bouquin pour une romance entre le personnage éponyme et Sigal, laquelle n’a aucun lien de parenté avec Steven. Ils se rencontrent, ils se découvrent, ils s’aiment. Le tout avec un parfum d’interdit autour de leur relation. Le tout aussi sur un rythme lent, qui prend son temps pour pouvoir installer le décor et distiller les informations (amateurs d’action trépidante et explosive à chaque chapitre, ce livre n’est pas fait pour vous).
Tu peux aussi prendre ce bouquin comme “une invitation au voyage, à l’exotisme et à la douceur”, pour citer le paraphe de H. Roy sur mon exemplaire qu’elle a tout barbouillé au cours du FLR (merci encore pour ce chouette moment !).
Le roman aurait tout aussi bien pu s’intituler Aurora, vu la place qu’occupe la cité. Un microcosme par sa taille, un univers entier vu sa richesse, sa profondeur et la tonne de détails. Parmi ces derniers, beaucoup sont implicites et demandent toute l’attention du lecteur. Par exemple, quand Sigal sort de chez ses parents sous prétexte d’aller laver un drap dans le ruisseau qui coule aux abords de la cité, cette situation en apparence anodine contient beaucoup d’informations. Pas d’eau courante, pas d’électricité ni de machine à laver, pas de lavoir, pas de domesticité au sein de la maisonnée pour se charger des tâches ménagères. Ou comment en une simple phrase en dire long sur le niveau technologique, l’organisation sociale, les aménagements urbains.
Bâtir un monde ne repose pas que sur les descriptions directes mais aussi sur ce que le reste du texte induit. Sur ce point, H. Roy a réalisé un excellent travail d’écriture. Dès lors que tu lis entre les lignes, tu en apprends beaucoup sur Aurora, sans avoir l’impression d’être gavé d’informations comme pendant un exposé magistral.
Pari réussi pour le voyage et l’exotisme !
Et c’est là qu’on arrive à la troisième grille de lecture.
Si les aventures de Sigal et Ashlon classent le bouquin en romance, si l’ambiance marquée “Amazones et Antiquité” le rapproche de la fantasy, on peut, voire on doit, le ranger d’abord en science-fiction.
Le contexte se situe à la frange du post-apo. La chronologie mentionne la fin du monde tel que nous le connaissons, mais l’action prend place bien après le cataclysme et le chaos subséquent, avec des sociétés réorganisées en États. Du post-post-apo, si on veut, mais ça reste de la SF.
Le récit, lui, est une dystopie, branche qui appartient aussi à la SF. J’entends par là une vraie dystopie. Le genre étant à la mode, il a tourné à l’attrape-tout où on case n’importe quoi, à commencer par des bouquins qui n’ont rien de dystopiques. Raconter une histoire dans une société futuriste bancale n’est qu’une base. Si derrière, tes personnages se contentent de s’agiter en péripéties tonitruantes, sans rien développer au niveau sociétal, le résultat ne relève pas de la dystopie mais de la SF d’action en mode Hollywood, tapageuse mais creuse comme une canne à pêche quant à la thématique et au propos.
Ashlon parle de la société d’Aurora à travers le personnage de Sigal. J’aurais même tendance à dire que la romance n’est qu’un prétexte narratif. Le cœur du propos, ce que raconte vraiment le bouquin, on le trouve résumé aux pages 207 et 208. “On ne vit pas avec un couteau sous la gorge, on survit. (…) Moi la Ruche m’a tout pris. Ma vocation, mes rêves, tout. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi qu’elle me vole ma dignité. (…) Cette formidable loi que les Magistrates ont mise en place, ce qu’elles exigent sous couvert de dévotion (…) c’est notre soumission !”
Sigal est le témoin de l’échec d’une société, dont elle met en exergue les dysfonctionnements. J’ai trouvé intéressant qu’en partant du mythe des Amazones, H. Roy n’ait pas choisi la facilité de dépeindre un modèle matriarcal fantasmé et idéalisé. En jouant sur les contrepieds, elle a opté pour le réalisme, à savoir que toute société hyper stratifiée et cloisonnée, fondée sur les inégalités, les divisions et la soumission ne peut pas contenter les individus qui la composent, qu’ils soient homme ou femmes. Exception faite, comme toujours, de la poignée d’oligarques qui mène ce petit monde à la baguette en décidant à la place des autres.
Ici, la trajectoire de chacun est déterminée sans que les concernés aient leur mot à dire. Les femmes rejoindront telle ou telle caste pour remplir telle ou telle tâche au service de la cité. Si elles sont contentes, c’est bien, sinon c’est le même tarif. Les hommes subissent une épreuve qui n’est pas sans rappeler l’agôgè de Sparte et leur vaut de pouvoir épouser la femme de leur choix, laquelle n’a pas trop son mot à dire sur la question. Un bon moyen de garder le contrôle sur les éléments masculins, parce qu’un homme content remue la queue, privant ainsi d’irrigation son cerveau principal et à partir de là, tu peux le manipuler comme tu veux.
À l’arrivée, la notion de droits semble assez vague quand celle de devoirs imprègne chaque instant de la vie des habitants, encadrés de la naissance à la mort. Monopole idéologique, embrigadement de chaque catégorie sociale, contrôle des individus dans le moindre aspect de leur vie, y compris la sphère privée. Soit la définition d’un État totalitaire.
Ashlon est moins à lire comme une histoire de câlinou mimi tout plein que comme un récit sur la pression sociale, la révolte et la liberté.
Une invitation à la réflexion.
une analyse brillante d’un roman effectivement présenté comme une romance dystopique, mais qui m’a moi séduite justement pour tout ce que tu cites et exposes brillamment !
Vu que je ne suis pas très porté sur la romance, c’est bien pour ça que j’ai accroché aussi : le fait qu’Ashlon soit une dystopie avec de la romance dedans, plutôt qu’une romance avec de la dystopie autour.